Dans son petit abri creusé dans la terre et surmonté d'une bâche, Tetiana Chornovol veille sur l'horizon. Cette ancienne journaliste, devenue députée puis militaire, commande une poignée d'hommes sur une position stratégique au nord de Kiev. Son rôle : tirer sur les chars ennemis qui avancent, en ce mois de mars, sur la capitale. « Jusqu'à présent, j'en ai dégommé deux », se félicite cette jeune femme solaire, qui affiche en permanence un grand sourire franc.
À 42 ans, Tetiana Chornovol est habituée à se battre sur des fronts différents, mais tout aussi périlleux. En tant que reporter d'investigation, d'abord : en 2013, elle est victime d'une tentative d'assassinat après la publication d'enquêtes révélant des affaires de corruption dans lesquelles trempent des membres du gouvernement de Viktor Ianoukovitch. En qualité d'activiste, aussi : en 2014, elle est l'une des figures de proue de la révolution de Maïdan, pendant laquelle des dizaines de manifestants proeuropéens sont blessés ou tués. Et puis, enfin, en tant que politique : après la révolution, elle est nommée au bureau anticorruption du gouvernement, avant d'en démissionner quelques mois plus tard, déplorant le manque de bonne volonté de Kiev concernant l'attaque réelle du problème.
Elle finit par être élue députée au sein d'un parti nationaliste et conservateur. Mais sa bataille la plus âpre fut aussi la plus inattendue : « En 2014, mon mari, qui était militaire, est mort en combattant les séparatistes prorusses. Non seulement j'ai perdu l'homme de ma vie, mais je me suis aussi retrouvée seule pour élever nos deux filles », se souvient-elle, avant de montrer une photographie sur son téléphone portable : « Il était très beau, non ? »
Détruire les chars russes
À présent, elle revêt le treillis de l'armée nationale ukrainienne. « C'est juste une autre manière de me battre », lâche modestement cette jeune femme au visage doux, qui garde toujours près d'elle la kalachnikov de son défunt mari, « un porte-bonheur utile ». Estimant que Moscou préparait une offensive, à la fin de l'année 2021, Tetiana Chornovol a demandé à s'enrôler. Sa formation à l'utilisation de missiles antichars s'est achevée deux jours seulement avant le début de l'invasion russe, le 24 février… « Juste à temps ! » lance-t-elle, gardant un œil sur l'écran qui affiche la route en face, par laquelle pourraient arriver les chars ennemis.
Au bout de seulement quelques minutes, il faut partir. En chemin, Tetiana Chornovol ramasse un débris. Son sourire devient énigmatique : « Ce sont des bouts du premier char que j'ai détruit. » Est-elle sortie indemne de cette première frappe ? « La principale raison pour laquelle je n'ai pas voulu m'engager dans l'infanterie, c'est la crainte d'avoir à me confronter au visage d'un ennemi, confie-t-elle. C'est plus facile de viser un gros véhicule en acier qu'un jeune homme à peine plus âgé que mes filles. Et puis, pour m'aider à garder la tête froide et ne pas être triste, je m'imagine que je combats des dragons ! »
... extrait dans Le Figaro