Bonjour Thierry de l'Essonne,
Comme je te trouve courageux ! J’ai bien dis « courageux » et pas « fort ».
Je déteste quand les gens me disent « Vous vous en sortirez, vous êtes forte ». Quel degré de force faut-il pour s’en sortir ? Existe-t-il une échelle comme pour les séismes ? Comment peuvent-ils savoir ce qu’il y a au fond de nous, caché, tapi, sournois, brûlant, destructeur ?
Je n’ai jamais voulu porter de masque. Les gens me prennent comme je suis, et surtout, surtout, j’ai tout de suite « imposé » Pierre dans mon quotidien.
En famille, bien sûr, j’ai dû un peu lutter contre les silences lourds et les peurs de « faire des gaffes » ou de me faire mal et me faire pleurer, mais j’ai fini par avoir gain de cause. Pierre est dans nos conversations, maintenant et très naturellement. Nous pouvons rire ou pleurer, mais il est là.
Avec les autres, j’ai fait preuve de plus d’autorité : C’est moi et lui ou ni moi ni lui. Et du coup, je me sens moins seule en public. Nous étions plutôt sauvages et le monde des humains n’était pas notre truc.
Ce we de Pâques, comme vous tous, je me suis retrouvée avec des tas de gens - très gentils au demeurant – autour de moi qui m’ont dit comme si c’était un compliment : « Ah ! Nous sommes contents, vous allez beaucoup mieux, vous avez bonne mine, vous avez pris du poids… ».
Et, … j’ai DETESTE.
Paradoxe : Je fais tout pour « aller mieux » et je déteste quand on me dit que j’y parviens.
Pas paradoxe : Avec le temps, on apprend à contrôler, à paraitre, à mettre de coté son chagrin pour re regarder le monde, à faire semblant de s’intéresser, à ne pas bassiner l'entourage avec ses larmes, ses doutes, ses peurs… Et c’est gagné : « Vous allez beaucoup mieux ! ».
Et soudain, si je semble aller mieux, j’ai l’impression de trahir mon Pierre !
Je te trouve donc vraiment courageux, Thierry, tu parviens à la fois à laisser aller ton chagrin, en sachant que c’est indispensable et à te forcer à aller de l’avant, prendre des décisions qui t’obligent à sortir de ton lit.
Les anti dépresseurs, béquille chimique comme dit Yohann, mon médecin et ami me les a conseillés dès le début de la maladie de Pierre. Seroplex, qui est un régulateur d’humeur, Alprazolam, un AD et Lysanxia pour les très gros coups de cafard. Le premier et le second, j’ai peu à peu diminué les doses, à mon rythme. Le Seroplex, il n’y a pas d’accoutumance. Quand au Lysanxia, j’y ai eu recours de rares fois, quand je me sentais au bord d’une bêtise.
Il faut avoir une grande confiance en son médecin qui doit bien nous connaitre et ne pas faire des ordonnances comme des listes de courses.
Comme Daniel, j’ai décidé de « vivre » avec Pierre.
Photos, lettres, écrits, je collecte, raconte, compose, écoute… Chaque fois, cela peut être différent, chaque sourire, chaque grimace de lui, sur une photo me fait un bien fou, chaque larme est une perle d’amour. Il est parti mon bel Amour, mais je le garde précieusement avec moi.
Les groupes de soutien, je n’ai pas essayé, mais le forum, oui, c’est mon grand réconfort, ma drogue douce, mon rendez vous du matin, j’y pleure, je souris, j’ai le cœur gonflé de tendresse pour vous tous, je voudrais vous répondre, vous soutenir, vous aider, alléger votre peine… et c’est à moi que cela fait du bien.
Comme toi, les psy, j’ai vite fait une croix dessus. « Parlez-moi de votre enfance… » 40 €, au revoir docteur.
Comme on découvre une face cachée de ce monde que l’on semblait si bien connaitre !
Et comme nous voilà si différents de ce que nous étions avant.
Un pas après l’autre, une respiration après l’autre, un jour après l’autre…
Marina