Bonjour Ylériane,
Quand je te lis, je me retrouve 3 ans en arrière, quand après avoir fait face à la mort de mon mari, appris à vivre sans lui, réorganisé notre vie (mes enfants avaient 7 et 11 ans à mort de leur père) pour que "rien ne change", j'ai été prise d'un immense ras-le-bol. Je n'en pouvais plus de la pression que je me mettais, qu'on me mettait, des décisions à prendre, des gens mal intentionnés, de l'incompréhension, de la lutte pour tenir bon chaque jour, du désespoir qui ne lâchait pas prise, de la solitude, de la méfiance, des phrases stupides et de l'oubli dans lequel on tenait mon mari après quelques mois... bref, comme toi, j'étais arrivée à un point de non-retour, je ne pouvais plus continuer sans que rien ne bouge. Mon mari était mort, je devais continuer seule à MA façon... bref, tout ce que tu connais toi aussi.
Alors j'ai fait un truc fou. J'ai vidé mon compte en banque, et pris 3 billets d'avion pour Tahiti. Et je suis partie sur un coup de tête, avec mon ordi et 150 kgs de bagages, pendant 1 ans, vivre seule avec mes deux enfants à Mooréa. Le truc qui m'étonne encore. Mais qui m'a fait un bien immense. Là-bas, au bout du monde, j'ai réalisé ce dont j'étais capable, de ça et de bien autre chose encore, que j'étais seule certes mais que le monde était beau, que j'avais du courage et de la force à revendre, que mes enfants étaient mon moteur, mon but, mon objectif tant qu'ils seraient à ma charge, et que je pouvais désormais ne compter que sur moi. Et que tous les coups reçus, toutes les indifférences, tout ce que j'avais encaissé pendant les 3 premières années de deuil me donnait le droit de faire mes choix même incompréhensibles, et que je n'autorisais plus personne à me juger, à décider pour moi, à me conseiller !... J'étais enfin devenue une grande fille, et surtout je n'étais plus seulement la "femme de...", j'étais la mère de mes enfants avant tout, mais aussi moi et qu'on devait me respecter et m'accepter telle que j'étais maintenant.
Ca a fait grincer des dents...
Je suis revenue au bout d'un an.
Il fallait refaire la cagnotte. L'école était nulle.
Mais cette coupure a été bénéfique pour nous trois.
Bien entendu, je ne conseille à personne de partir au bout du monde... ce que je veux dire c'est que ce que tu vis est normal. Je pense qu'à un moment, on a besoin d'exister entièrement pour soi et non plus dans la moitié de celui qui est parti. Ca n'empêche pas le chagrin (j'ai beaucoup pleuré aussi dans le bleu absolu, à cause même du bleu absolu que j'admirais seule !), mais on a le sentiment de prendre enfin sa vie en main, protégée par l'absent et sa bienveillance.
Déménager, bouger, changer de job, adhérer à une association humanitaire... tout est possible, pourquoi pas. Tu dois te faire confiance et aller vers ce qui t'attire et ne te met pas en danger. Avec des enfants c'est difficile, c'est vrai. Mais en tous cas, ce que tu vis est normal et tu ne dois pas culpabiliser de vouloir vivre la suite de ton deuil d'une autre façon. Tu le vivras toujours ce deuil, il est installé pour encore des années, mais tu commences à penser à l'avenir différemment, c'est positif et ça te mène peu à peu vers ta nouvelle vie. Courage à toi, le chemin est encore long avant d'aller mieux, mais tu vas y arriver.
Je t'embrasse.
M.