Auteur Sujet: Départ volontaire de ma mère  (Lu 7228 fois)

0 Membres et 1 Invité sur ce sujet

Mamouazelle

  • Invité
Départ volontaire de ma mère
« le: 18 février 2013 à 13:36:36 »
C'est assez délicatement que je viens vous parler du deuil que je traverse depuis un an et demi.
Je lis beaucoup de témoignages sur les suicides dont les proches ressentent colère, culpabilité, incompréhension.
Pour ma part, je n'ai ressenti et ne ressens aucun de ces trois sentiments.

Ma mère a mis fin à ses jours durant l'été 2011. Cela faisait onze ans qu'elle souffrait de bipolarité et était également maniaco-dépressive. Elle avait 59 ans. Au cours de ses premières dépressions, elle avait déjà fait des "petites" tentatives de suicide, sans jamais vraiment y parvenir, car à cette époque-là, c'était surtout des appels au secours plus qu'une réelle envie de mourir.
Dans ce que j'appelle ses "entre deux dépressions", ma mère pouvait soit aller bien, normalement bien, soit délirer complètement: achats compulsifs, hurlements et éclats de rire par intervalle de cinq minutes, etc. J'en passe. C'est assez difficile à expliquer aux proches qui ne savent pour leur part même pas ce qu'est réellement la bipolarité et mélangent tout. Si vous saviez comme ça m'agace d'entendre les copines dire de chaque personne qui a de légers sautes d'humeur: "Oula, celui-là/celle-là, est bipolaire!"
Bref.

Après onze de combats, ma mère se retrouvait à 59 ans sans espoir de retrouver du travail, fraîchement sortie de l'hôpital psy. Elle se retrouvait face à elle-même, et cette dépression étant la dépression de trop, elle a choisi de partir.

Ce qu'on ressent après? On ne réalise pas. Je ne réalise pas bien encore aujourd'hui. J'ai des phases où je vais bien, je mène ma vie, poursuis mon petit quotidien, et d'autres où je peux être prise pendant une heure d'une crise d'angoisse. Ca peut être pas le moindre petit mot insignifiant. Un exemple tout bête. En voyant les infos, l'année dernière, je voyais marquer "Présidentielles 2012" et Claire Chazal qui faisait le topo de tout ça... Et je me suis sentie comme au-dessus de tout ça, comme si tout ce qu'il y avait autour de moi était insignifiant, stupide, débile alors que ma mère, elle, n'était plus là. Un autre exemple, je peux bloquer sans prévoir sur un mot.
En lisant par exemple un article où il y a marqué "petit chien", j'ai eu une fois une crise de larmes, sans comprendre pourquoi.
Je bloque sur des trucs tout con. Je regardais "Un dîner presque parfait", et je me suis mise à avoir un gros coup de cafard dès qu'on voyait une des candidates sortir le plat du four. Certains me diront que ça renvoie peut-être l'image de ma mère en train d'elle-même faire la cuisine...
Je ne sais pas trop ce que je ressens. Y a même pas de mots pour ça. Peut-être que Sénèque avait raison en disant: "Les petites douleurs s'expriment, les grandes sont muettes."

Je précise que je n'en veux pas à ma mère, que je comprends son geste et que je le respecte. Je pense sincèrement qu'elle est allée au bout de son combat. Je ne sais pas si je peux vraiment l'exprimer de mon "conscient". Il m'est arrivé un petit incident un an après sa mort, je me suis retrouvée deux trois heures à l'hôpital, j'avais tous les symptômes d'une grossesse extra utérine alors que je n'ai jamais été enceinte et sur le trajet avec les pompiers, j'ai hurlé pendant une heure et j'ai parlé de ma mère. Et 5 minutes juste après j'allais mieux.

Je somatise peut-être encore aujourd'hui.
Les copains copines sont là, mais impuissants donc je ne leur parle jamais de ça. Ils sont à peine plus jeunes que moi, étudiants et je pense qu'il ne mesure pas trop ce que c'est eux qui n'ont encore jamais rien vécu de la sorte.

On me conseille de voir un psy, mais je ne sais pas si c'est une bonne idée, je n'en éprouve aucunement le besoin.

Enfin, je ne sais pas si mon témoignage vous choquera, mais j'avais besoin de le raconter là, ici, à des personnes qui connaissent le deuil et qui peuvent éprouver mieux que de la pitié ou de la compassion, mais de la compréhension...

Merci de m'avoir lue.

Mamouazelle S.

Hors ligne BLUEVELVET

  • Membre Senior
  • ****
  • Messages: 291
Re : Départ volontaire de ma mère
« Réponse #1 le: 19 février 2013 à 05:57:15 »
Bonjour à toutes et tous,

Mamouazelle, mon mari a mis fin à ses jours en juin 2012. Il a toujours dit et répété qu'il allait se suicider.

Sur le coup j'étais en colère contre lui pour mes enfants mais cette colère était déjà apaisée le jour de ses funérailles.

Je n'ai pas de sentiment de culpabilité ni d'incompréhension non plus, comme vous. Je suis convaincue au plus profond de moi même qu'il a mené son combat et qu'il est apaisé là où il est car sa vie sur cette terre était une non vie.

Votre maman a été malade longtemps (mon mari aussi) et je crois que nos cheminements sont différents d'autres personnes endeuillées par un suicide car nous avons vécu cette maladie. Certainement, sans parler de deuil, nous avions déjà senti (plus ou moins consciemment) que nous avions déjà perdu vous votre mère, moi mon mari même de leur vivant.

Par contre, je ne connais pas ces angoisses dont vous parlez, pas de somatisation juste une fatigue physique qui s'atténue au fil du temps. Je n'ai pas non plus le besoin de voir un psy mais je respecte les personnes qui consultent, à chacun ses besoins et sa manière de les exprimer. Personnellement, ce site m'a beaucoup aidé.

Je vous adresse une bulle de douceur pour cette journée qui commence.

BLUEVELVET
« Modifié: 24 février 2013 à 08:24:36 par BLUEVELVET »
On ferme les yeux des morts avec douceur ; c'est aussi avec douceur qu'il faut ouvrir les yeux des vivants - Jean Cocteau

Mamouazelle

  • Invité
Re : Départ volontaire de ma mère
« Réponse #2 le: 19 février 2013 à 09:56:43 »
Bluevelvet,

C'est un peu de ça, c'est vrai: on les voit s'enfoncer dans la maladie et on se dit: "Bon cette fois, s'il se passe quelque chose, elle ne se loupera pas..." On sent, on sait que ce geste fatidique arrivera mais on ne sait pas quand. On sait aussi qu'on ne pourra pas l'empêcher.
Je vais choquer beaucoup de monde ici, mais je pense sincèrement qu'une personne qui souhaite réellement partir le fera, et ce malgré tout l'amour et la patience qu'on peut lui donner.
Ma mère était chez un membre de notre famille ce jour-là, et cette personne a répété très longtemps: "Si je n'étais pas partie... Si j'étais restée, elle serait encore là..."
Et j'ai finalement réussi à la convaincre que si ça n'avait pas été ce jour-là, c'aurait été un autre jour... qu'elle n'aurait fait que reculer l'échéance. Je connais ma mère, ce jour-là elle savait très bien ce qu'elle faisait et qu'il lui serait impossible de faire machine arrière contrairement à toutes les autres fois où elle s'est volontairement loupée.

Votre mari et ma mère ont fait un choix, et c'est ce choix qui doit être respecté. Aux premières semaines, je voyais une personne chez qui j'allais régulièrement pour mon travail, et c'est vrai que je lui faisais part du choc, et elle m'a dit d'une voix très douce:
"C'est son choix... Ta mère a fait son choix, respecte-le..."
On a longtemps taxé le suicide comme comportement lâche, mais je crois qu'il faut regarder cet acte avec un peu moins de "honte".

Et surtout ce qui me dégoûte, c'est d'entendre que dans la religion chrétienne, les suicidés vont en enfer, ou de lire que de nombreuses NDE de suicidaires se sont passées dans des circonstances affreuses. On ne punit pas les morts parce qu'ils ont ôté leur propre vie, car l'avoir fait est déjà en soi un acte très très difficile et douloureux alors pourquoi les punir davantage de l'autre côté ?...

Hors ligne Méduse

  • Membre Héroïque
  • *****
  • Messages: 781
Re : Départ volontaire de ma mère
« Réponse #3 le: 20 février 2013 à 02:11:41 »
Le bien-être de l’âme de ma fille m’a beaucoup inquiété aussi. J’ai lu beaucoup de NDE également, toujours à la recherche des témoignages de ceux qui ont fait une tentative de suicide. Apparemment, il y en a qui ont eu des NDE positifs. Maintenant, je me dis aussi, qu’on dit que souvent, les mourants ont le choix de partir ou de revenir à la vie, alors ce serait illogique que ceux qui se suicident soient punis. Ils seraient punis doublement, par leur maladie psychique et puis dans l’au-delà. Si c’est l’amour qui nous attend, alors cette punition n’est pas possible.
Je suppose qu’il y a une autocensure des NDE positifs afin de ne pas encourager d’autres suicides. 

Mamouazelle

  • Invité
Re : Départ volontaire de ma mère
« Réponse #4 le: 21 février 2013 à 19:32:36 »
Je le pense aussi. Cette idée d'auto-censure, j'y ai pensé.
Je te présente toutes mes condoléances pour ta fille. Ma mère me disait toujours que la logique était que les parents partent en premier.
J'espère que tu comprends le choix de ta fille tout comme moi je comprends celui de ma mère. Je pense que ces épreuves nous endurcissent, nous rendent plus fort. C'est étrange mais je crois de moins en moins en Dieu mais de plus en plus en la vie après la mort...
Pas toi?

titeac

  • Invité
Re : Départ volontaire de ma mère
« Réponse #5 le: 23 février 2013 à 23:40:45 »
Bonsoir,
Ma mère s'est suicidée en octobre 2011. J'ai 24 ans. Je n'ai pas réagi comme toi, j'aurais aimé, j'ai culpabilisé, elle a également fait des tentatives de suicide, je ne comprenais rien je pensais que c'était des appels au secours mais en fait j'ai réalisé que ma mère aurait pu mourir en 2007 lors de la première, ou après, ou être encore en vie. Que c'est un hasard dans le dosage des médicaments, de l'alcool, de son état de santé... Ma question a longtemps été: pourquoi cette fois-ci ça a marché? Et cette prise de conscience que j'aurais pu la perdre plusieurs années avant. Mais contrairement à toi, les autres fois, tout ce temps, je ne me disais pas que ça arriverait, pour moi c'était normal qu'elle rate, qu'elle se réveille toujours... J'ai traversé tellement d'état différents durant ce deuil, de souffrances différentes, et ça continue ou plutôt revient, la souffrance directement liée à la mort de maman a laissé place à une sorte de mal-être, d'incompréhension de la vie, de son sens, une absence de goût par moment pour la vie, ça vient d'un coup, quelques heures, et ça repart, et dans ces moments j'entrevois ce que ma mère a pu vivre durant ces 4 années de dépression mais en moins intense et moins long et c'est horrible. Dans ces moments j'ai peur de tomber en dépression, de rester comme ça toute ma vie et de vouloir à mon tour mourir. Donc la peine à proprement parler pour ma maman, s'est dissipée, vraiment, a laissé place à ce mal-être qui bien sûr est lié mais ce n'est pas du tout la même souffrance, et là je souffre de nouveau pour ma maman c'est confus ce que je dis je ne sais pas l'exprimer autrement... Bref, ça revient, et de toute façon je n'ai pas réussi à lui laisser une place dans mon coeur, établir un lien intérieur avec elle, c'est soit je souffrais terriblement en pensant à elle soit je vis "normalement" et "oublie" ma situation, et l'"oublie" avec des guillemets je ne sais pas comment dire. Bref, pas d'entre-deux. Les périodes de répit sont de plus en plus longues, aussi j'ai hésité à écrire dans la rubrique sur la reconstruction, mais il se trouve que j'ai une baisse de moral depuis le début du mois, ça arrive le w-e, je fais une fixation sur le w-e, ça en fait trois que je vis en dents de scie, l'ennui, la baisse d'activité comparé à la semaine, et ma maman est décédée un dimanche, avant je détestais le dimanche, maintenant c'est pire. Je ne sais pas ce que je cherche en écrivant tout ça. J'ai l'impression d'avoir des "névroses" depuis qu'elle est partie, je m'analyse tout le temps, j'analyse tout, je recherche les causes de tout, je culpabilise de mes comportements très souvent, peur que les gens soient mal à cause de moi par exemple, même des trucs débiles, avant je n'étais pas du tout comme ça. Par moment je redeviens normale, mais parfois je fais des fixations, pas grand-chose, mais c'est épuisant, la vie coule moins facilement. Et j'ai ce pb avec le sens de la vie, cette émotion, d'un coup m'envahit, et ma vision de la vie est changée, d'un coup plus de goût pour rien, moral au plus bas, mal-être, incompréhension de cette vie, de son sens, sa raison d'être, absurdité... Et pouf ça part. Puis ça revient. Je voudrais que ça ne revienne jamais. J'ai peur car il paraît que la dépression serait héréditaire, et je sais que même avant ça, j'avais une tendance à la nostalgie et au pessimisme, mais j'aimais la vie et pensais la comprendre, là c'est donc pire, j'ai l'impression par moment, que je vais mal, que ma vie est gâchée à jamais, que c'est trop tard, ça ne s'effacera pas, donc tout est gâché... J'ai besoin de vous, si vous le pouvez, merci.
Anne-Claire

Mamouazelle

  • Invité
Re : Départ volontaire de ma mère
« Réponse #6 le: 26 février 2013 à 11:02:42 »
Anne-Claire, je t'envoie un message privé tout de suite.

Hors ligne Méduse

  • Membre Héroïque
  • *****
  • Messages: 781
Re : Départ volontaire de ma mère
« Réponse #7 le: 26 février 2013 à 11:25:39 »
Bonjour Titeac,
Je vois ton message qu’aujourd’hui et ne peux pas te répondre plus longuement en ce moment. Mais je suis de tout cœur avec toi. Tiens bon, demain sera un autre jour.

Mamouazelle, je n’oublierai pas de te répondre non plus
Je vous embrasse
Méduse