Bonjour.
Je m'astreins à utiliser "notre" forum comme un espace permettant à la fois d'exprimer les mots du deuil mais aussi son cheminement. Cette quatrième année s'ouvre sur la question du deuil apaisé.
Comment traduire au mieux toutes les difficultés de ce sujet tant elles sont nombreuses, non seulement sur un plan métaphysique mais aussi sur un plan purement quotidien?
Le meilleur fil à tirer me semble le devenir de ce bouquin écrit en début de cette année et ce qu'il soulève d'épineux. Central et essentiel pour soi-même, mode d'expression alliant déroulé du deuil et singularité du chemin choisi pour l'accomplir, un livre n'est pas un simple objet, d'autant plus qu'il ne s'appuie pas sur du fictif mais sur du réel. Un livre, à sa façon, vit son autonomie par les interactions qu'il génère, en étant lu ou pas.
J'aurais aimé que tous mes proches s'en saisissent, et m'en fasse retour. Nombre de lectrices et lecteurs m'ont interpellé, faisant état de ce que cette lecture leur amenait. Le plus souvent des pistes pour leur propre questionnement, mais principalement la "preuve" qu'il est possible de mettre des mots sur l'indicible.
Et c'est bien cette question de l'indicible qui s'ouvre dans le "segment" de chemin "deuil apaisé".
Partie de mes proches ami(e)s sont désarmés pour soutenir un deuil d'enfants. Qui l'est d'ailleurs? C'est une telle aberration. Nul n'a ces ressorts en amont, juste un rapport à la mort plus ou moins construit. Le tri qui s'opère dans les années post trauma est impitoyable. nombre d'entre nous le vive, souvent cruellement exclus d'anciennes relations qui n'ont pas sues survivre au passage traumatique. Des ami(e)s, la famille, n'ont su faire autrement que de vous tenir à une telle distance qu'elle s'est finalement traduite par une sorte d'indifférence qui ne se nomme pas. un "chacun sa vie" et débrouillez-vous avec votre malheur". Ce fut parfois même à nous, parents-deuil de relever le moral d'autrui, tout au moins pour les liens qui ont tenu, ne serait-ce que par cette capacité qui accompagne grand deuil : relativiser et recadrer les "p'tits ennuis" de la vie dans leur place réelle. ¨Etre parent signe des emmerdements, des questions, de l'angoisse, des adaptations que nos enfants vivants ne cessent de mettre en jeu. Et, bien souvent, rappeler que ces soucis restent dans le camp du vivant fait, à mon avis, partie de notre rôle de parent-deuil. Ce rôle que destin nous assigne n'est pas simple, évidemment, puisqu'il implique de nous frotter à notre propre vide. Le manque de nos enfants défunts, le réel de leur présence n'est plus de notre compétence parentale, nous sommes dans un "autrement".
Comme chacun(e) sait ici que cet "autrement" risque de nous engloutir dans le mortifère qu'il véhicule, la question du deuil apaisé est, toujours à mon avis, lié à notre capacité de contention. Force est de constater que je ne partage pas ces écrits du forum avec mes proches, c'est du registre intime, à la fois partagé "avec vous", et reflet de cette appartenance singularisant notre nouvelle identité parentale, soit-elle partielle.
Il n'en est pas de même pour mon bouquin. J'aurais aimé que ce soit lu par toutes et tous, un "hors-forum", et ce ne fut pas le cas. Ce livre de l'indicible n'est, pour l'instant, pas accessible à plusieurs ami(e)s, et je dois ne pas en être blessé.
Et le passage est étroit entre un "faire comme si" rien n'était arrivé et un "faire avec" qui reconnaît que ce silence sur le sujet de grand deuil participe plus d'un respect profond que d'une indifférence ou un déni de notre état.
Cette frontière a ses exigences : accepter que partage et non-partage se côtoient sans pour autant s'entrechoquer. Le tri relationnel des débuts du deuil, excluant définitivement une partie de notre environnement affectif a un temps. Un autre temps s'ouvre avec deuil apaisé : celui d'engager un travail de co-habitation de grand deuil avec le normal de tout parent légitimement plus pré-occupé du vivant que du défunt sans qu'ils s'excluent mutuellement.
C'est une première réflexion sur ce sujet, pardonnez qu'elle ne soit pas encore très claire. Je la résumerai à cette formulation : nous, parents-deuil, devons accepter que nous ne sommes pas égaux devant le dicible de la mort, que de contenir l'indicible fait partie de notre transformation.
Bizs.
Pascal.