Je sais pertinemment que je ne referai jamais ma vie car je sais ce que je ne veux plus. Y' en a qui savent ce qu' ils veulent, moi je sais ce que je ne veux plus. Plus jamais je n' affronterai le cancer de l' autre, le veiller jours et nuits, le voir souffrir et rester impuissante, s' entendre dire "fais quelque chose, aide-moi, je t' en supplie". Ces phrases désespérées de mon mari qui ne voulait pas mourir, non non et non, je ne veux plus les entendre, plus jamais je ne serai le "conjoint survivant", quelle horreur cette expression. Oui survivant, on survit, c' est bien trouvé. Pasque l' administration a le génie de nous trouver des mots habituellement galvaudés, du type: trimestre pour la retraite quand j' ai fait mon dossier retraite. Il me manque 3 trimestres dans toute ma carrière monsieur, j' ai bien recompté. Non mâdâme, un trimestre ce n' est pas trois mois, un trimestre c' est un point, et un point c' est X (francs de l' époque) euros. Il y a trois fois dans votre vie où vous n' avez pas atteint le point financier, donc le trimestre ne peut pas être validé. Et toc! Et pour ma pension de reversion? Non madame, ce n' est pas une reversion, on ne vous reverse pas, c' est une pension de Réversion (ééééééé), donc elle est réversible, donc on ne vous donnera que ce qu' on admettra bon de vous donner et dans la mesure où elle est ré(ééééééé)versible, elle pourra sauter selon notre bonne volonté. A vot'bon coeur monsieur, allez-y!
Bon bref, je ne veux plus de compagnon à mes côtés, seulement des relations amicales, mon cousin Didier pour aller à la pêche à l' occasion, l' autre beldoche pour aller lêcher les vitrines, tel club pour telle activité, garder les petites filles, la cuisine pour les enfants, le jardinage etc. C' est vrai que la solitude est pesante, on n' a personne avec qui échanger même des banalités, parler de tout de rien, aller au restau ensemble car jamais je n' irai au restau toute seule, non plus au cinéma, ce sera avec d' autres personnes, pareil, voyager seule, pas question, bref, on ne peut pas tout avoir mais plus jamais, au grand jamais, je ne vivrai ce cauchemar, ce bagne, cette ignominie d' accompagner un conjoint souffrant-mourant. Je ne réagirais peut-être pas de la même façon si c' était un divorce ou séparation mais là, non, j' ai touché le bas fond de la misère humaine, le terrible outrage de la maladie, la déchéance humaine, le naufrage d' un être humain. Terminé pour moi, je mourrai seule, veuve, ce sera bien assez.