Allez petit partage : le mail que j'ai envoyé à l'infirmière du collège de mon fils jeudi soir!! Je ne suis pas sûre qu'elle se sente très bien après l'avoir lu. Tant pis elle n'avait qu'à réfléchir avant de m'appeler
(Vous ne m'en voudrez pas, j'espère, je me suis permise d'emprunter certaines de vos jolies formules pour lui écrire)
Bonjour Madame,
Je me permets ce mail suite à notre entretien téléphonique. Je ne sais pas si vous connaissez les étapes d'un deuil et ce que cela implique dans la vie d'une famille et d'une personne, mais ce que je vis aujourd'hui est un réel tsunami, une blessure et une déchirure innommable, indescriptible tant la douleur est grande. Je suis fragilisée et seule. Cette solitude ne m'est pas propre mais existe réellement lors de la perte de son conjoint. Il faut faire face au quotidien, aux charges familiales seule, à l'administration car en plus de tout cela s'ajoute des démarches administratives lourdes, à la douleur de mes enfants, ma propre douleur, mon travail et ce avec une fatigue physique et une fatigue psychologique décuplées.
Suite à votre coup de fils, sur le temps de pause du midi de mon travail, je n'ai pu avaler une bouchée, je n'ai fait que pleurer et il m'a été très difficile de reprendre mon travail à 13h30, de me retrouver face à mes élèves, j'étais vidée. En sortant du travail, j'ai pleuré dans la voiture avant de me retrouver face à mes enfants en essayant de retrouver l'énergie nécessaire pour m'occuper de mes enfants et les entourer d'amour. Les devoirs n'ont pas été faits ce soir. Je n'ai pas pu.
Avec le recul, je ne comprends pas ce coup de fil, j'ai rencontré le professeur principal de mon fils ce lundi, donc 3 jours avant et le compte rendu qui m'a été fait était que les professeurs étaient contents de mon fils, de sa participation active en classe. A aucun moment ne m'a été nommée une seule inquiétude à l'égard de mon fils. Certes il était présent, mais il suffisait de lui demander de nous laisser seules quelques minutes.
Par votre coup de fil, je me suis sentie jugée, et blessée : mon enfant vient à l'école avec des vêtements sales, et pourrait même s'occuper de gérer le chagrin de sa mère. Alors certes, je suis loin d'être parfaite, mais je m'occupe de mes enfants malgré cette douleur insupportable que seules les personnes l'ayant côtoyée ou les personnes formées sur le deuil peuvent comprendre, je pense. En aucun cas mes enfants ne me gèrent. La maison est propre, la pelouse est tondue, la cheminée allumée le soir, le frigo n'est pas vide, mes enfants sont amenés chez le médecin, ils mangent des repas cuisinés, mijotés, des crêpes maisons au petit déjeuner et des cookies fait maison au goûter, comme avant et ce malgré cette douleur indicible, éreintante et constante, du réveil au coucher. Ils ont une oreille attentive et des câlins, leurs draps sont lavés, leur linge aussi. Alors certes, je n'ai pas fait attention à son manteau,et ne l'ai pas lavé depuis le mois de février, mois d'acquisition de son manteau ; et lorsque je lance une machine, je ne prends plus le temps de détacher le linge, cette activité je la fait comme un robot, machinalement, je lance la machine, j'étends le linge, je le plie et je le range sans réfléchir, sans même me rendre compte de ce que je fais. Alors oui, il reste peut-être des tâches mais je ne les aperçois même pas.
Avec cette épreuve, ma tolérance est réduite, et ma sensibilité exacerbée.
Alors ce soir j'ai discuté avec mon fils, comme tous les jours où il en éprouve le besoin. Je lui ai demandé si le fait de vous parler lui avait fait du bien, il m'a répondu oui, mais pas plus que lorsqu'il me parle, il m'a clairement réaffirmé qu'il ne voulait pas voir de psychologue. Il m'a redit que son papa lui manquait, est-ce anormal ? Il a eu une période de déni (plus ou moins longue et propre à chaque endeuillé), aujourd'hui il se reçoit de plein fouet la mort de son papa. Il ne reviendra pas. La douleur est très présente, mais malheureusement seul le temps va pouvoir l'éroder, il va mettre des mots sur ses maux, et devoir attendre que ce chagrin soit usé par le temps.
Par contre il m'a reparlé du collège, il n'en peut plus, il n'en peut plus des devoirs scolaires, on arrive en fin de période et il a besoin que ça s'arrête, il a besoin de vacances. Mais souvent pendant les vacances, il y a là aussi une grosse charge de travail. Les efforts et le temps que fournit un enfant pour faire ses devoirs scolaires sont beaucoup plus importants pour Gabriel. Il fait de gros efforts pour se maintenir, et moi aussi pour l'accompagner. Ce temps que nous prend le collège est énorme, et aujourd'hui nous avons envie et besoin d'autre chose. Je le fais pour lui mais ça me coûte énormément. Je le motive, je l'accompagne pour ne pas qu'il s'effondre, parce que je sais que ça ne lui ferait qu'un peu plus de mal, mais je vous avoue que je n'y vois pas beaucoup de sens. Le weekend de l'anniversaire de son papa, il y avait des devoirs, le weekend de la dispersion des cendres il y avait aussi des devoirs, peu importe ce que nous vivons, il y a toujours des devoirs. Aujourd'hui il a manqué une heure de cours en allant à l'infirmerie et ce soir je n'étais pas disposée à aller chez son ami récupérer ce cours et le lui faire rattraper. Demain il a une évaluation dans cette matière, alors tant pis, (le document fournit en cours guidait cette évaluation). Moi je fatigue
Son médecin traitant, (formé sur le deuil) l'accompagne pour son poids, je le surveille aussi. Dans un deuil il est avéré que l'alimentation est touchée, il n'est pas rare de combler son vide en mangeant, ce qu'a fait mon fils, ou en perdant l'appétit, ce que j'ai fait. Chacun réagit comme il peut.
Je vous écris ce soir car, après avoir couché mes enfants, je n'ai pu trouver le sommeil, car durant un deuil le sommeil est perturbé aussi, et notre entretien téléphonique a suffit pour m'empêcher de dormir. Et plus je manque de sommeil, plus c'est compliqué pour moi de gérer ma souffrance et du coup mes enfants, l’entretien de la maison…
Alors en voulant m'alerter vous avez fait plus du mal qu'autre chose.
Certes à partir d'aujourd'hui, je vais faire attention à son pull et son manteau avant qu'il parte au collège le matin, mais je ne suis pas certaine que ce soit le plus important.
Il est probable que j'aurai dû prendre le temps d'écrire ce mail après que ma colère et ma tristesse, vis à vis de ce coup de fil, se soient atténuées.