Bonsoir,
voici les premiers éléments du scénario du film.
Bien à vous.
Un genou à terre
Avant-propos
C’était un lundi de printemps et il était encore tôt. Durant la nuit, le vent avait chassé les nuages et à présent, le soleil nous réchauffait. Nous étions devant l’hôpital, valises et cabas en mains. Désormais, ta chambre était vide et nous, nous étions abasourdis. Nous commencions à peine à comprendre que, maintenant, nous allions devoir faire sans toi, que ton chemin s’arrêtait là. Un autre chemin débutait désormais pour nous tous, tes proches : celui du deuil.
Cela fait aujourd’hui six mois que tu es partie. Me voici devant ta tombe et je me souviens. J’ai l’impression de revoir en accéléré toutes les images : l’hôpital, les examens incessants, la maladie qui creuse son sillon sans interruption, les faux espoirs de rémission. Et ton regard si puissant, et tes mots si rassurants. Et ta main si frêle, et nos adieux si émouvants.
Et puis, ce sentiment profond d’abattement que j’ai ressenti ce lundi de printemps. Je regardais le mouvement du monde autour de moi et je me sentais si faible qu’il m’était impossible d’y prendre part. Me relever et avancer? C’était au-delà de mes forces. Je venais de poser un genou à terre.
Une seule issue : me soumettre à ma faiblesse physique et psychique. Et accepter de laisser les proches s’occuper de tout. Survivre en faisant semblant, autant que possible, d’assurer. Un peu. Pour rassurer. Ne pas montrer qu’on a mis un genou à terre, pas trop. S’occuper des plus jeunes, des enfants, faire en sorte qu’ils trouvent toujours une épaule solide où s’appuyer, même si on a l’impression qu’on va s’effondrer d’un moment à l’autre.
Se replier en soi et resserrer les liens avec les autres pour faire corps avec eux et se soutenir, comme dans une mêlée de rugby. Mêler nos frêles énergies pour se sentir plus forts. Monter ensemble dans les montagnes pour se rapprocher des étoiles. De notre étoile.
Là-haut, sur un plateau perché à 2500 mètres d’altitude, face au Mont-Blanc, après une longue progression depuis la vallée, à la fois exténué et surpris par mes capacités physiques, je me suis assis sur l’herbe rase, j’ai regardé longuement le paysage. A perte de vue, une succession de sommets sombres ou immaculés de neige, une infinité de nuances de bleu dans le ciel. Et tout autour, le cri des marmottes, le vol des chocards, la musique des ruisseaux. C’est alors que j’ai ressenti ce besoin. Un besoin de cinéma. “Cinéma, mon compagnon de route, emmène moi encore une fois.” Je ne parviendrai à m’en sortir qu’en faisant un film.
Ce matin j’ai longuement regardé ta photo dans le salon. J’ai caressé cette image du bout des doigts, j’ai frôlé ton visage, tes cheveux, tes lèvres. J’ai souri, ému, silencieux. J’ai eu de la chance.
Souvent, j’éprouve le besoin de marcher. J’emprunte le chemin qui passe au dessus de la maison et je grimpe vers la crête. Là-haut, j’observe les nuages, je te cherche. On peut trouver cela un peu ridicule, je sais, mais je t’imagine, allongée sur le plus douillet d’entre eux, loin des souffrances, souriante et épanouie. Tu veilles sur nous, je le sais. Je n’ai pas peur.