J'en avais parlé plus haut
café philo où je vais
la vie a t'elle un sens
je vous partage les textes que l'association nous a envoyé pour préparer les réflexions interventions
LA VIE A-T-ELLE UN SENS ?
* * *
Sur le besoin existentiel que notre vie ait du sens à nos propres yeux
Tout homme complet a en lui, dans le cœur de son cœur, un centre secret autour de quoi tourne l'univers; cette révolution secrète donne une unité à notre pensée et à nos actions et nous aide à découvrir ou à inventer l'harmonie du monde. Les uns ont l'amour, d'autres la soif de la connaissance, d'autres la bonté ou la beauté; ou encore la passion de l'or et du pouvoir : tout cela ils le rapportent et le soumettent à cette passion centrale. Malheur à l'homme qui ne sent pas au fond de lui-même un monarque absolu qui le gouverne. Sa vie, anarchique et incohérente, se disperse à tous les vents.
Nikos Kazantzaki (1883-1957)
Lettre au Gréco, 1956
* * *
L’idée du sens de la vie et progrès des connaissances
La question de sens de la vie n’est pas séparable de l’ensemble des connaissances à notre disposition sur le vivant et le monde.
Copernic proposa le mouvement de la Terre dans un effort pour améliorer les techniques utilisées dans la prévision des positions astronomiques des corps célestes. Cette idée souleva dans les autres sciences des problèmes nouveaux, et, jusqu'à ce qu'ils fussent résolus, la conception de l'univers que proposait l'astronome demeura incompatible avec celle des savants des autres disciplines. La réconciliation, au XVIIème siècle, des autres sciences avec l'astronomie copernicienne fut une cause importante de la fermentation générale des esprits que nous appelons maintenant révolution scientifique. Par cette révolution, la science allait gagner le grand rôle qu'elle a joué depuis dans l'évolution de la société et de la pensée occidentales.
Mais ses conséquences sur la science n'épuisent pas le sens de cette révolution. Copernic vécut et travailla à une époque où des changements rapides dans la vie politique, dans la vie économique et dans la vie intellectuelle jetaient les bases de la civilisation européenne et américaine modernes. Sa théorie planétaire, et la conception qui lui est solidaire d'un univers centré sur le Soleil furent des instruments de transition de la société médiévale à la société occidentale moderne, parce qu'ils semblaient affecter la relation de l'homme à l'univers et à Dieu. Correction étroitement technique et strictement mathématique de l'astronomie classique, à l'origine, - la théorie de Copernic devint un des foyers des controverses passionnées, religieuses, philosophiques et sociales qui établirent l'esprit moderne au cours des deux siècles qui ont suivi la découverte de l'Amérique. Les hommes qui croyaient que leur abri terrestre n'était qu'une planète circulant aveuglement parmi une infinité d'étoiles, situaient leur place dans le cadre cosmique d'une façon toute différente de celle de leurs prédécesseurs, pour qui la Terre était le centre unique de la création divine. La révolution copernicienne fut donc aussi une partie de la mutation dans le sens des valeurs de l'homme occidental.
Thomas Kuhn (1922-1996)
La révolution copernicienne, 1973
* * *
Tous les sens ne sont pas effectifs comme sens de la vie
Le besoin de sens ne signifie pas que tous les sens que l’on donne à l’existence se valent. Certains sont constructifs et épanouissements, d’autres sont destructeurs et aliénants.
Pour comprendre l'homme et ses besoins, pour le connaître dans ce qu'il a d'essentiel, il ne faut pas opposer l'une à l'autre l'évidence de vos vérités. Oui, vous avez raison. Vous avez tous raison. La logique démontre tout. Il a raison celui-là même qui rejette les malheurs du monde sur les bossus. Si nous déclarons la guerre aux bossus, nous apprendrons vite à nous exalter. Nous vengerons les crimes des bossus. Et certes les bossus aussi commettent des crimes.
Il faut, pour essayer de dégager cet essentiel, oublier un instant les divisions, qui, une fois admises, entraînent tout un Coran de vérités inébranlables et le fanatisme qui en découle. On peut ranger les hommes en hommes de droite et en hommes de gauche, en bossus et en non-bossus, en fascistes et en démocrates, et ces distinctions sont inattaquables. Mais la vérité, vous le savez, c'est ce qui simplifie le monde et non ce qui crée le chaos. La vérité, c'est le langage qui dégage l’universel. Newton n'a point “découvert” une loi longtemps dissimulée à la façon d'une solution de rébus, Newton a effectué une opération créatrice. Il a fondé un langage d'homme qui pût exprimer à la fois la chute de la pomme dans un pré ou l'ascension du soleil. La vérité, ce n'est point ce qui se démontre, c'est ce qui simplifie. [...]
Tous, plus ou moins confusément, éprouvent le besoin de naître. Mais il est des solutions qui trompent. Certes on peut animer les hommes, en les habillant d'uniformes. Alors ils chanteront leurs cantiques de guerre et rompront leur pain entre camarades. Ils auront retrouvé ce qu'ils cherchent, le goût de l'universel. Mais du pain qui leur est offert, ils vont mourir.
On peut déterrer les idoles de bois et ressusciter les vieux mythes qui ont, tant bien que mal, fait leur preuve, on peut ressusciter les mystiques de Pangermanisme, ou d'Empire romain. On peut enivrer les Allemands de l'ivresse d'être allemands et compatriotes de Beethoven. On peut en saouler jusqu'au soutier. C'est, certes, plus facile que de tirer du soutier un Beethoven.
Mais de telles idoles sont des idoles carnivores. Celui qui meurt pour le progrès des connaissances ou la guérison des maladies, celui-là sert la vie, en même temps qu'il meurt. Il est peut-être beau de mourir pour l'expansion d'un territoire, mais la guerre d'aujourd'hui détruit ce qu'elle prétend favoriser. Il ne s'agit plus aujourd'hui de sacrifier un peu de sang pour vivifier toute la race. Une guerre, depuis qu'elle se traite avec l'avion et l'hypérite, n'est plus qu'une chirurgie sanglante. Chacun s'installe à l'abri d'un mur de ciment, chacun, faute de mieux, lance, nuit après nuit, des escadrilles qui torpillent l'autre dans ses entrailles, font sauter ses centres vitaux, paralysent sa production et ses échanges. La victoire est à qui pourrira le dernier. Et les deux adversaires pourrissent ensemble.
Dans un monde devenu désert, nous avions soif de retrouver des camarades : le goût du pain rompu entre camarades nous a fait accepter les valeurs de guerre. Mais nous n'avons pas besoin de la guerre pour trouver la chaleur des épaules voisines dans une course vers le même but. La guerre nous trompe. La haine n'ajoute rien à l'exaltation de la course. Pourquoi nous haïr ? Nous sommes solidaires, emportés par la même planète, équipage d'un même navire. Et s'il est bon que des civilisations s'opposent pour favoriser des synthèses nouvelles, il est monstrueux qu'elles s'entre-dévorent.
Puisqu'il suffit, pour nous délivrer, de nous aider à prendre conscience d'un but qui nous relie les uns aux autres, autant le chercher là où il nous unit tous. Le chirurgien qui passe la visite n'écoute pas les plaintes de celui qu'il ausculte: à travers celui-là, c'est l'homme qu'il cherche à guérir. Le chirurgien parle un langage universel. De même le physicien quand il médite ces équations presque divines par lesquelles il saisit à la fois et l'atome et la nébuleuse. Et ainsi jusqu'au simple berger. Car celui-là qui veille modestement quelques moutons sous les étoiles, s'il prend conscience de son rôle, se découvre plus qu'un serviteur. Il est une sentinelle. Et chaque sentinelle est responsable de tout l'empire.
Antoine Saint-Exupéry (1900-1944)
Terre des hommes, chapitre huit, les Hommes, 1939
* * *
La critique de ce que la société (mais aussi la famille, la religion,…) affirme être le sens de la vie
La question du sens de la vie humaine oblige à revisiter de manière critique les affirmations sociales et collectives de ce que doit être le sens de notre vie pour une morale, une société, une classe sociale, une communauté… Dans beaucoup de cas, l’affirmation de son propre sens de l’existence vient à bousculer ces normes sociales et communautaires, qui veulent dans beaucoup de cas que le sens de notre vie soit ce qu’ils pensent eux.
Considérons donc la manière dont nous menons notre existence. Ce monde est un carrefour d'affaires. Quelle agitation incessante ! Pratiquement toutes les nuits, je suis réveillé par le halètement des locomotives. Cela interrompt mes rêves. On ne respecte pas le sabbat. Comme il serait merveilleux de voir, pour une fois, le genre humain s'adonner au loisir ! Il n'y a rien d'autre que le travail, le travail et encore le travail. Ce n'est pas chose aisée que d'acheter un cahier aux pages blanches pour y consigner nos pensées, tous sont en général pourvus de lignes pour y inscrire des dollars et des cents. Un Irlandais, qui me voyait un jour prendre des notes dans la campagne, tint pour assuré que j'étais en train de calculer mes gages. Qu'un homme tombe d'une fenêtre dans sa petite enfance de sorte qu'il reste invalide à vie ou encore que les Indiens lui aient causé une telle frayeur qu'il en ait perdu la raison, on déplorera son état essentiellement parce qu'il en résultera une incapacité... à travailler ! J'estime qu'il n'existe rien de plus opposé à la poésie, à la philosophie, que dis-je à la vie elle-même que cette incessante activité, pas même le crime.
Il se trouve, dans les faubourgs de notre ville, un personnage qui gagne de l'argent, un être grossier et bruyant qui projette d'élever un mur de remblai sous la colline tout au long de sa prairie. Les autorités lui ont mis cette idée-là en tête pour l'empêcher de faire des bêtises et il veut que je consacre trois semaines à creuser dans cet endroit en sa compagnie. Il devrait en résulter pour lui un peu plus d'argent à thésauriser et, pour ses héritiers, un peu plus d'argent à dépenser inconsidérément. Si j'accepte ce travail, la plupart des gens me loueront comme un homme industrieux et dur à la tâche. En revanche, si je choisis de me consacrer à certains travaux qui me procureront moins d'argent mais sauront m'offrir un profit plus réel, il se peut qu'on soit enclin à me tenir pour paresseux. Quoi qu'il en soit, comme je n'ai pas besoin que la police chargée de la régulation des travaux inutiles s'occupe de moi, et que je ne vois rien d'absolument digne d'éloge dans l'entreprise de cet individu, pas davantage d'ailleurs que dans l'action menée par notre gouvernement ou ceux des pays étrangers - quelque amusement qu'ils puissent en retirer -, je préfère confier à une autre école le soin d'achever mon éducation.
Si, par amour des bois, un homme s'y promène pendant la moitié de la journée, il risque fort de passer pour un fainéant. Si, au contraire, il emploie toutes ses journées à spéculer, à raser les bois et à rendre la terre chauve avant son heure, on le tiendra en haute estime, on verra en lui un homme industrieux et entreprenant. Est-ce donc qu'une ville ne porte d'intérêt à ses forêts que pour les faire abattre ?
Henry David Thoreau (1817-1862)
La vie sans principes, 1863
* * *
POUR APPROFONDIR CE SUJET
- L'individualisme est un humanisme, François de Singly, Éditions de L'aube, 2005
- La complexité humaine, Edgar Morin, Flammarion, 1994
- La longue route, Bernard Moitessier (1970), Arthaud, 1994
- Le dîner de Babette, Karen Blixen (1958), Folio, 1992
- L’Homme révolté, Albert Camus (1951), Éditions Gallimard, 1988
- La peste, Albert Camus (1947), Gallimard, 1989
- Le mythe de Sisyphe, Albert Camus (1942), Éditions Gallimard, 1988
- Terre des Hommes, Saint-Exupéry (1939), Gallimard, 1991
- Noces, Albert Camus (1938), Éditions Gallimard, 1972
- Babbit, Sinclair Lewis (1922), Stock, 1969
- Martin Eden, Jack London (1908), 10-18, 1973
- Walden ou la vie dans les bois, Henry David Thoreau (1854), Gallimard, 1990