Noël invention récente humaine ...
"Il y a un peu moins de 2000 ans, Ponce Pilate, préfet de Rome en Judée, condamnait à mort par le supplice de la crucifixion, sur le mont Golgotha, un homme nommé Jésus de Nazareth. Si les versions des derniers instants de la vie du Christ peuvent varier, ce fait s’inscrit dans une réalité historique. En revanche, le récit des Rois mages et la date de Noël ne sont pas reliés à des faits connus. La commémoration de la naissance de Jésus le 25 décembre remonte d’ailleurs au début du VIe siècle...
«Il n’y a plus vraiment de débat sur l’existence de Jésus d’un point de vue historique», commente Pierluigi Piovanelli, directeur d’étude à l’École pratique des hautes études, section des sciences religieuses. «On a même une idée assez précise des dernières années de sa vie à partir de son baptême dans le Jourdain. En revanche, il est impossible de savoir avec certitude quelle a été sa jeunesse.» Une histoire compliquée à restituer, la plupart des sources n’ayant été écrites que bien des années après les faits rapportés.
Qui plus est, on ne s’intéresse que depuis récemment à ce qui a pu être la vie du Christ entre ses 12 et 28 ans. «Les chercheurs s’accordent sur un point: l’homme qui a été condamné à mort par Ponce Pilate n’est pas né le 25 décembre de l’an 0, mais peu avant l’an 750 ab urbe condita ( «depuis la fondation de la Ville»: les Romains comptaient les années à partir de la date de fondation de Rome)», continue Pierluigi Piovanelli. «C’est-à-dire autour de l’an 4 avant notre ère.» Si aucune source n’est fiable à 100%, cette date de naissance en l’an - 4 est retenue car elle correspond au récit de l’Évangile selon Matthieu, qui place la naissance de Jésus à la fin du règne d’Hérode le Grand.
Né sous Hérode
Cette erreur dans les datations, reconnue par le pape Benoît XVI en 2012, est à attribuer à Denys le Petit. Ce moine, qui vivait à Rome au début du VIe siècle, avait été chargé par l’Église de recalculer la date de Pâques (soit celle de la résurrection du Christ). À sa décharge, les sources contradictoires ne permettaient pas une certitude absolue.
A la suite d’une succession de calculs, son calendrier a ainsi basculé sans transition de l’an 247 après le début du règne de Dioclétien (empereur romain responsable de la dernière grande persécution contre les chrétiens, qui pour l’Église marquait le début de l’ère chrétienne) à l’an 532 après Jésus-Christ. La date de naissance de Jésus fut fixée au 25 décembre de l’an 0, pour faire correspondre le premier jour de l’année 1 avec la circoncision du Christ.
Cette date du 25 décembre a un double intérêt: depuis le règne de l’empereur Aurélien (270-275), on célèbre aussi le 25 décembre le solstice d’hiver, Sol Invictus (soleil invaincu), qui clôt les saturnales, une période de fêtes très ancienne et très importante à Rome.
Au vu de cette pauvreté, une question s’impose : qui a bien pu éduquer Jésus ?
Pierluigi Piovanelli, directeur d’étude à l’EPHE.
Jésus serait donc né sous Hérode. Ce roi est installé à la tête de la Judée par le Sénat romain en 37 av. J.-C. Une fois au pouvoir, il mène une habile politique de conquête et doit notamment manœuvrer avec Cléopâtre, reine d’Égypte. Il parvient à ne pas trop souffrir de la guerre civile qui oppose Octave à Marc-Antoine pour la tête de ce qui n’est pas encore l’Empire romain. Son règne est marqué par la reconstruction du Temple de Jérusalem.
À sa mort, en 4 av. J.-C., son royaume est divisé entre ses trois fils et une de ses sœurs. La Galilée de Jésus, au nord-est, dont la capitale est fixée à Sepphoris, à quelques kilomètres de Nazareth, revient à Hérode Antipas. Nommé tétrarque (chef de la nation divisé en quatre), son règne durera plus de quarante ans, émaillés de querelles avec ses voisins. Jérusalem et la Judée reviennent à Hérode Archélaos, son frère, qui à peine dix ans après la mort de son père, sera destitué par l’Empire romain et remplacé par un préfet de Rome.
Manuscrits de la mer Morte
«Le village de Nazareth, dans lequel a grandi Jésus, était a priori très modeste , presque insignifiant», explique Pierluigi Piovanelli. «Il n’y avait probablement même pas de bâtiment destiné à un usage synagogal. Au vu de cette pauvreté, une question s’impose: qui a bien pu éduquer Jésus? Comment un enfant issu d’un milieu aussi insignifiant a pu devenir un personnage aussi important, capable d’emmener derrière lui de nombreux fidèles.»
Jeune, Jésus a sans doute travaillé avec ses frères pour aider son père Joseph, non pas charpentier mais artisan (le travail du bois ne se limitait pas aux charpentes). «Ils ont probablement participé à la reconstruction de la capitale, Sepphoris, lancée par Hérode Antipas», avance Pierluigi Piovanelli. «Est-ce que Jésus aura profité de ces travaux pour rencontrer d’autres cultures et sortir de son village? Peut-être, mais il est impossible de le savoir. Quand Jésus s’éloigne de Nazareth, s’ouvrent des années assez obscures. Certains vont jusqu’à supposer qu’il aurait adhéré au mouvement essénien (mouvement du judaïsme des Ier et IIe siècles av. J.-C., NDLR), voire qu’il aurait séjourné à Qumrân, près de la mer Morte, où l’on a retrouvé entre 1947 et 1956 les célèbres manuscrits.» Les manuscrits de Qumrân sont un ensemble de parchemins et de fragments de papyrus, principalement en hébreu, qui recèle de nombreux livres de l’Ancien Testament.
Paroles subversives
En 1991, John Dominic Crossan, historien des religions irlando-américain, sort un ouvrage qui fait sensation,The Historical Jesus: the Life of a Mediterranean Jewish Peasant («Le Jésus historique: la vie d’un paysan juif méditerranéen»), dans lequel il suggère que Jésus avait été fortement influencé par les cyniques, cette école philosophique grecque très influente pendant plusieurs siècles. Jésus serait une sorte de sage itinérant dont les paroles subversives et le style de vie étaient à contre-courant des mœurs de son époque.
«Rapprocher Jésus des cyniques, c’est un peu vouloir en faire un altermondialiste avant l’heure», commente Pierluigi Piovanelli. «Or l’archéologie récente montre que la Galilée était beaucoup plus juive que nous ne le pensions. On a retrouvé des images de menorah ou des vaisselles en pierre typiques des pratiques rituelles juives. Ce qui, en somme, est assez logique, car elle a été progressivement conquise à la fin du IIe siècle av. J-C. par les souverains hasmonéens de Jérusalem. Le contexte dans lequel a grandi Jésus nous amène donc à penser qu’il était plus proche du juif pratiquant que du juif hellénisant.»
Une Galilée très juive, un contexte politique instable sur la région, qui débouche sur une présence romaine très forte. C’est dans ce contexte qu’a grandi Jésus avant de commencer son propre ministère. À cette époque, nombreux ont été les groupes religieux à prôner une interprétation particulière des pratiques et des croyances juives, non seulement les esséniens, mais aussi les pharisiens. «Jésus était particulier», conclut Pierluigi Piovanelli. «Les pharisiens voulaient rejudaïser à partir des élites. Jésus, lui, l’a fait, mais à partir du peuple.»
Plonger dans la "science" pour ne pas subir les fêtes ... une option