Bonjour à toutes et à tous,
Je viens tout juste de découvrir ce forum et pourtant j'aurais déjà eu tant de choses à y écrire...
Ma meilleure amie nous a quitté en 2006, cela fera bientôt dix ans jour pour jour. Nous avions alors seize ans toutes les deux. Elle s'est suicidée.
J'ai reçu la nouvelle comme un coup de massue, ou plutôt sur l'instant comme une blague. Elle qui riait tout le temps, elle avec qui j'avais ri au téléphone moins de 12h avant son passage à l'acte, je n'y croyais pas. Je n'y crois toujours pas. Pourtant cela fait dix ans que ces femmes sur qui je me retourne dans la rue ne sont décidément pas elle.
J'ai vécu les six premiers mois dans un brouillard opaque dont je ne retient que quelques éléments, une convocation à la gendarmerie pour entendre dire "inutile de chercher une raison, c'était une adolescente" (tout comme moi!), un enterrement où j'ai entendu avec effroi quelqu'un éclater en sanglots bruyants avant même de réaliser que c'était moi et que quelqu'un m'aidait à tenir debout, le temps passé devant mon ordinateur à lui écrire des textes et des poèmes pour me vider la tête, le passage de mon bac dont je n'ai rien eu à cirer, mon entrée à la fac que mes profs ont choisi pour moi tant cela n'avait plus la moindre importance, les heures de pleurs impossibles et de sensation d'étouffement, mes parents bienveillants mais impuissants, mes amis que je fuyais, car ils avaient bien trop vite tourné la page.
Une grande partie de moi a disparu à cette époque. Je ne suis plus du tout la même aujourd'hui.
Je ne la connaissais que depuis deux ans, mais jamais avant elle ou depuis elle je n'ai partagé tant de choses avec une amie, elle était plus proche d'une soeur pour moi, à un âge où l'on a tant de choses à se dire...
Aujourd'hui pourtant j'ai tout ce dont je pouvais rêver ou presque: un copain formidable, un bel appart, un chien, une famille soudée, quelques amis, une tonne de projets.
Mais voilà, ce tragique anniversaire approche et je me sens aussi seule qu'à l'époque. Plus le temps passe et moins j'ose me confier, moins je m'autorise à déprimer ouvertement. Je pense que mes proches comprendraient, ou essaieraient, mais ils sont certains que j'ai tourné la page. Lorsque j'ai dit à ma mère que je souhaitais me rendre au cimetière à la date anniversaire bien que cela tombe en semaine, elle m'a répondu qu'attendre le week-end suivant ne changerait pas grand-chose, surtout après tant d'années.
Elle n'a pas tort. J'ai quand même trouvé cela blessant. Je ne l'écouterai pas, je ne lui en parlerai plus.
Cette fois, ce n'est pas de mes proches dont j'ai besoin.
En 2006 j'étais très proche de la famille de mon amie, je les appelais de temps à autre pour donner de mes nouvelles ou proposer une aide quelconque. Ils en étaient très reconnaissants. Mais eux aussi avaient leurs soucis et leur deuil bien différent du mien à gérer. J'ai fini par clairement me sentir de trop et j'ai prit mes distances. Ils ne m'ont plus rappelé. Je comprends très bien.
Je ne sais plus rien d'eux aujourd'hui. J'ai tenté de les retrouver sur les réseaux sociaux, en vain.
Chaque année à la Toussaint j'espère au fond de moi les croiser en me rendant au cimetière, et cette année tout particulièrement. C'est idiot mais j'aimerais juste échanger quelques mots avec d'autres personnes à qui elle manque autant qu'à moi. Je suis encore en contact avec des amis du lycée mais je suis prête à parier que 90% d'entre eux ont oublié jusqu'à son nom et c'est une vérité douloureuse à accepter.
Je veux garder son souvenir vivant, mais j'ai souvent la sensation d'être le dernier soldat debout sur le champ de bataille contre l'oubli. Devant sa tombe moins fleurie chaque année j'en viens à me demander si mon acharnement, si tout le temps que je passe encore à penser à elle, si le fait que même au bout de dix ans je serais prête à tout abandonner en échange d'un moment avec elle, si tout cela est... "naturel". Je ne sais plus trop quoi penser.
Comment vivez vous votre deuil, plusieurs années après ? Les anniversaires sont ils toujours aussi douloureux ?
Avez vous déjà renoué contact avec d'anciennes connaissances afin de parler ensemble de votre deuil ?
Merci pour votre temps et vos conseils !