As tu lu Philippe Forest?
Le chat de Schrödinger?(ça me semble être dans l'air du temps que tu traverses en ce moment...j'aime beaucoup cet auteur pour son réalisme face à la mort de l'enfant et son inconsolabilité radicale...)
«Attraper un chat noir dans l'obscurité de la nuit est, dit-on, la chose la plus difficile qui soit. Surtout s'il n'y en a pas.
Je veux dire : surtout s'il n'y a pas de chat dans la nuit où l'on cherche.
Ainsi parle un vieux proverbe chinois à la paternité incertaine. Du Confucius. Paraît-il. J'aurais plutôt pensé à un moine japonais. Ou bien à un humoriste anglais. Ce qui revient à peu près au même.
Je crois comprendre ce que cette phrase signifie. Elle dit que la sagesse consiste à ne pas se mettre en quête de chimères. Que rien n'est plus vain que de partir à la chasse aux fantômes. Qu'il est absurde de prétendre capturer de ses mains un chat quand nul ne saurait discerner, même vaguement, sa forme absente dans l'épaisseur de la nuit.
Mais Confucius, si c'est de lui qu'il s'agit, ou bien le penseur improbable auquel on a prêté son nom, n'affirme pas que la chose soit impossible. Il dit juste que trouver un chat noir dans la nuit est le comble du difficile.
Et que le comble de ce comble est atteint si le chat n'est pas là.
J'ouvre les yeux dans le noir de la nuit. Des lignes, des taches, des ombres, le scintillement d'une forme qui fuit. Quelque chose qui remue dans un coin et envoie ses ondes ricocher au loin vers le vide qui vibre.»
Télérama:"Le chat de Schrödinger, qui donne son titre au nouveau roman de Philippe Forest, est ce qu'on appelle une expérience de pensée — une image, une fable, dont l'objectif est d'illustrer, de façon métaphorique, une théorie scientifique trop abstraite pour que l'esprit humain puisse se la représenter. Erwin Schrödinger (1887-1961) est en l'occurrence un des pères de la physique quantique et, pour simplifier, disons que l'expérience du chat, qu'il a imaginée, illustre l'hypothèse, qui défie tout ensemble la physique classique et le bon sens, mais a valeur de loi dans la mécanique quantique, selon laquelle « toute chose existe simultanément sous des formes opposées au sein de la réalité ». Certes, c'est difficile à avaler, mais c'est ainsi, partons du principe « qu'une chose puisse à la fois être et ne pas être, exister simultanément sous différentes formes pourtant incompatibles les unes avec les autres, qu'ainsi être ou ne pas être cesse soudainement d'être la question ».
Car tel est le point de départ de la méditation de Philippe Forest, l'entrée en matière de ce roman poétique et somptueusement spéculatif. Qui, au côté du chat de Schrödinger, en convoque un autre : une apparition « sous forme de chat », surgie un soir dans l'obscurité au fond du jardin du narrateur. L'intérêt de ce dernier pour la physique quantique, pour Schrödinger et son hypothétique félin, ainsi que pour le chat sans nom qui hante son jardin, constituant, pour lui, le support d'une réflexion patiente, intimiste et métaphysique sur la relation que l'homme entretient avec l'insaisissable réel. Une interrogation qui convoque tout ensemble l'infiniment grand (l'Univers et le néant d'où tout est né), l'infiniment petit (le monde de l'atome et ses étranges lois), mais aussi l'enfance et la mémoire, l'histoire en tant que récit et en tant que destin..., pour faire de tout cela la « matière hétéroclite d'un récit plutôt monomaniaque comme ceux qu'on se fait à soi-même les nuits d'insomnie, où se juxtaposent et se chevauchent dans l'obscurité tous les morceaux du jour, et dont ne reste rien de plus qu'une bouillie de souvenirs au réveil ».
Dans ce récit, en son coeur même, il est un vide : celui laissé par la petite fille morte qui occupe depuis toujours, livre après livre (L'Enfant éternel, Tous les enfants sauf un, Sarinagara...), le centre de l'oeuvre de Philippe Forest. Comme une absence, « un trou au ventre ». Une plaie que Le Chat de Schrödinger vient à son tour, d'une nouvelle façon — philosophique, poétique, grave, bouleversante —, ausculter, à défaut de pouvoir la guérir, la consoler. A défaut aussi, et en dépit de toute science, de pouvoir finalement lui donner un sens, autre que « ce grand mouvement d'ombres qui pousse tout vers le néant ».
Nathalie Crom