sur un livre
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LA CHRONIQUE D'ÉRIC NEUHOFF - L'écrivain danois dissèque les sentiments troubles, les mensonges, les petites vengeances, à travers les souvenirs d'une survivante.
La lettre n'arrivera jamais. Ellinor écrit à une amie morte. Avec Anna, leur histoire a été compliquée.
Résumons. Elles se sont connues toutes jeunes. Elles se sont mariées, Ellinor avec Henning, Anna avec Georg. Anna et Henning ont été emportés par une avalanche durant des vacances dans les Dolomites. Ils avaient une liaison. Ensuite, Ellinor a épousé Georg. Et là, Georg vient de mourir à son tour.
Ellinor vend la maison, s'installe dans un quartier beaucoup moins chic de Copenhague, celui de son enfance. C'est plein de pauvres et de musulmans, lui dit un de ses beaux-fils.
La narratrice avance à pas de loup. Elle en a des choses à confier. Un voile se soulève sur son passé. Petite, elle ne savait pas qui était son père. On lui a raconté un peu n'importe quoi. Les secrets sont faits pour être murmurés au moment où on s'y attend le moins.
Chaque phrase doit se planter dans le cœur de la défunte. Après tout, Ellinor n'était dupe de rien. Elle s'est glissée dans une vie qui n'était pas la sienne.
Au début, les jumeaux de Georg l'ont accueillie avec réticence. Il y avait de quoi. Les garçons ont grandi. Leurs femmes se mêlent de ce qui ne les regarde pas.
Ellinor observe tout. Elle imagine Mia, qui avait été obèse, au retour de son jogging. Douce cruauté. Paisible vengeance. «Peut-être avait-elle encore le cardiofréquencemètre accroché à son bras bronzé, là où la peau pend un peu parce qu'elle a perdu tellement de poids.» Parfois, Ellinor s'allonge sur le sol de l'appartement vide qu'elle a acheté, comme ça, sans se poser de questions. «Je n'ai jamais réfléchi. Pas pour les choses importantes.» Petit à petit, on apprendra les dessous de sa naissance («La guerre était une avalanche», lâche sa mère), ses douleurs tues, sa façon de scruter son entourage à la loupe.
Grondahl écrit avec un scalpel. Des vérités se détachent, sur un ton presque suave. De terribles nouvelles explosent comme au ralenti. Il y a eu, oui, la jalousie. Il y a eu l'incompréhension. Était-ce une vengeance, de se glisser dans les pas d'Anna? Qui est gagnant, dans cette histoire?
Il reste une dame de soixante-dix ans qui repense à la crique isolée où se donnaient rendez-vous ses futurs parents, en 1940 et quelque. Les soldats étrangers faisaient des promesses qu'ils ne tenaient pas.
Cela fait des tonnes de regrets. Le livre est poignant comme la confession d'un inconnu croisé dans un train et qui sait qu'on ne se reverra jamais.
«Quelle n'est pas ma joie», de Jens Christian Grondahl, traduit du danois par Alain Gnaedig, Gallimard, 150 p., 15 €.