Bonsoir, cela fait plusieurs mois que de temps en temps je viens lire sur ce forum, j'ai toujours du mal à lire car le vécu des personnes ici fait écho à mon propre vécu, pas moyen de me concentrer, pas moyen de m'inscrire, de vous parler pour me soulager un peu. Trop d'émotion quand je lis les témoignages. Bon ce soir j'ai pété "mon petit boulon", j'ai bien pleuré bien lâché ma colère toute la soirée. Du coup c'est bon j'ai réussi à m'inscrire ! J'ai lu un peu. Je commence mon petit témoignage... c'est bon, l'écran reste limpide, pas de larmes, j'y arrive enfin.
Et bien voilà notre histoire semblable à tant d'autres. Nous sommes mariés depuis plus de 36 ans, on s'est connu et aimé depuis avril 1978. Je l'ai connue ado j'avais 15 ans, c'est mon double, mon amoureux, mon ami, mon chéri, mon amant, mon mari, le père de nos enfants. On a vécu milles choses ensemble, j'ai parfois l'impression qu'il est près de moi depuis toujours...
Dans la vie il y a des hauts et des bas, des bonheurs, des crises. Il y a eu des époques avec des blessures, des doutes, des idées de séparation peut être... Mais depuis quelques années quelle embellie, enfin la paix après des années tourmentées. Je sens que l'on va vieillir ensemble, je rêve d'être une vieille mémé avec mon Calou près de moi.
Les enfants grandissent, font leur vie, les petits enfants arrivent, notre dernier fils commence les études supérieures. La semaine nous allons être seuls tous les deux à la maison, on va retrouver notre vie d'amoureux. Et le WE notre dernier reviendra, on va se régaler de ses anecdotes de la fac. Depuis deux ans la maladie est entrée chez nous, Un putain de crabe mais un peu petit, la chirurgie fait des miracles et l'a déjà guéri d'un cancer l'an dernier. En juillet 2017 encore une intervention pour enlever une vilaine petite tache cancéreuse, ou pas cancéreuse faut pas être pessimiste. Le chirurgien a dit après vous serez guéri, un mois après vous reprenez le sport, et tout le reste.
J'ai de la chance, je n'ai jamais vu mon mari malade, pas besoin de chimio, pas de médocs, la veille des hospitalisations il travaillait encore : un cancer du rein, hop chirurgie, guéri.
mai 2016, découverte d'un deuxième cancer sur le pancréas, hop chirurgie, vous serez guéri. Mais cette fois j'ai eu comme une sale intuition qui m'a rongée et fichu le cafard, non mais qu'est ce que je peux faire ? J'ai l'impression que la situation m'échappe.
Je suis tellement amoureuse, je veux tellement qu'il reste avec moi. Mon chéri je te promet jamais je ne te laisserai, s'il le faut je te laverai, je te soignerai, je te nourrirai, je resterai toujours avec toi, on vieillira ensemble.
Et puis on veux renouveler nos vœux : je veux me confirmer mon mariage et me remarier avec toi. ça t'as fait longtemps rire, et puis finalement depuis que tu as eu cette merde de crabe dans le ventre tu m'a dis "oui". Tout est prévu on se dira à nouveau oui l'été 2018, on fêtera aussi tes 60 ans, avec tous nos amis, nos enfants, ça sera magnifique. Tout est prévu, c'est notre amie Mireille conseiller municipal qui nous mariera. Rien ne peux nous arriver, on s'aime trop fort on a plein de projets. Bientôt toi la retraite tu as dis que tu vas bien me chouchouter, t'occuper de la maison pendant que je bosses. On se fera plein de WE d'amoureux, pleins de randos avec nos potes et enfin des voyages, on va enfin s'occuper de nous. Oui on fera tout ça mais il est temps maintenant monsieur d'enlever cette toute petite vilaine tache qui vous grignote le canal de wirsung et le pancréas depuis quelques temps. Vous avec toujours été asymptomatique certes mais vous devez vous soigner, faut pas garder ça. On est fin juillet 2016 il fait beau, le matin je joue et je vais à la plage avec notre adorable petite fille qui passe l'été chez les papis mamies pendant que ses parents bossent à Nice. L'aprèm je l'amène chez les autres papi mamie puis je viens te rejoindre à l’hôpital. Tu récupères bien, la semaine prochaine tu es sortant. les chirurgiens t'ont encore guéri. Tu n'a plus de crabe.
Allez la vie est belle si si si. Bientôt plus jamais on ira si souvent dans cet hôpital où tous les cancéreux de la région viennent espérer et se résigner. J'en ai marre cela fait presque deux ans qu'on y vient si souvent. Je ne supporte plus d'entendre le petit ding ding de ses ascenseurs lorsque nous attendons le médecin. Collés comme des jumeaux, je te colle aux basques, je bouffe la moitié de mes congés pour t'accompagner à ces putains de rendez vous endocrinologue, chirurgien, anesthésiste, gastro entero, examens, prise de sang, prélèvements..., .
Dimanche 31 juillet je suis venue comme d'hab passer l'aprèm près de toi, je t'ai aidé à te laver, mon dieu tu as cette grande balafre sur le ventre, mais tu marches dans les couloirs, sur les terrasses, tu est fatigué mais tu veux rentrer chez toi. Il l'ont dit : la semaine prochaine c'est bon, les drains ne donnent presque plus, tu vas rentrer. Et moi aussi j'en ai assez, je veux juste la paix, je veux juste que tu rentres, que tu sois en vacances, que tu arrêtes de bosser, que tu prépares ta retraite, que tu arrêtes de te lever à 5 h du mat pour le boulot.
Je t'ai dis au revoir à demain, et cette fois putain de putain heureusement que je l'ai fais : je t'ai enlacé dans mes bras doucement, depuis dix jours je le faisait pas ta grande balafre au ventre était si sensible. J'ai mis mon nez dans ton cou j'ai respiré ton odeur et je t'ai embrassé dans le cou. Je revoie là ton grain de peau, ta peau toute douce. Vivement que tu rentres à la maison j'ai envie de te caresser te calîner te faire l'amour. Et puis je suis rentrée à la maison, je suis allée chercher la petite chez les autres papi mamie, demain c'est l'anniv de la petite on te fera des photos, puis je viendrais te voir, je demanderai quel jour tu dois sortir...
Le soir encore, comme tous les soirs depuis 10 jours encore un petit coup de fil, ça va ? à demain mon chéri dors bien, toi aussi, le premier qui se réveille textote à l'autre. Je me suis endormie avant 23 h, c'est bon on voit le bout, bientôt il rentre à la maison. A 23h30 le téléphone m'a sortie d'un premier sommeil. C'est qui ce type qui me parle au téléphone ? je rêve ou quoi je suis dans un mauvais film "madame complications hémorragie on maîtrise on vous rappelle dès qu'il sort du bloc, non ne vous déplacez pas attendez que je vous rappelle" Je me suis dis "tu paniques pas, contrôle toi ya les enfants", j'entendais mon cœur boum boum boum dans ma tête, j'ai pensé je veux voir ma fille (elle a 31 ans on est très proches) je veux lui dire, elle va m'aider. je crois je vais exploser de trouille. Son frère est parti la chercher chez elle. Purée son tél était en silencieux mais j’appelai sans cesse, son frère de 20 ans a pris la voiture, est parti la chercher à 10kms chez elle en pleine nuit, en pensant peut être que son père était en train de mourir ? C'est normal de devoir faire ça à 20 ans ?
On a passé nuit blanche tous les trois dans notre chambre. Cette nuit là par la fenêtre ouverte plein d'étoiles filantes ont sillonné le ciel. il paraît qu'il faut faire des vœux, je me suis accrochée aux étoiles. Je pensais "surtout que la petite ne se réveille pas, elle aura 4 ans demain, tout ça c'est pas pour une petite princesse de 4 ans !"
Quelques appels du docteur machin jusqu'au petit matin, "hémorragie digestive, on opère, on transfuse, complications mais on maîtrise, attendre". Je crois je me suis endormie vers 5h30. A 6 h le chirurgien chef de service à appelé, mais pourquoi lui ? je le croyais en vacances. Il a dis que là il fallait venir, que la situation devenait compliquée. J'ai appelé les autres papi mamie, vite emportez la petite endormie. Nous sommes partis à l'hôpital avec mes deux enfants, mon beau fils, mes deux meilleurs amis, de Nice mon fils aîné et sa femme nous ont rejoins là bas. Dans la voiture je pensais on arrive nombreux, tous ensemble on va trouver une solution, ça va s'arranger. Je m'accrochais à ça, c'est pas envisageable qu'il ne s'en sorte pas, il dois sortir et rentrer à la maison la semaine prochaine c'est sur c'est obligé il est trop fort trop plein de vie, c'est sur c'est sur.
Dans la salle famille de la réa ils ont apporté plein de chaises on était serrés comme des sardines mais ça me rassurait on est fort on est une famille. Le chirurgien a expliqué tout ce qui s'est passé dans la nuit, hémorragie digestive suite fistule pancréatique, complication rare à J 10 et à 58 ans mais gravissime, opération transfusion 1 er arrêt cardiaque. réanimation re hémorragie embolie pulmonaire, 2ième arrêt à 5h30......................................................................................
J'ai mis le costume de la maman épouse qui va tenir le choc et s'occuper de tout. Le reste de l'été est passé dans un tourbillon comme un mauvais film, je faisais tout ce que j'avais à faire, la maison est restée pleine de monde, enfants et proches, jusque fin août. Je tenais mon rôle, je me sentais envahie par tous ces gens, moi j'aurai aimé fermer une porte, être seule, partir avec toi. Je regardais les enfants, je me disais "tu vas pas leur faire ça putain, ils ont 20 ans 31 et 34 ans, tu vas pas leur faire ça ils ont assez pris cher là !"
Fin août un matin qu'une fois de plus ma fille m'avais amenée à la plage (mon dieu jamais j'ai autant été me reposer et nager à la plage que cet été ), je suis allée nager seule jusqu'aux bouées tout au bout après celles de la baignade surveillée. Souvent lui et moi on nage jusque là, on "s'assoit" sur les cordes entre les bouées, on flotte tranquille, on papote, le regard tourné vers le large, ou vers la grève, on est seuls au monde, on est bien, on blague, on refait le monde. Là je me suis assise sur les cordes comme d'habitude. J'ai pensé, "si je veux je retourne sur la plage et je ferais la vie. Si je veux je pars plus loin que les bouées et je m'en vais." Je me suis sentie incroyablement libre d'avoir le choix, cette fois si je veux je pourrai maîtriser, je ferai ce que je voudrais. Je comprends ça peut faire rire mais là sur l'instant je me suis sentie capable de faire un choix, de maîtriser la situation.
6 mois et 20 jours ont passé.
J'ai repris le travail il y a 3 semaines, pendant cette convalescence j'ai été, nous avons avec les enfants été accompagnés, médecin, psy, naturopathe, ostéopathe, guérisseur. J'ai tout fait pour me réparer.
Au travail auprès des résidents (je suis éduc auprès d'adultes handicapés moteur) je fais comme s'il ne s'était rien passé, les collègues sont attentifs et empathiques, rien à dire. Au travail je mets le costume du "ça va". Je m'étourdis d'activités auprès des résidents, à l'atelier chorale je chante très fort comme jamais j'ai chanté, je veux me noyer dans l'action.
Dans la vie je mets mon autre costume du "ça va aller". J'ai repris les entraînements de course à pied 15 jours après son départ, j'ai fais les compèt cet automne, mon premier podium, ça m'a même pas fait plaisir, je cachais mes yeux derrière mes lunettes noires je voulais qu'on ne me reconnaisse plus pour pas entendre "ça va ?". C'est la colère et le désespoir qui me donnent des ailes, il est là sur mon épaule quand je cours, il me pousse, me tire, me dis "vas y t’arrête pas te laisse pas aller, avance plus vite plus fort".
Mais je suis perdue, j'ai le cœur en miettes, je commence à être en colère contre lui, pourquoi tu es parti ? Tu me manques terriblement, pourquoi tu me laisses toute seule ?
J'ai envie de prendre mon sac à dos et me tirer et marcher loin, disparaître, en même temps j'aime trop ma maison et mon environnement, je veux tout.
Quand je flippe trop je me dis "lui il me dirait quoi ?" Je le connais trop bien je sais ce qu'il me dirait et ça m'encourage : "Un pas après l'autre, un jour après l'autre."