Ginette Reno... Ceux qui s'en vont ceux qui nous laissent...
https://www.youtube.com/watch?v=RcbS4Avj_aI ************
Charles Baudelaire... Au Lecteur...
https://www.youtube.com/watch?v=FPpfT1DLrnYAu Lecteur
La sottise, l'erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.
Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.
C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.
Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.
Serré, fourmillant, comme un million d'helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas! n'est pas assez hardie.
Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,
II en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;
C'est l'Ennui ! L'œil chargé d'un pleur involontaire,
II rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
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" - Dans ce premier poème, le lecteur est confronté à la plume acide de Baudelaire, qui dépeindra toutes les tares de son lectorat. On retrouve dans Au lecteur, une sorte de condensé de ce qui a pu naître de la plume Baudelairienne dans ce recueil... On peut affirmer que ce poème est une cristallisation des thèmes des Fleurs du mal, mais qu'il fait aussi passer un message clé de Baudelaire.
Tout d'abord, il convient d'analyser les différents champs lexicaux de ce poème. La Mort, l'Enfer, Satan, les forces du mal, le péché, le vice, la bêtise humaine sont des éléments qui constituent véritablement les Fleurs du mal. Le vocabulaire de ce premier poème est primordial et introduit incontestablement les sujets qui seront abordés dans la suite de l'oeuvre, préparant le lecteur à la suite. Ainsi, vous pourrez rapidement diviser Au lecteur en plusieurs thèmes et faciliter votre lecture et découverte de l'oeuvre. Vous pouvez noter un champ lexical infernal (Satan, Diable, l'Enfer, démons etc) et bestiaire (les chacals, les panthères, les lices, les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, ménagerie infâme), accompagné du champ lexical du vice (erreur, péché, lésine), omniprésent, car c'est cela que dénonce Baudelaire à travers son choix du vocabulaire : le caractère impur et les sombres ambitions de l'être humain. Cependant, il ne faut pas oublier qu'il y a une cause principale à tout cela : l'Ennui.
Ensuite, le vocabulaire axiologique (qui se rapporte à la morale) est omniprésent dans le poème Au lecteur. Il permet à la fois de faire une critique de ce qui constitue l'âme de l'être humain, quel qu'il soit, mais vise surtout à faire prendre conscience au lecteur de ce qu'il y a au fond de lui. Baudelaire ne fait pas l'apologie du mal, ni la critique de son lecteur, mais de l'humanité tout entière, en commençant par lui-même.
Le vocabulaire axiologique (sottise, erreur, péché, lésine, remords, lâches, têtus, plaisir clandestin) annonce la vision de l'homme et du monde de l'auteur, le jugement de Baudelaire étant ici entièrement explicite. Il montre que le pouvoir destructeur de l'homme et ses vices nombreux, sont ralentis par sa lâcheté qui l'empêche d'aller jusqu'au bout de ses fantasmes morbides « Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie, / N'ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins / Le canevas banal de nos piteux destins / C'est que notre âme, hélas! n'est pas assez hardie. » Cependant Baudelaire ne se contente pas de critiquer le lecteur. D'abord, c'est l'Ennui qui pousse au vice, ensuite, le lecteur est son semblable, son frère ; il n'est pas question pour lui de critiquer son lecteur mais de lui faire prendre conscience de l'animalité et des vices qui unissent l'humanité toute entière."