Un an
Un an que cette putain de maladie t’a volé la vie.
Un an que la vie t’a arraché à moi.
Un an que mon cœur s’est brisé.
Comment accepter l’inacceptable ? Comment supporter l’insupportable ?
Je sais, mon cœur, que tu as lutté. Tu as combattu de toutes tes forces contre cette saleté. Tu voulais vivre. Tu voulais continuer le chemin emprunté tous les deux trente ans plus tôt. Trente ans de bonheur côté à côté. On a grandi ensemble, on s’est construit ensemble. On a construit notre vie, une belle vie, celle qu’on voulait.
Le 8 janvier 1986, à la sortie du lycée, je t’ai raccompagné à la gare, et nous avons échangé notre premier baiser. Et nous ne nous sommes jamais quittés. 11001 jours ; trente ans, 1 mois et 13 jours. Premier petit nid, premier job, fin des études, mariage, reprise des études. Nous avons construit notre petite vie tranquille, petit à petit. Nous avions des projets et nous nous sommes toujours donné les moyens de les réaliser. Tu nous as construit notre maison. Trois ans de ta vie sacrifiés à bosser comme un dingue. Mais le plus beau projet que nous avons mené à bien, c’est notre fille. Notre princesse. Tu en étais tellement fière. Tu étais son pap’s d’amour. Tous les trois, on était tellement bien, tellement heureux.
Tu m’as tellement apporté, mon petit cœur. Pas seulement ton amour. Tu as fais celle que je suis devenue. Nous avons toujours été complices. Tu étais bien plus qu’un mari, un amant. On était sur la même longueur d’ondes. Il te suffisait de poser ton regard sur moi pour savoir ce que je pensais. Tu m’as toujours choyée, devançant le moindre de mes désirs.
Ça fait un an que mon cœur saigne. Perdre son amour, sa moitié, son alter ego, ce n’est pas faire le travail d’un seul deuil, le deuil d’une personne. C’est faire aussi le deuil d’une vie à deux volée en éclat, c’est faire le deuil des projets...
Justement, ces projets, qu’est-ce que j’en fais, sachant que je ne peux les partager avec toi ? Nous attendions d’être en retraite pour nous acheter une maison en Guadeloupe. Savourer une petite vie tranquille, au soleil. En attendant, nous y allions aussi souvent que possible. Notre petit bout de caillou papillon. Qu’est-ce qu’on était bien sûr cette île. On y a passé des moments heureux. Et maintenant ? Je range ce projet dans une boîte à souvenirs... Comme tous les autres.
Tes bras me manquent, ton sourire, tes mots doux, tes blagues. Te retrouver le soir, en rentrant du boulot, te raconter ma journée, écouter le récit de la tienne. T’écouter me parler de ton travail, que tu aimais tant. Je t’appelais mon petit poète des fleurs. Avec tellement de talent, tu savais conjuguer les variétés et les couleurs pour créer de magnifiques massifs. T’entendre me réveiller, le matin, avec ta petite voix toute douce, et la bonne odeur de café me chatouillant les narines... Toutes tes attentions au quotidien !
Aujourd’hui, malgré cette absence physique, tu es toujours avec moi. Où que j’aille, quoi que je fasse, tu es dans mon cœur, dans mes pensées.
Mais il y a aussi cette colère, que je n’arrive pas à dépasser. Colère pour l’injustice de ton départ, colère contre les médecins qui n’ont rien pu faire, colère contre la vie qui nous malmène.
Colère contre ta famille qui nous a tourné le dos, à notre fille et à moi. Et je crois que tu serais aussi très fâché, si tu avais entendu les paroles-venin de ta mère. Elle n’a pas mis trois mois après ton départ pour montrer son vrai visage de sorcière. J’ai réglé le problème, je l’ai rayée de ma vie. Son comportement a été plus qu’abject, et ça me fait mal. Ce qu’elle m’a dit est une chose, mais son attitude envers notre fille est lamentable. Pas une fois elle s’est inquiétée de savoir comment notre petite crevette allait. Après tout ce qu’on a fait pour elle depuis le départ de ton papa. Pour une grand-mère digne de ce nom, je dis bravo. Bon, d’accord, je te vois venir avec ton petit sourire moqueur... Tu dirais que ça ne doit pas beaucoup déranger notre louloute. Mais en fait, si. Je crois que ça la blesse. Pour Noël, elle ne l’a même pas invitée. Pourtant, ils ont bien dû festoyer en famille. Est-ce qu’ils ont pensé un tout petit peu à toi ? Et là, je viens d’apprendre qu’elle avait invité toute la famille pour son anniversaire, tous sauf notre fille ! Et tes frères, idem. Pas une seule fois ils n’ont pris la peine d’appeler, juste pour faire coucou, savoir si on s’en sortait. Ils n’ont même pas cherché à savoir où tes cendres étaient dispersées. C’est sûrement parce que tu devais beaucoup compter pour eux. Ça me rend malade ! J’ai aussi appris que ta sœur et ton frère avaient prévu de se marier cette année, et que ton autre frère s’était pacsé l’an dernier. Bien sûr, j’imagine qu’ils ne vont pas nous mettre au courant. Ta mère a dû sérieusement leur retourner leur cerveau. Puisqu’ils ne nous donnent plus aucun signe de vie. Quand je pense à tout ce qu’ils ont pu être hypocrites lorsque tu es parti, tous là avec leurs sourires mielleux, à me remercier pour la façon dont je t’avais accompagné, se disant tous derrière moi et autres niaiseries...
J’essaie de toutes mes forces de faire abstraction de tout ça, de me concentrer sur toi, mon petit chat. Je remonte le fil de notre vie, tous ces beaux souvenirs de moments heureux tentent de s’imposer dans mon esprit qui revient sans cesse à ces trois derniers jours à l’hôpital.
Un an que ma vie a viré au cauchemar. Tous les matins, en me réveillant, je mets un certain temps à réaliser que tu n’es plus là. Toutes les nuits, dans mon sommeil, je cherche ta main, et je me réveille effondrée de constater ce vide à côté de moi. En un an, la douleur est toujours aussi intense. Je me dis qu’elle va bien finir par avoir ma peau, et je pourrai alors te rejoindre. Mais voilà, impossible de rester sur cette idée. Je t’ai promis que je serais forte et courageuse pour notre puce. Je m’y efforce, mais que c’est dur !
En un an, même si j’ai l’impression que le temps s’est arrêté au 21 février 2016, il s’est passé quand même pas mal de choses. Des premières fois. Quelques jours à Barcelone avec notre fille, en juin dernier. Histoire de souffler un peu. Mais ces premières vacances sans toi ont été douloureuses. Puis en août, à Manchester. Marcher là où nous avions foulé le sol ensemble quelques années plus tôt a aussi été compliqué. Et enfin Londres à Noël, avec là aussi des souvenirs plein la tête de réveillons passés dans cette capitale. Il y a eu le repas de famille à Pâques, chez mes parents. Le premier sans toi. Nous étions tous tristes. Mes parents souffrent aussi énormément de ton absence. Et puis ton anniversaire, notre anniversaire de mariage, Noël, Nouvel an...
Après ton départ, le printemps est arrivé, avec lui les premières fleurs dans le jardin dont il a fallu s’occuper. J’ai fait ce que j’ai pu, de mon mieux, pour entretenir ton petit paradis. Mon papa est venu tondre chaque semaine. J’essaie aussi de m’occuper de la maison. Là encore, comme je peux. J’imagine ta bouille souriante, si tu me voyais bricoler... Avec mes deux mains gauches. Mais je réussis maintenant à changer une ampoule. J’ai même fixé l’antenne internet sur le balcon, changé le tuyau de la douche... Bon, pour la fuite à la salle de bain, va falloir quand même que je passe par un plombier.
Cet automne, j’ai planté des bulbes de jonquilles et d’iris. J’ai hâte de les voir fleurir. Elles sortent de terre, et les premiers bourgeons font leur apparition sur les arbustes. Je vais tâcher cette année encore de m’occuper du jardin avec amour, en essayant d’en faire un endroit apaisant, tout faire pour que tu sois fier de moi. Qu’est que tu l’aimais, ce jardin. Tu y as passé des heures, à planter, désherber, bêcher...
Sinon, tes affaires sont toutes là, intactes. Je ne peux me résoudre à m’en débarrasser. Je sais, tes vêtements seraient plus utiles à quelque-un que rangés dans ton dressing. Ta brosse à dent est toujours dans la salle de bain, tes chaussons dans l’entrée, ta voiture dans la cour. Peut-être qu’un jour, je serai capable de m’en défaire. Mais pas pour l’instant. Et le plus important à mes yeux, mon alliance. Elle est toujours à mon doigt. La tienne à mon autre main. Pas question de l’enlever.
Le bilan de tout ça, d’une année sans toi, mon cœur, c’est que je tiens debout. Je ne sais pas comment, tellement la douleur et le manque me déchirent le cœur. Mais j’arrive, au prix de bien des efforts, à me lever le matin pour aller travailler, j’essaie de soutenir notre crevette comme je le peux. Mais j’ai peur, de tout, tout le temps. Avant, je me croyais invincible, j’avais ta force en moi, et cette impression que rien ne pouvait m’arriver parce que tu me protégerais. Je fais face aux maladresse des gens. Je sers les poings dans mes poches. Une vraie carpette... Pourtant, avant, je démarrais au quart de tour. Tu m’appelais ton p’tit pittbull. Comme quoi, on change quand même. Enfin, il y a beaucoup de choses qui m’agacent, mais je n’ai pas envie de parler, expliquer, me justifier... Je connais ceux qui me comprennent et qui m’épaulent avec bienveillance. Les autres, je laisse couler. Donner le change lorsque je suis avec des gens, faire bonne figure, passer des nuits sans sommeil... Je suis épuisée. Toute cette énergie dépensée à tenter de garder la tête hors de l’eau. On ne peut s’imaginer, tant que l'on ne l’a pas vécu.
L’année passée, à cette même date, je quittais l’hôpital totalement brisée. Cette année, je suis en Bretagne, à mille kilomètres de chez nous. Pour aider notre puce à s’installer. Elle va faire son stage de master à Brest, pendant 6 mois. On s’est débrouillées comme des grandes, pour déménager son studio à Strasbourg, résilier bail, électricité, internet... Et trouver un studio sympa au bord de la mer. Tu serais très fière d’elle. Elle bosse comme une folle. Ses amis l’entourent bien. Elle a même sa voiture, maintenant. Bon, ok, je ne respire pas quand je la sais sur la route, mais elle est contente d’avoir un peu d’autonomie. Elle est belle, intelligente, volontaire. Elle reste digne malgré le chagrin qui l’assaille. Je l’aime tellement fort, tout comme tu l’as aimée dès que tu as su que j’étais enceinte. Malgré son petit caractère (de cochon, parfois), elle se montre très attentionnée envers moi. Ça me fait mal aussi de savoir qu’elle souffre. Elle avait encore tellement besoin de toi. J’essaie de ne pas trop l’étouffer, je l’encourage à vivre sa vie. Et j’ai mal de savoir que le jour où elle aura un enfant, elle ne pourra pas partager sa joie avec son pap’s et que ça la fera souffrir. Qu’elle aura plein de premières fois sans toi, alors que ton avis comptait tellement pour elle. Comment se réjouir de belles choses alors que tu ne seras pas là pour les partager.
Kiwi et Baie-Mahault, nos chats, m’apportent beaucoup de réconfort. J’ai l’impression qu’ils te cherchent, parfois. J’ai finalement adopté le petit chat gris qui squattait le chalet. Il a disparu quelques mois, puis il est revenu en septembre. Alors je l’ai emmené chez le veto pour vérifier s’il était pucé ou pas. Heureusement, il n’appartenait à personne. Alors je l’ai fait stériliser, je l’ai soigné car il était dans un sale état. Les deux zouzoupets ont eu un peu de mal à l’accepter au début, mais au bout de quelques jours, ils l’ont aussi adopté. Leurs câlins et leurs ronrons ne font du bien. Ils doivent sentir que je ne vais pas bien, ils sont encore plus collants qu’avant.
Il y a eu toutes ces choses nouvelles depuis un an, d’autres qui n’ont pas bougé. Parmi elles, tout l’amour que je te porte, mon cœur. Je t’aime tellement. Et ça, ça ne changera jamais ! Je ne sais pas combien de temps je tiendrai, combien je vivrai, mais tu resteras à jamais dans mon cœur.