11 mars 2013
Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Louis Aragon
Rainer Maria Rilke
Poète peu connu en France et évoqué par Louis Aragon dans son poème: Est-ce ainsi que les hommes vivent!
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Je ne suis pas de ceux que l'amour console. Il en va bien ainsi. Qu'est-ce, en effet, qui me serait plus inutile à la fin qu'une vie consolée ?(Rainer Maria Rilke)
« Rainer Maria Rilke est significatif pour notre époque, ce poète le plus éloigné dans l’éloignement, le plus élevé dans le sublime, le plus solitaire dans sa solitude, est le contre-poids de notre temps ». Marina Tsvetaeva.
Rainer Maria Rilke fut surtout connu en France pour ses lettres à un jeune poète qu’il écrivit à 27 ans et beaucoup moins pour des œuvres bien plus essentielles comme les Cahiers de Malte Laurids Brigge, les Sonnets à Orphée ou les Élégies de Duino. Depuis son œuvre est parmi nous, pas toujours bien comprise.
Certes les traductions en français de Rilke sont légion, mais toutes inéluctablement imparfaites, même celle de Maurice Betz réalisée sous le contrôle du poète. Car la langue Rilke est ancrée dans le lyrisme particulier de la langue allemande et souvent par l’emploi de vers rimés impossibles à rendre en français sans préciosité. La rythmique si personnelle qu’il donne à la langue allemande est inapprochable, moderne et évidente à la fois.
Et souvent cette tendresse presque féminine de ses vers n’est rendue que par la mièvrerie.
Rilke, lui-même traducteur éminent, au fond ne désirait sans doute pas être traduit. Il aura écrit des poèmes en français, « Les Quatrains Valaisans », « Vergers ». Et là, la magie si particulière de sa poésie n’est plus présente, peut-être étouffée par l'ombre de Paul Valéry qu'il traduisait en allemand.
Sa vie commencée dans la contrainte d’une éducation militaire ne sera plus ensuite qu’une volonté de refus de s’enraciner. Né le 4 décembre 1875 à Prague, il mourra de leucémie le 29 décembre à Valmont dans le Valais Suisse; et non pas en cueillant une rose comme le veut la légende qui l’entoure.
Sa tombe est à Rarogne, dans le canton de Valais, à côté de la vielle église catholique sur la colline face à la vallée du Rhône. Il l'avait choisie, et elle est bien seule, avec une rose qui semble veiller sur lui. Et cette inscription composée par Rilke lui-même:
« Rose, ô pure contradiction, volupté de n'être le sommeil de personne sous tant de paupières ».
Est-ce ainsi que les hommes vivent (adaptation de Léo Ferré)
Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays.
Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit.
C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu.
Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Louis Aragon, (interprétation de Léo Ferré)