Bonjour Real,
Comme Tiobob, je comprends votre réaction. Mais comprendre ne veux pas dire adhérer. Que vous ne puissiez oublier la scène de votre fille poignardée est normal. En vouloir à votre femme, l’est aussi, même si on ne peut guère en vouloir à quelqu’un qui ne maîtrise ni ses pensées ni ses actes.
Il ne s’agit pas pour vous aujourd’hui de « faire la paix » avec elle, mais de comprendre ce qui a pu se passer pour vous délester du sentiment de culpabilité qui semble vous coller à la peau. Ce n’est pas en rejetant la maladie de votre femme que vous y parviendrez, mais en la reconnaissant enfin : en vous disant que, précisément, vous ne pouviez pas savoir jusqu’où cette maladie pourrait la mener. Si déjà votre femme était reconnue « malade », c’est qu’il y avait un problème grave. Elle avait déjà eu un comportement violent à votre égard, six ans plus tôt, et elle était sous traitement. Un traitement que, dites-vous, elle faisait semblant de prendre. C’est le propre de tous les malades psychologiquement atteints : dès qu’ils se sentent « bien », ils arrêtent leur traitement et peu à peu, sombrent de nouveau dans la maladie, ou plus exactement, se font rattraper par la maladie qui ne les a pas quittés. Les maladies liées à un dysfonctionnement du cerveau sont du même ordre que celles liées à un dysfonctionnement des cellules ou de n’importe quel autre organe. Mais le cerveau est l’organe que nous connaissons le moins parce qu’il est plus complexe que tous les autres qu’il régit en grande partie.
Votre discours est toujours empreint d’un manque de prise en compte de ce qu’est précisément la maladie et la souffrance (terrible)…des malades « mentaux ». Je me demande dans quelle mesure votre agressivité à l’égard de la psychiatre qui a répondu lors de l’émission sur France inter que le tueurs des enfants aux U.S.A. était un « malade », ne vient pas d’une sorte de culpabilité que vous tentez d’éradiquer sans y parvenir. Certes, votre femme n’avait pas une bronchite, elle n’était simplement plus en possession de ses moyens de raisonner ou de contrôler ses émotions, ni même peut-être, ses souvenirs. Dans la tête, quand le cerveau dysfonctionne, tout peut se mélanger. Quoi que vous en disiez, l’acte du jeune homme qui a tué enfants et adultes aux USA, relève bien d’une maladie définie comme un « état physiologique ou psychologique dans lequel le bon fonctionnement de l’organisme est affecté. » À moins de considérer que le cerveau n’est pas un organe, je ne vois pas comment on peut ne pas prendre en considération les maladies dites « mentales ».
Deux autres points me paraissent importants :
- Un mois avant l’acte, elle avait confié à votre cousin (auquel elle se confiait) "avoir de mauvaises pensées"
- Son regard que (vous avez) croisé quand elle plantait Rose (…) vous disait "regarde ce que je suis obligé de faire pour qu'on prenne mon cas en considération".
À mon sens, elle a tenté d’exprimer sa détresse auprès d’un proche (votre cousin). Elle avait peur d’elle-même et sentait que personne autour d’elle ne comprendrait ce qu’elle ressentait. C’était un appel au secours pour l’obliger à se soigner. Quant au regard que vous avez vu « quand elle plantait rose », c’était votre regard sur elle : c’était vous qui vous disiez brutalement « je n’ai pas pris son cas en considération ».
Il ne s’agit pas aujourd’hui de revenir en arrière ni de culpabiliser : Rose ne pourra pas renaître et votre femme restera la meurtrière de sa fille. Mais vous devez vivre avec ces deux deuils, parce qu’au-delà de celui de votre enfant, il y a aussi celui de votre femme, ensevelie à sa manière dans une « cage de verre » et cela, bien malgré elle qui aurait aimé vivre « normalement ».
Je ne sais pas comment vous expliquer ce que je ressens face à votre hargne à l’égard des malades mentaux. Outre mon fils, schizophrène mais non violent (soigné, suivi, aimé, compris depuis l’âge de 19 ans et il va en avoir 38 l’an prochain, j’en ai déjà parlé), j’ai eu une belle-sœur que j’aimais beaucoup et qui s’est suicidée à 45 ans…atteinte de psychose mélancolique. Une femme admirable sous bien des aspects, mais qui perdait pied… Je l’ai vue se couper (superficiellement) les doigts avec un couteau et me parler d’elle à la troisième personne : « elle est gentille, tu sais, elle ne veut faire de mal à personne… ». Les conflits intérieurs chez des individus dont les neurones ne fonctionnent pas normalement sont considérablement douloureux. Les barrières qui nous permettent de filtrer nos émotions et de les stopper n’existent plus chez eux. Les informations leur arrivent en paquets qu’ils ne parviennent pas à cribler. Maintes fois mon fils m’a demandé : « maman, ce qu je ressens, là, ça, est-ce normal ? Ce souvenir-là est-il juste ou non ? etc. » En proie à des hallucinations visuelles, olfactives, sonores, ils ne s’appartiennent plus. Sombrer ainsi est une horreur. L’angoisse pour eux est permanente. Et parce que dans notre société tout marche lentement, nous n’avons pas encore compris que les malades mentaux étaient comme les cancéreux. Ils ont besoin de soins et d’attention. Plus que d’autres d’ailleurs, précisément parce que leur maladie touche le cerveau, le raisonnement, les affects. Et quand ils sont soignés, contrairement à ce que vous dites, ils regrettent certaines actions, ils pleurent, ils souffrent. Leurs délires sont là pour leur ôter la souffrance insupportable : on appelle cela de la « décompensation ». Alors, en vouloir à votre femme ? Oui, bien sûr. Mais votre porte de sortie de l’enfer, vous ne la trouverez qu’en essayant de comprendre. Parfois, les efforts pour comprendre donnent des clefs pour vivre mieux.
Par ailleurs, j’ai bien entendu ce que vous disiez relativement à l’argent et cela ne me surprend pas. Ces personnes malades qui, épisodiquement, ne maîtrisent ni raisonnement ni émotion, sont au plus profond d’elles-mêmes conscientes que leur survie dépend de l’argent dont elles peuvent ou non disposer. Tout ne marche pas sur le même niveau. Je doute néanmoins que votre femme puisse vivre longtemps sans curatelle (au minimum). Il est fort possible que ses parents se soient portés garants pour elle. Un jour ou l’autre il y aura un dérapage et le problème se posera. J’ai joué ce rôle de garante pendant quelques années, puis j’ai demandé une curatelle : que mon fils prenne un taxi pour se déplacer entre la Drôme et Paris, c’était au-dessus de mes moyens ! Étiez-vous mariés, paxés ou rien de tout cela ? Votre situation m’étonne. Si vous n’êtes rien de tout cela, seuls ses parents pourront agir. Sinon, c’est à vous de le faire…de vous rapprocher des compétences en la matière et de voir comment gérer la situation.
Enfin, je ne crois pas que les psychiatres qui suivent votre femme puissent envisager de la « relâcher » comme vous le dîtes, sans l’acceptation de la préfecture, de ses parents ou de vous-même. Ne racontez pas n’importe quoi ! Et je le répète, les « sains d’esprit », les « lucides » ne le restent pas toujours ! Il n’y avait aucune « ineptie » dans ce que vous avez entendu à France inter. Vous n’êtes pas plus que moi ou quiconque d’autre à l’abri d’un « pétage de plomb ». Le deuil de votre fille est une immense blessure que vous garderez toujours en vous. Mais le reste doit aussi se gérer…et plus vous comprendrez, plus vous serez serein en regard de la monstruosité vécue. Je persiste : j’espère que vous me lirez et que nous échangerons encore.
Courage et mille belles pensées en cette fin d’année. Lamama