Psychologie : de la peine à la paix, sur les chemins de la résilience
Par Maïté Darnault — 26 mars 2019
Etudiée depuis une trentaine d’années seulement, la résilience permet depuis toujours à l’homme de surmonter les accidents de la vie.
Fluctuat nec mergitur, dit la devise de Paris, qui s’est dramatiquement rappelée à ses habitants avec les attaques du 13 Novembre. Inscrite sur le blason de la ville, qui figure un navire sur la Seine en référence aux nautes de Lutèce, de puissants armateurs gaulois, elle signifie : «Il est battu par les flots, mais ne sombre pas.» Beaucoup l’ont assimilée à la phrase du roseau de la fable de La Fontaine, qui fait savoir au chêne que contrairement à lui, il «plie» mais «ne rompt pas». Que malgré le souffle furieux du vent, il ne sera pas déraciné. Ces deux maximes traduisent bien ce qu’est la résilience : une forme de dépassement, de régénération, une aptitude au rebond face aux accidents de la vie, qu’il s’agisse de la survenue d’un deuil, d’une maladie ou d’un handicap.
«La résilience est plus un processus qu’une capacité, c’est évolutif», souligne Marie Anaut, psychologue clinicienne et professeure à l’université Lyon-II, qui a codirigé l’ouvrage la Résilience, de la recherche à la pratique (Odile Jacob, 2014) avec Boris Cyrulnik (invité de notre forum). C’est ce dernier, neuropsychiatre et directeur d’enseignement à l’université du Sud-Toulon-Var, qui a popularisé en France, à partir des années 90, la notion de résilience. Ce terme de physique désigne d’abord la résistance d’un matériau aux chocs. Il a été appliqué au champ de la psychologie dans les pays anglo-saxons il y a une trentaine d’années. Les premières recherches ont porté sur des enfants qui avaient grandi dans des contextes défavorables ou subi des abus, et avaient traversé ces épreuves sans dommage apparent. Le travail des psys s’est ensuite étendu aux adultes et aux situations traumatiques plus ponctuelles. «Par bonheur, la vie ne manque pas de malheurs, souligne, un rien provocateur, Boris Cyrulnik (lire page suivante). C’est ainsi qu’elle prend sens, en nous imposant des épreuves à surmonter, des victoires à espérer, des comptes à régler.»
Quand survient un drame intime, «l’individu met en jeu des compétences pour que s’opère une reconstruction psychique et sociale et la reprise d’un nouveau développement», détaille Marie Anaut. Si les chemins de la résilience sont aussi nombreux et singuliers que le sont les êtres humains, la psychologue pointe l’existence de deux grandes phases, dont l’amorce et la durée dépendent de chacun. Il s’agit d’abord de «se préserver de l’effraction psychique, de la désorganisation, afin de réguler l’angoisse, les émotions mortifères». Cette distanciation peut passer par une phase de déni. Le mécanisme qui prend le relais est celui d’une quête de sens, afin de «dépasser», de «sublimer le trauma», ajoute Marie Anaut. Ce «travail d’élaboration» peut se traduire par un investissement dans des domaines tels l’art, le sport ou un engagement associatif, militant…
Jusqu’à produire une «restauration» dont les neurologues trouvent aujourd’hui trace dans le cerveau : «Avec la neuro-imagerie, on s’est aperçu de l’importance de la manière dont les zones grises sont reliées entre elles par les voies de substance blanche, qui forment douze réseaux», explique Pierre Bustany, neurophysiologiste et neuropharmacologue, professeur de médecine au CHU de Caen (coauteur de Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner, Clés-Albin Michel, 2012). Un de ces réseaux d’activation a été identifié comme étant celui touché chez les dépressifs, les autistes, les personnes qui ont connu un traumatisme. Un choc psychologique crée en quelque sorte un «trou noir» dans notre tête. «Des zones grises sont désactivées car certaines voies de substance blanche sont altérées, explique le neurologue. Or, le cerveau est comme un muscle, les voies se développent, se magnifient à force de servir. Il faut donc restaurer, parfois contourner ces zones endommagées pour que les voies se réactivent en harmonie et se reconstruisent.»
Cette plasticité neuronale est d’autant plus opérante que la personne au seuil du rebond n’est pas isolée : «On n’est pas résilient tout seul, résume la psychologue Marie Anaut. Le processus prend appui sur des soutiens extérieurs, que ce soit des relations affectives ou des rapports professionnels.»
Autre arme pour faire front : l’humour. Il participe à contrer l’angoisse, à se mettre à distance du traumatisme, et ce afin de «reprendre une position de sujet quand la personne se trouve d’abord dans une position déshumanisante de victime», poursuit Marie Anaut, auteure de l’Humour, entre le rire et les larmes, traumatismes et résilience (Odile Jacob, 2014). Savoir «en rire» contribue également au travail d’élaboration a posteriori du traumatisme. «Ça permet de décrire l’événement de manière stimulante, de créer un effet de surprise, de changer le souvenir qu’on en a et donc de le dédramatiser», complète Pierre Bustany.
Ces stratégies qui président à la gestion des émotions ont «toujours existé», rappelle Valérie Delattre, archéo-anthropologue à l’Inrap. La résilience, a priori, pourrait sembler étrangère à l’archéologie funéraire. Mais la chercheuse souligne l’importance du «volet culturel» de ses investigations, qui ne se résument pas à la chronodatation : «Ne nous interdisons pas les notions de bienveillance, de compassion, d’inclusion, d’exclusion ou de chagrin pour restituer ce qu’étaient des groupes de vivants.»En fouillant des tombes, Valérie Delattre s’attache «non pas à plaquer des sentiments sur des squelettes, mais à les faire parler». Les mécanismes de résilience sont notamment lisibles au travers d’un événement très prégnant dans toutes les sociétés jusqu’à la période contemporaine : le deuil périnatal. Les archéologues attestent en effet dès l’âge du bronze d’une attention toute particulière à la manière dont sont inhumés les fœtus et les bébés. Ainsi, bien que très élevée, leur mortalité n’était pas banalisée, quel que soit le type de spiritualité ou de religiosité des parents. De l’Antiquité au XIXe siècle, les petits corps ont par exemple été enterrés dans des amphores, dans la maison et sous son seuil, ou autour de «sanctuaires à répit», auxquels les familles sont restées attachées même après que les limbes ont été inventés par l’Eglise catholique au XIIe siècle. Ces rituels et cette liturgie sur-mesure visaient à assurer un au-delà le plus bienveillant possible aux âmes novices. Afin de tenter de donner un sens à la pire des injustices qui soit pour des parents, condamnés à rester debout, sans rompre ni sombrer.