Tabarka_ Tunisie _ Hotel Morjane _ 1970
Il n'y avait qu'un seul hotel sur la plage de Tabarka , sur la cote nord de le Tunisie , près de la frontière algérienne . Un hotel tout neuf , une plage toute propre et moi , tout jeune.....
Odile , toujours en quete de compagnons , était " tombée en amour " de Said . Un grand et pur amour , plein de calins , de mamours de papouilles , et de grands coups de langue!
Said c'était un bébé dromadaire ( on dit chameau , là bas ....)de quelques mois , dont la mère , une travailleuse , promenait les touristes, surtout allemands , le long du rivage.
Or , un jour qu'on suivait le bord de mer , Odile à la recherche de coquillages , et moi des derniers phoques , qui survivaient sur les rochers , à quelques encablures , on vit le petit Said s'approcher , avec crainte , le museau en l'air , se dandinant , curieux mais prés de s'enfuir si l'on tentait une approche brusque ....Odile tendit la main , bien à plat et il vint la renifler , puis lui envoya un coup de langue , qui la trempa jusqu'au coude ! .....Et ce fut le Coup de Foudre ! " The" coup de foudre ! A rendre jalouse sa mère , qui gagnait sa croute , mais qui gardait un oeil attentif sur son rejeton ....Le chamelier s'approcha , sortit les mains des manches de sa djellabah , et cérémonieusement , ota son chèche rouge , faisant ainsi luire son crane rasé de frais au soleil :
- Ti veux acheter Said , et li ramener en France ?
- Non , mais on est devenu copain ! Said ?
- Oui , Said , et la maman Fafa ! Said , déjà il t'aime !
Franchement , je me voyais mal revenir avec ce bétail là ! A Boulogne , je n'aurai meme pas su ou le garer !
De ce jour , et durant les trois semaines de notre séjour , Said ne quittait plus Odile , et la suivait partout ! Quand elle allait se baigner , il l'accompagnait jusqu'au bord de l'eau , et blatérait avec désespoir si elle s'éloignait du bord !
- Vas pas là ou t'as pas pied !!! lui criait il ( ben , évidemment que je parle le chameau couramment , tiens ! ) C'était devenu tellement rituel que toute la plage attendait , sous sa paillote , les facéties de Said et Odile , l'attraction , quoi .......
Il ne voulait des caresses que d'elle , et n'acceptait meme pas que je m'approche ! Odile , comme à son habitude faisait , au buffet de l'hotel , dès le petit déjeuner , ample provision de victuailles diverses , ce qui réjouissait fort le chamelier :
- Il va devenir un éléphant , si tu lui donnes tout çà à manger !
Odile "arrosait" aussi le chamelier , mais Fafa , la mère refusait tout contact !
- Elle est jalouse ....disait elle en rangeant soigneusement ce que la Fafa s'obstinait avec acharnement de gouter !
- Tant pis pour toi ! çà en fera plus pour les autres !
Bon , on peut s'étonner qu'Odile discutait avec les animaux comme elle l'aurait fait avec moi , mais je l'ai vue engueuler des objets qui refusaient de se plier à sa volonté , et de les prévenir que s'ils refusaient d'accomplir la tache assignée " ils ne perdaient rien pour attendre " !
Et , en général , ils terminaient leur vie en mille miettes , au fond de la poubelle !!! c'est que je connaissais l"Odile" par coeur , moi !
Prenant de plus en plus d'assurance et de confiance , Said venait se coucher près de notre paillote , et restait là , couvant Odile d'un regard amoureux , ses quatre pattes repliées sous lui ............
J'ai gardé une photo des deux tourtereaux , l'une enlaçant le cou de l'autre...........
Un matin , notre voisine , sur la plage , voulut absolument offrir une friandise à Said , qui détourna la tete , dédaigneux ....
Dépitée , la dame regagna sa paillote puis se dirigea vers la mer ...à peine avait elle parcouru dix metres , que voilà le Said qui se léve et se dirige vers la serviette de bain de la malheureuse donatrice . Et je le vois revenir triomphalement , tenant entre les dents , le grand chapeau de paille orange de la baigneuse ! Odile n'avait rien vu , occupée à ses mots croisés , mais quand je la prévins du vol caractérisé accompli par son protégé , elle se leva pour tenter de récupérer l'immonde galure de notre voisine , Said , croyant qu'on allait jouer , se mit à cavaler sur la plage , et disparut avec le fruit de son larcin , derrière une dune , ou se tenait sa mère ...
- Ils sont tous les deux en train de boulotter le "capiau" ! faut dire qu'il est drolement tarte son chapeau !
.......peu de temps aprés , la dame revint , et se mit en quete du couvre chef..........
Perplexe , elle arriva vers nous , tout sourire :
- Fous afez pas fu mon japeau, matame ?
L'air étonné , Odile avec dans la voix un accent de sincérité , et un grand sourire innocent , désigna le coté opposé à la fuite de Said:
- Il y a eu un gros coup de vent , par là !
...Et la dame partit à la recherche de son chapeau, d'un pas alerte !
- Quand meme , t'exagères !
- Ooooh , de toute façon , elle va s'arreter à la frontière !
Said ne fit sa réapparition que le lendemain , frais comme un gardon!
- Ouf ! mon gentil Said ! je croyais que tu étais malade , moi , à force de manger des saletés !
Notre teutonne voisine avait acheté un nouveau chapeau , encore pire que l'autre ! Meme Said n'en n'a jamais voulu !
En quittant le Morjane , Odile prit l'adresse du chamelier , qui nous écrivit pour nous donner des nouvelles de Said .....Je dus envoyer la photo du couple séparé , mais je me demande si le Said l'a gardée ?
Nous ne sommes jamais retournés à Tabarka , et je vous raconte cette histoire , car hier , en rangeant des photos , j'ai retrouvé Said et Odile , avec , au dos de la photo , au crayon , cette simple phrase : O+ Said , mon gentil petit chameau , 1970 .
Si le Paradis existe , je vous dis pas le cirque que je vais trouver là haut , le jour ou je vais me pointer !