Voilà, cela m’a pris un peu de temps mais je suis parvenue à rassembler ce qui me paraissait important, ce qui m’a marquée… Il y aurait encore bien des pages à écrire, mais vous finiriez par vous lasser… Déjà, là, je ne suis pas sure que vous lirez tout du début à la fin, mais qu’importe, ce retour en arrière m’a fait beaucoup bien car j’ai réussi à dépasser ce moment où je restais bloquée sur un seul souvenir : son dernier regard… Merci PiMa…
Avant Lui…
Je viens d’avoir 59 ans et je vis à Melun.
Originaire de la région ouest de Paris. Ma première vraie histoire d’amour a été douloureuse, doublement trahie par celui que j’aimais comme une folle et une amie (du moins je la considérais comme telle). J’ai eu du mal à m’en remettre et je me suis jurée : plus jamais ça… Lorsque j’ai rencontré celui qui fut mon premier mari, je n’étais pas amoureuse. Il me faisait rire et je « l’aimais bien », nous aimions les mêmes choses et cela me paraissait suffisant. Je pensais que la tendresse faisait moins mal que l’amour. Une phrase, pourtant, de ma grand-mère est restée gravée dans ma mémoire lorsque je lui ai annoncé que j’avais accepté d’épouser JP : «ma chérie, il faut beaucoup d’amour pour vivre à deux car il faut beaucoup pardonner, tu es sure de toi ?» Peut-être avait-elle deviné mon état d’esprit… Je suis donc partie vivre en Bretagne pour me marier avec mon Breton et je suis restée mariée 26 ans avec lui. J’ai eu 3 garçons de ce premier mariage, qui ont été mes plus belles réussites et mes plus grands réconforts… La petite phrase de ma grand-mère me revenait souvent lorsque je sentais un grand vide en moi, mais il suffisait que je pense à mes enfants que j’adorai pour combler ce vide. Je n’étais plus femme mais simplement une mère je m’en contentais plus ou moins… Et puis j’avais fermé les yeux sur ce que je considérais au début de mon mariage comme un « travers » de JP en ce qui concerne l’alcool, mais au fil des années, je me suis aperçue que c’était bien plus grave et qu’il refusait de l’admettre en m’affirmant qu’il pouvait s’arrêter quand il voulait. Alors, à plusieurs reprises, il promettait et « voulait » pendant quelques mois, puis il reprenait ses habitudes… avec tous les problèmes que cela engendrait. Ma tendresse pour lui s’est transformée peu à peu en rejet, je ne le supportais plus mais j’ai voulu attendre que mes garçons soient en âge de comprendre et de voler de leurs propres ailes pour quitter leur père.
J’avais 48 ans quand je suis partie « avec » rien, sans travail, ni logement, mais avec la certitude que je m’en sortirais. Pour ce faire je suis revenue vivre en région parisienne chez une de mes tantes qui m’a hébergée le temps qu’il a fallu. Après une remise à niveau, j’ai eu la chance de trouver un emploi de secrétaire dans le BTP, et à la suite, un logement.
Avec lui…
Trois années se sont écoulées, je me suis reconstruite tout doucement et je pense que j’étais prête pour une nouvelle histoire. C’est à ce moment de ma vie, début octobre 2003, que j’ai fait la connaissance de Gilles dans le cadre de mon travail. Gilles était chauffeur-routier et de façon tout à fait exceptionnelle il a fait une livraison de matériel dans l’entreprise où je travaillais.
Nous nous sommes plus au premier regard et nous avons pu parler un peu en buvant un café. Beaucoup de mots en quelques minutes : j’ai appris qu’il habitait Melun, en Seine et Marne, où il vivait seul, qu’il avait également 3 enfants, que le dernier avait 13 ans. Puis, au moment de se quitter, sur un morceau de papier vite griffonné : nos numéros de portables échangés… Très vite il m’a appelée, puis le lendemain, le surlendemain et puis tous les jours jusqu’à ce qu’il me demande un vrai rendez-vous.
Nous nous sommes retrouvés un 22 novembre, c’était en 2003 (date inscrite dans ma mémoire pour toujours).
Notre première vraie rencontre a été magique, nous étions très à l’aise, comme si nous nous connaissions depuis très longtemps et j’ai retrouvé instantanément cette attirance que j’avais eu la première fois que je l’ai vu. Nous avons passé la journée ensemble, il faisait beau ce jour-là : promenade sur les bords de Seine, restaurant… Nous nous sommes découvert des trésors de points communs, nous avions les mêmes goûts dans différents domaines… Puis l’heure de la séparation est arrivée très vite, trop vite : nous avons eu du mal à nous dire au revoir. C’est à cet instant que nous avons échangé notre premier baiser, juste avant qu’il ne me quitte. Il m’avoua par la suite que de son coté il était tombé amoureux dès notre premier regard. J’ai eu du mal à y croire, mais il m’assurait que c’était réel.
Nous ne pouvions nous voir que le week-end, alors chaque matin et chaque soir il m’appelait. Je prenais la route chaque vendredi soir, après la fermeture du bureau, pour le retrouver chez lui, mais chaque fin de week-end les séparations étaient de plus en plus difficiles. Alors très rapidement il m’a demandé de venir vivre avec lui. Ce que j’ai bien sur accepté avec un immense bonheur.
Avec lui je me suis « re-sentie » femme… femme aimée, femme désirée. Je me sentais belle à ses yeux, et ses bras me rassuraient.
Malgré l’amour que j’avais pour lui, je ne tenais pas me remarier : la peur d’un nouvel échec, peut-être… Mais Gilles ne se décourageait pas et il me refaisait sa demande tous les ans. Jusqu’en 2010 où j’ai fini par accepter. Je me souviens que nous étions en week-end chez mon fils ainé et sa petite famille, nous dormions dans le canapé de la salle à manger, c’était le matin de très bonne heure, nous avions mal dormi et j’étais dans ses bras. Plusieurs fois il m’a répété : « épouse-moi, mon cœur, épouse-moi… » je lui souriais, sans répondre, alors il m’a regardé me disant d’un air faussement étonné « Bébé, tu ne veux pas de moi ? » Puis nous avons ri, c’était presque devenu un jeu entre nous… Ce n’est qu’une fois rentré chez nous le soir que je lui ai murmuré à l’oreille « oui, mille fois oui, je veux de toi ». J’ai vu ses yeux s’illuminer… Mon dieu quel moment inoubliable… c’était en mars 2010 et nous nous sommes dit « oui » le 16 juillet 2010, en Bretagne, chez mon père.
Gilles, après 25 ans de conduite, avait droit à un genre de pré-retraite, il ne travaillait donc plus depuis février 2009 et nous pensions bien profiter de cette nouvelle vie.
Il m’a donné des jours extraordinaires parce qu’il était spécial ; tous ceux qu’ils l’ont bien connu m’ont dit que c’était quelqu’un qui marquait les esprits et qu’on ne pouvait faire autrement que de l’apprécier, il avait gardé ce coté enfant qui me faisait rire, il cultivait ce petit grain de folie dont il s’amusait beaucoup, il avait un cœur en or, une belle générosité et une grande sensibilité. Je me souviens l’avoir vu pleurer quand l’émotion était trop forte, qu’il soit concerné ou non. Dans ces moments-là, il s’isolait car il ne voulait pas qu’on le voit. J’avais beau lui dire qu’il n’y avait pas de honte à montrer sa sensibilité, il voulait continuer à montrer l’image d’un homme « fort ». Je pense que cela est du à sa petite enfance avec un père qui n’était pas digne de l’être. D’ailleurs il en parlait très peu et le minimum qu’il m’en ait dit était abominable.
Nous partagions l’amour des voyages et m’en a offert de très beaux. Le premier de ces voyages, certainement le plus beau parmi ceux que j’ai eu la chance de faire avec lui, a été le Vietnam en 2005. Une découverte magique, des paysages magnifiques, un peuple humble, accueillant, souriant. Puis il y a eu la Bulgarie, la Tunisie, La Californie. Cette année, nous devions faire une croisière sur le Nil, il savait que pour moi c’était un rêve de longue date, puis en 2013 un safari photo au Kenya (la photo était une de ses passions) et puis l’Inde en 2014…
La maladie…
En mai l’année dernière, nous devions aller en Thaïlande pour notre voyage de noce… mais en ce début d’année 2011, la maladie est venue bouleverser tous nos projets et nous avons été contraints de tout annuler…« ce n’est pas grave, on ira plus tard… » M’a-t-il dit
Fin février, les médecins ont diagnostiqué un cancer du poumon à Gilles, non opérable. Après maints examens, il a commencé son traitement de radiothérapie et chimio, début mai. Lorsque nous avons appris cette nouvelle, j’ai eu très peur car je sais que le pourcentage de guérison d’un cancer du poumon est très peu élevé, mais au fur et à mesure que Gilles avançait dans son traitement, l’espoir est vite revenu car il le supportait très bien, de plus, il avait un moral à toute épreuve et les médecins eux-mêmes étaient optimistes en nous répétant qu’il était sur la bonne voie de guérison.
Mais le 22 juin, appel du pneumologue : Gilles avait un taux de globules blancs extrêmement bas et donc plus aucune défense immunitaire. Résultat : hospitalisation d’urgence, dans une chambre en isolement. Rien de vraiment inquiétant puisque cela lui était déjà arrivé une fois et après 2 transfusions et 3 jours d’hospitalisation, tout était rentré dans l’ordre.
Mais cette fois, le médecin ne parvenait pas à faire remonter ses globules blancs et à endiguer l’infection malgré les transfusions et les antibiotiques qu’il lui administrait. Sa fièvre oscillait entre 38° et 40°, elle ne baissait pas et puis, il ne mangeait plus. Je passais tous mes après-midi avec lui (avec les précautions d’usage), souvent il s’endormait en ma présence et lorsqu’il se réveillait, il s’en excusait. Je lui disais bien évidemment qu’il pouvait dormir tant qu’il en avait besoin, que j’étais là et heureuse d’être près de lui, qu’importe s’il dormait ou non. Il avait besoin d’aide pour se lever car il y arrivait difficilement jusqu’au jour où il ne parvint même plus à s’assoir. Je lui faisais sa toilette (il ne voulait pas que ce soit les infirmières qui le fassent) et des massages sur ses points d’appui qui devenaient douloureux. Je me souviens que lorsque nous nous sommes connus, il pesait 80 kg pour 1.78 m et avant son hospitalisation, il ne faisait plus que 56 kg. Je sais que pendant son hospitalisation il avait encore perdu du poids. Je le voyais s’affaiblir chaque jour, Lui, mon homme fort et musclé n’avait plus que la peau et les os…Le pneumologue me parlait de l’endormir et de l’intubé si son était venait à s’aggraver, tout cela afin de parvenir à mieux combattre son infection avec des antibiotiques beaucoup plus puissants tout en l’aidant à respirer et en le mettant sous morphine pour qu’il ne souffre pas. La veille du jour où cette décision a été prise, Gilles m’avait promis que, même si c’était difficile, il continuerait à se battre. Je lui ai dit que je le savais courageux, que j’avais confiance en lui et surtout que je l’aimais très, très fort.
Dans la nuit qui a suivi, le 5 juillet, le téléphone a sonné à 5 h 30 : c’était l’hôpital qui me prévenait que Gilles a été en grande détresse respiratoire et qu’il avait été emmené en réanimation dans un autre établissement, hors de Melun. Lorsque je suis arrivée dans ce nouveau service à 20/25 mn de Melun, j’ai été reçue par un médecin qui m’a annoncé sans ménagement que même s’il parvenait à le guérir de son infection, Gilles allait (textuellement) « de toute façon mourir de son cancer ». Inutile de vous décrire le choc que j’ai eu à cet instant, je crois que c’est plus la manière dont ce médecin me l’a annoncé que l’annonce elle-même qui m’a porté ce coup en pleine face, comme un uppercut qui m’a laissée KO… A l’hôpital de Melun, 1 pneumologue et 1 cancérologue le suivaient, ils m’avaient prévenue que l’état de Gilles étaient préoccupant et qu’il était difficile de se prononcer sur son pronostic vital tant que ses globules blancs ne remontaient pas et tant qu’ils ne parviendraient pas à le guérir de son infection, mais ils avaient pris des précautions, ils m’avaient tout de même un peu ménagée en me laissant malgré tout un tout petit espoir… mais là !!! Plus rien, le néant…
Gilles est resté en réanimation 12 jours… 12 jours où j’oscillais entre espoir et désespoir car un jour il allait mieux, un autre jour il allait plus mal puis le lendemain son état était stationnaire… L’avant-veille de son décès un médecin (pas le même que la première fois où je suis arrivée) parlait même d’envisager de le réveiller, de stopper les antibiotiques et de le désintuber car son état s’améliorait. L’espoir revenait de nouveau… il fut de courte durée car le jour suivant ce même médecin m’annonçait que l’état de Gilles s’était profondément dégradé en peu de temps et qu’il fallait que je me prépare car ce n’était plus qu’une question d’heures, voire peut-être une nuit. Là, je me suis effondrée, anéantie, je ne sais pas combien de temps je suis restée ainsi ; je voyais et j’entendais les infirmières autour de moi, mais j’avais l’impression d’être ailleurs, dans un monde où le temps n’existait plus… J’ai appelé ses enfants, sa mère, ses frères, son meilleur ami dans un état second pour leur dire que Gilles allait nous quitter puis je suis allée dans sa chambre... attendre… lui dire combien je l’aimais… que je le relevais de sa promesse… qu’il pouvait partir sereinement, sans crainte… que tout irai bien… qu’il ne s’inquiète pas…
Pendant ces 12 jours de réanimation, des petites bandelettes collantes lui maintenaient les yeux fermés, mais ce dernier jour, ses yeux étaient ouverts (oubli des infirmières ??). J’ai plongé les miens dans son regard en priant pour qu’il me voie… je le suppliais à voix basse de me faire un signe s’il m’entendait, ses yeux ont légèrement bougé alors j’y ai cru… Ont-ils vraiment bougé ? Était-ce seulement une illusion parce que c’était ce que je souhaitais plus que tout ? Même si son regard semblait absent, vide de toute vie, j’ai voulu y croire…
Sans Lui…
Le lendemain mon fils ainé Yannick et sa femme Claire sont venus déjeuner avec moi pour qu’ensuite nous allions voir Gilles. Mais la terrible nouvelle est tombée lorsque nous sommes arrivés à l’hôpital : Gilles était décédé à 13 h 15. Les infirmières avaient essayé de me joindre, mais nous étions sur la route…
Chaque jour, pendant ces 12 jours de réanimation, j’allais le voir à 13 heures (c’était l’heure du début des visites) quelquefois même un peu avant, les infirmières étaient très compréhensives. Mais le jour où il est parti, j’ai pris un peu de retard du fait que Yannick et Claire étaient venus à la maison et je suis arrivée ¼ d’heure trop tard. Je m’en veux terriblement de ne pas avoir été là au moment de son départ, il est parti seul, sans que je sois près de lui.
J’ai beau me dire que c’était peut-être son choix, mais je me dis aussi qu’il n’a peut-être pas eu la force d’attendre encore ¼ d’heure…
Une amie m’a dit récemment qu’elle était en colère contre lui, elle lui en voulait d’être parti. Je lui ai répondu qu’il ne fallait pas parce que lui aurait préféré continuer, il aimait tellement la vie, il l’a croquait à pleines dents, il profitait de tout ce qu’elle pouvait lui offrir, il était la gaieté personnifiée et malgré cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête, il continuait à faire des projets d’avenir.
Non, moi, je n’ai pas de colère envers Gilles car je sais qu’il a fait tout ce qu’il a pu pour rester vivant, qu’il est allé jusqu’au bout de ses forces. Je l’ai admiré et je l’admire encore pour tout ce courage.
J’aimerais avoir sa force et son courage pour continuer le chemin sans lui mais je ne sais pas où les puiser...
Voilà, c’est mon histoire, notre histoire à Gilles et moi.
La fin de l’histoire, vous la connaissez car vous vivez la même…
Affectueusement,
Ghislaine