Auteur Sujet: Le temps, dit-on, arrangerait les choses...  (Lu 3314 fois)

0 Membres et 1 Invité sur ce sujet

Soledad

  • Invité
Le temps, dit-on, arrangerait les choses...
« le: 03 août 2011 à 02:47:59 »
Bonsoir,
Je viens de découvrir ce forum. Il tombe à point. En lisant vos témoignages, je me suis bien entendu, reconnue. Je sais ce que vous vivez, bien que chacunE à sa façon. Je connais cette souffrance sans nom. 

J'ai perdu mon conjoint, des suites d'un cancer, il y a un an et 8 mois maintenant. On m'avait dit qu'après un an, on arrêtait de compter les mois. Moi, tous les 24 du mois, je me souviens. Je tiens toujours les comptes. Je sais toujours combien de mois et de jours nous séparent.

On m'avait dit, que le mieux, c'était de continuer avec mes activités, que c'était la meilleure thérapie. J'ai pris 7 mois, pour faire mon deuil, et j'ai continué avec mes activités. C'est ce qu'il aurait voulu m'a-t-on dit et, j'ai trouvé que c'était vrai et que ça faisait du sens. Je suis en pays étranger, entrain d'essayer de mener à bien une recherche en sciences sociale. Les choses ne se déroulent pas comme je l'aurais souhaité, je suis découragée et je sens que j'ai à faire un autre deuil, un de plus. La solitude du déracinement s'ajoute à la solitude de ne plus avoir de conjoint. Les échecs actuels s'ajoutent à la douleur.

Les amiEs et la famille ne comprennent pas que je puisse  être ENCORE en deuil et que les choses qui ne fonctionnent pas dans la vie présente S'AJOUTENT au deuil. Mon conjoint, qui savait toujours faire ressortir le meilleurs de moi-même, m'avait fortement encouragé à poursuivre mes études. Sans lui, je ne l'aurait jamais fait. J'avais 34 ans à l'époque. Le fait qu'il ne soit plus là dans ces moments difficiles fait en sorte que je sens que je suis entrain de perdre ma vitalité. Je suis toute seule pour affronter les difficultés. Les amiEs, la famille sont là, sporadiquement. Comme plusieurs l'ont souligné, ils ont leur vie. Mais maintenant, comment remplacer la complicité et l'énergie que nous donne l'homme qui partage notre vie, qui nous aime et que l'on aime... Maintenant, devant l'adversité, devant l'impossibilité de réaliser mes projets comme je les avais planifier, on me demande de changer d'endroit, de tout recommencer à zéro. C'est là où je craque. Je n'ai tout simplement plus de force, plus d'énergie, plus le goût, cela ne fait plus de sens.

Le sens de ma vie, je ne le trouve plus. J'ai tout essayé, mis beaucoup d'effort, j'ai tout fait comme il fallait. Mais on ne contrôle pas tout dans la vie, on le sait bien, maintenant. L'endroit que j'avais choisi est maintenant un endroit très violent et je ne peux plus faire les choses comme avant. Comment faire face à une seconde épreuve, en si peu de temps? Mais un an et 8 mois, c'est beaucoup de temps me dira-t-on. Pour moi, c'est comme si c'était hier. On vie au quotidien avec son absence. On ne peut pas s'en défaire. Il n'est plus là pour nous supporter dans les épreuves. Il n'est plus là même si moi aussi, je lui parle tous les jours.

On me dit que je suis jeune (je viens d'avoir 37 ans), que je vais pouvoir refaire ma vie. Que quelqu'un va apparaitre un jour pour moi. Il y a des gens qui s'approchent. Moi, je ne peux pas.

Les choses qui me passionnaient dans ce pays maintenant me laissent indifférentes. Je suis incapable de ressentir les émotions que je ressentais avant. Un pays passionnant, des gens gentils, plein de coeur, une culture florissante. Je n'arrive plus à sentir. Je n'arrive plus à m'émerveiller. J'étais amoureuse, pourtant, de ce pays, de ces gens. Plus rien.

Plus de sens, plus d'émotion. Je n'arrive plus à visualiser un avenir possible. On me dit de continuer quand même. De m'accrocher, de recommencer à nouveau. J'ai essayé. Ça ne marche pas. Je ne sais plus quoi faire. Rentrer chez moi, dans mon pays qui n'est pas un pays, dans notre appartement (moi non plus je n'ai pas été capable de faire le ménage de ses affaires, chaque fois que je donne ou jette quelque chose, c'est une douleur sans nom), la tête basse. Un échec. Rester ici, dans ma solitude, me battre encore, même si là je sens que je suis arrivée au bout de mes forces. Je suis fatiguée. Cette fatigue, vous l'avez bien soulignée dans vos écrits. Cette fatigue totale que je ne devrais plus ressentir. Ça fait un an que j'essaie de continuer ma vie et mes projets. Peut-être que je ne me suis pas assez laissé de temps. Mais dans notre désarroi, on écoute les conseils et on fonce tête première, comme des robots, sans trop de conviction. Il faut bien continuer notre vie. Même si l'homme ou la femme de notre vie n'est plus. C'est ce qu'il ou elle aurait voulu. J'ai peur qu'il soit déçu, là où il est, si jamais il peut me voir (je ne sais plus rien. Je suis passée d'être une athée convaincue à ne plus être certaine de rien).

Le temps, dit-on, arrangerait les choses...  je ne veux surtout pas décourager personne en écrivant cela, surtout pas les personnes dont la perte est plus récente...

J'ai peur d'être entrain de tomber en dépression. Je me sens dépourvu. Est-ce qu'il y a des personnes pour qui le temps a arrangé les choses?

Blandine

  • Invité
Re : Le temps, dit-on, arrangerait les choses...
« Réponse #1 le: 03 août 2011 à 13:14:48 »
Bonjour Soledad
Je n'écris plus sur ce forum mais je le consulte encore régulièrement car j'ai encore besoin sans doute de me retrouver entre nous et aussi de pouvoir mesurer le chemin que j'ai parcouru depuis le décès de Michel il y a 2 ans et 2 mois.
Oui  je vis de moins en moins mal mais tu vois, je compte encore en mois !
Quand je vous lis tous, je me souviens encore tellement de cette détresse terrible en moi pendant des mois, cette douleur insupportable et que pourtant nous supportons, cette fatigue incroyable et permanente mais je peux témoigner qu'au fil du temps, en me laissant ressentir et en affrontant l'insupportable sans concession, j'ai trouvé petit à petit des moments d'apaisement, puis des petits fourmillements de vie et non plus uniquement de survie, des moments de joie, l'énergie est revenue également et maintenant je sens que je vais également réussir à retrouver aussi des moments de plaisir.
Il faut s'accrocher s'accrocher s'accrocher, ça vaut le coup ; le combat est de chaque seconde, puis chaque minute, puis chaque heure, puis chaque jour... je ne sais pas si un jour nous pourrons vivre sans cette sensation de combat, mais je sais que nous pouvons vivre à nouveau en tout cas pleinement que ce soit les moments de blues ou les moments de joie.
J'en profite pour vous saluer tous avec compassion et respect, j'ai tellement l'impression de bien vous connaître !
Blandine

m.s.m@free.fr

  • Invité
Re : Le temps, dit-on, arrangerait les choses...
« Réponse #2 le: 04 août 2011 à 14:38:11 »
Le temps arrange bien des choses, c'est vrai mais il y a "des choses" sur lesquelles on ne peut rien. Le deuil est un lent processus qu'on ne peut ni accélérer, ni raccourcir et on ne peut en tout cas jamais faire l'économie du chagrin , de l' atroce douleur , d'une forme de dépression et il faut en passer par toutes ces phases plus ou moins longues et difficiles pour un jour arriver à se lever comme chaque matin, péniblement mettre un pied devant l'autre et s'apercevoir que ça fait un tout petit peu moins mal. Simplement parce qu'on aura décidé de continuer à vivre, pour son conjoint disparu qui aurait voulu que ce soit ainsi, pour ses enfants, pour soi-même. Alors ,il faut avoir confiance, écouter son chagrin quand il est là, et écouter aussi cette petite parcelle d'espoir qui  grandit doucement mais surement. Pour certains elle met un peu plus de temps que pour les autres , mais elle finit toujours par poindre.
Bon courage à tous.
Eiram


Soledad

  • Invité
Re : Le temps, dit-on, arrangerait les choses...
« Réponse #3 le: 05 août 2011 à 02:18:57 »
Merci pour vos bons mots et pour partager vos expériences. Ça fait du bien. J'ai parfois l'impression de m'enfoncer dans la solitude et l'isolement et en vous lisant toutes et tous, je sens que je ne suis plus seule, je sens que je ne suis pas folle, que ce que je vie et ressent est aussi vécu et ressenti par d'autres. Bon courage à tout le monde et merci encore.

Marico

  • Invité
Re : Le temps, dit-on, arrangerait les choses...
« Réponse #4 le: 05 août 2011 à 07:02:29 »
Bonjour Soledad,

Le temps arrange certaines choses, il permet de continuer à vivre avec moins de douleur.

Il faut que les étapes du deuil passent, jour après jour, et elles passent. Toutes. Avec plus ou moins de rapidité selon chacun, et si moi, il m'a fallu 5 ans pour enfin aller "mieux", pour d'autres ça sera moins long. Mais brûler les étapes ne sert à rien. Toutes les phases expliquées dans les modules du site sont réelles... Eiram l'explique très bien. Au premier jour, ça parait interminable... au bout de 5 ans on se rend compte du chemin parcouru...

Le temps permet de faire de nouveaux projets, de prendre des décisions importantes pour une vie dans laquelle nos conjoints n'ont plus de place physique, même si moralement, ils restent dans nos coeurs et nos pensées, même si on leur parle toujours comme à d'invisibles compagnons de route.

On se fabrique de nouveaux souvenirs, on rencontre de nouvelles personnes  avec lesquelles se créent d'autres liens. Des gens qui n'ont pas connu nos vies d'avant. Qui sont, eux même, veufs ou pas. Mais avec lesquels nous partageons nos affinités propres et personnelles. Nos choix sont les nôtres. Nous ne pensons plus... nous ne sortons plus... nous ne sommes plus en "couple".

Le temps apporte un apaisement au chagrin, mais c'est vrai qu'avec la mort "on s'enfonce dans la solitude et l'isolement", comme tu le dis. Ca vient des autres, mais aussi de nous. Nous ne fonctionnons plus au même niveau que les "nonendeuils". La mort fait du vide autour de nous. Et puis nos priorités ne sont plus les mêmes, nos histoires de vie plus graves, notre temps plus précieux. Nous ne le gaspillons plus, nous ne le perdons plus, nous en savons le prix...

Et puis il reste cette tristesse en nous.

Oui, on retrouve des moments de joie. Bien sûr. Du bonheur à partager des choses avec ceux qu'on aime et qui sont là. Le temps apporte l'apaisement de la douleur. Pas la sérénité, ni la fin du manque, parce qu'il faut continuer à se battre au quotidien, et que souvent on repense au temps ou on était deux à faire face. Mais on fait face, courageusement et on arrive à refaire partie du monde des vivants qui avancent sans pitié. Et on arrive, peu à peu, à y trouver son compte...

Je t'embrasse.
M.