PSYCHOLOGIE - Certains dormeurs parviennent à rêver tout en conservant une certaine distance, et sont parfois capables de changer les personnages ou le scénario... Explications.
Le rêve lucide n'est pas un oxymore: alors que, nu comme un ver dans le froid hivernal, on se promène au milieu d'une foule chaudement vêtue, vient clairement à notre esprit la conscience que l'on est en train de rêver. Une telle expérience, souvent, réveille.
Mais certains dormeurs parviennent à rester endormis. Ils poursuivent leur rêve tout en conservant une certaine distance, et ils sont parfois capables de changer les personnages ou le scénario!
Les premiers récits de rêves lucides datent du milieu du XIXe siècle, avec un ouvrage, Les Rêves et les Moyens de les diriger, écrits par Léon d'Hervey, marquis de Saint-Denys. Mais «l'éditeur a fait faillite, et le livre, bien que présent dans la bibliothèque de Freud, est tombé dans l'oubli», raconte le Pr Isabelle Arnulf, neurologue et chef du service des pathologies du sommeil à la Pitié-Salpêtrière.
Il faudra attendre les années 1970 et les recherches du psycho-physiologiste américain Stephen LaBerge pour que l'existence des rêves lucides soit scientifiquement prouvée. Depuis, chacun y va de sa méthode pour favoriser l'émergence de ce moment fascinant: noter régulièrement ses rêves et leurs caractéristiques, se remémorer des scénarios avant de s'endormir, etc. On veut aussi en tirer parti. Pour tout simplement échapper aux cauchemars, ou, du côté des scientifiques, pour explorer les fonctions du rêve. «Avec nos enregistrements, on sait reconnaître les différents stades du sommeil, mais on ne sait pas à quel moment les gens rêvent, et l'on n'a aucun contrôle du scénario, souligne la neurologue. Grâce à ces “onironautes”, on peut expérimenter tout un tas de questions que l'on se pose sur le rêve.»
Rêve et respiration sont liés
Les spécialistes du sommeil ont les moyens de contrôler qu'une personne est en état de rêve lucide. Consigne est donnée, avant l'endormissement, de le signaler en balayant l'horizon de son rêve de droite à gauche, tout simplement en roulant des yeux. «On a ainsi constaté que le temps avance à peu près au même rythme dans le rêve et dans la réalité, juste un peu plus lent dans le premier cas», commente le Pr Arnulf. Pour l'établir, si un rêveur fait dix pas et le signale par des mouvements oculaires, on le fait marcher, réveillé, pour comparer.
Autre découverte faite par l'équipe d'Isabelle Arnulf: «On s'est aperçu que, durant le rêve, la respiration suit vraiment le scénario, avec, par exemple, une apnée si la consigne était de plonger dans une piscine, ce qui explique cette respiration très irrégulière que l'on remarque en sommeil paradoxal.»
Isabelle Arnulf se passionne pour les rêves lucides. La clinicienne a constaté que 80 % des patients qu'elle suivait pour narcolepsie étaient de puissants rêveurs lucides. Une aubaine, car cette étrange faculté n'est pas si répandue. Si chacun d'entre nous a la possibilité théorique d'être spectateur de ses rêves, cette capacité diminue avec l'âge: elle est présente chez 57 % des enfants de 6 ans, mais seulement chez 7 % des adultes de 19 ans. Qui plus est, ce genre de rêve n'arrive pas si souvent: en général, moins d'une fois par mois.
Alors, pour en savoir plus, la neurologue a entrepris, cette année, d'étudier les zones du cerveau impliquées dans l'apprentissage pendant le sommeil pour voir si les «onironautes» diffèrent, sur ce point, des autres dormeurs. Ils ont rendez-vous à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière pour une nuit de rêve lucide… à l'intérieur d'un appareil d'IRM.
publié dans Le Figaro