J’ai une approche un peu différente du milieu médical, plongée dedans depuis ma plus petite enfance : famille de médecins. Et pourtant, ma révolte est la même que la votre sur certains points.
Modestement et sur la pointe des pieds, je vais donner mes avis et mes pensées.
Je ne pense pas qu’il y ait plus de cancers aujourd’hui que par le passé. Comme je l’ai dit un jour à Sylvette, les médias - et les malades – ne parlent pas des cancers guéris ou en rémission. Untel est décédé d’une « longue maladie » … mais jamais untel vit depuis 20 ans avec un cancer. CANCER : mot tabou, quand on en meurt c’est « une longue maladie », quand on survit, on le cache.
Hier, justement la conversation tournait sur le sujet et nous avons fait le compte dans notre cercle d’amis et de famille : Plus de « vivants » que de partis.
Certes, l’allongement de la durée de vie doit modifier les données, mais la médecine évolue et malheureusement les recherches doivent maintenant se faire tous azimuts.
Quand on a découvert le virus du SIDA, il nous a paru essentiel de consacrer un maximum d’argent pour tenter de l’éradiquer. Nous avons tous mis la main au porte monnaie.
Tous ces enfants qui souffrent de maladies orphelines et qu’on exhibe lors du Téléthon, qui n’a pas eu le cœur soulevé et l’envie de devenir un héros des temps modernes en donnant pour les sauver.
Mais le cancer, qui tue tellement plus de personnes dans le monde est devenu une croix que nous portons tous, avec habitude, comme si c’était « normal », comme si on ne devait pas y échapper. Comme si chaque famille devait avoir le sien.
Sans doute, oui, Yohann, notre mode de vie doit aussi avoir des répercutions sur la maladie, mais sans doute aussi la tumeur cancéreuse s’adapte et évolue en sévérité face aux traitements employés. La génétique aussi n’est peut-être pas suffisamment explorée, famille à cancers, plus de dépistage… Mais là aussi, l’argent, toujours l’argent, dépistage systématique = coût à court terme, économies à long terme. De nos jours, les économies à long terme n’intéressent personne, les résultats doivent être immédiats.
Mais la médecine évolue quand même, nous devons le reconnaitre. Les appareils pour la radiothérapie sont de plus en plus précis et parviennent maintenant à ne cibler que la tumeur et pas les organes avoisinants dans la plupart des cas (parfois la tumeur a envahie une surface vitale), les produits pour la chimio sont moins agressifs, aussi, même si les effets secondaires restent lourds.
Pour moi, le problème vient d’un certain sentiment de « fatalité » de la part de beaucoup de médecins. Les statistiques disent : Cancer du rein = fort taux de mortalité. Les médecins baissent vite les bras. Maintenant, lorsque je voyais mon Pierre s’affaiblir et qu’ils me disaient on va lui ôter son second rein, j’avais envie de dire : Fichez lui la paix, il est si faible. C’est tellement difficile de connaitre la limite entre l’acharnement thérapeutique et l’abandon.
Certes, la prise en charge de la souffrance en elle-même, qu’elle soit morale ou physique est largement insuffisante, je te suis sur ce point Daniel.
J’ai passé mes journées avec Pierre et c’est moi qui signalais les problèmes, les douleurs, les comprimés non pris que je trouvais par terre, les incongruités comme ses plateaux repas qui ne tenait pas compte de son régime et encore moins de son manque d’appétit. Je venais avec un ventilateur, tant la chambre était surchauffée et les fenêtres bloquées, avec un coussin anti escarre car le lit était trop court pour lui et ses pieds se blessaient sur le pied de lit métallique… Pas d’argent à l’hôpital. Parfois, on l’emmenait faire un examen, dont nous n’avions jamais le compte-rendu.
Silence, la médecine appartient aux médecins.
Mais je suis cependant persuadée que Pierre a reçu les meilleurs soins.
L’aspect soins palliatifs est primordial et très différent d’une équipe à l’autre. Pour Pierre, le médecin est venu me parler avec beaucoup de délicatesse mais aussi de fermeté : Nous ferons le maximum pour atténuer les douleurs physiques, mais il n’est pas question de parler d’euthanasie. Et effectivement, dans les heures qui ont suivi, des actions ont été entreprises. Mais cela parait dérisoire par rapport à la souffrance, le résultat ayant été un abrutissement de plus en plus profond, une communication entre lui et moi de plus en plus impossible… Qui peut affirmer que ce corps ne souffrait pas ? Il ne pouvait plus le dire.
En revanche, aucun soutien moral, ni pour lui, ni pour moi. Rien. Une psy que j’ai dû contactée (encore faut-il avoir la force de faire la démarche), assises toutes deux dans une chambre voisine de celle où mon mari s’éteignait et qui en 10 minutes m’a « préparée » à mon deuil futur ! Exactement ce que je ne voulais pas entendre. En partant, j’ai eu droit au : Contactez moi, si vous en avez besoin.
Après. Après, après les infirmières, seules être humains pour nous, pleines de douceur et de délicatesse, de patience et de mots tendres. Efficaces, patientes, à l’écoute malgré une charge de travail hallucinante. Les anges de l’hôpital pour la plupart.
Et la famille quand on a la chance d’en avoir une, présente et dévouée.
Oui, les médecins ont été brillants par leur absence, leur silence et leur compassion. Oui, un certificat à signer, et une tape dans le dos, avec le mot magique : Courage, Madame.
L’échec de la mort doit les traumatiser aussi, ils préfèrent s’éclipser rapidement.
Après, la chambre à vider, la morgue, les décisions à prendre, les papiers à envoyer…
Pour ma part, mon époux était fonctionnaire de la SNCF et sa caisse de prévoyance c’est comportée de façon admirable. Tous les « extras » ont été pris en charge, j’ai reçu une indemnité pour régler les frais d’obsèques et bien que son décès ait eu lieu en début de trimestre, ils ne m’ont pas réclamé le prorata de sa retraite.
Je t’admire Daniel de vouloir faire bouger les choses, cela me semble tellement impossible !
La caste médicale est infranchissable pour des béotiens. L’administration sanitaire est engluée dans un cercle infernal de budgets, équilibre précaire des dépenses et des recettes. Il n’y a guère que le personnel d’étage, infirmières, aides soignantes, brancardiers… qui reste humain.
C’est déjà si difficile de vivre la disparition de celui que j’aime, cette bataille me semble perdue d’avance et au dessus de mes forces.
Cependant, si tu décides de l’entreprendre, alors, je me pousserais pour t’y accompagner.
Bonne journée à tous, il fait un petit rayon de soleil.
Marina