Oh Adèle !
Quel soulagement, ce que tu m'écris ! D'abord je voulais t'envoyer le message en mp, parce que je te fais confiance. Puis je voulais écrire cela depuis des jours, mais je n'osais pas, de peur de froisser nos amis, qui sont dans une telle douleur, alors que je suis dans le rejet et l'horreur !
J'avais peur de choquer. Le pardon, je ne peux pas... je peux éventuellement pardonner un jour pour moi, mais pas pour elle, coupée de sa famille, de sa langue, de ses amis. Enfermée dans un petit appartement pendant 12 ans sans autre compagnie que celle de son mari. Et quelle fin, quelle fin affreuse !
elle s'appelle Térésa, elle est irlandaise, avec une peau très blanche et avant sa maladie elle avait de merveilleuses boucles rousses.
Il prétendait que lui seul savait s'occuper d'elle, il disait qu'une aide ménagère anglophone était impossible à trouver (je lui répondais que Térésa n'avait pas forcément envie de parler, de toute façon elle ne pouvait plus, mais qu'elle aimerait être touchée, massée, qu'on lui chante des chansons, en français ou en chinois, peu importe).
J' ai appris "après" qu'en 2004, elle avait essayé de s'enfuir, avec son déambulateur, et qu'il l'a ratrappée. Il y a eu aussi des périodes où elle voulait mourir, il la forçait à manger, à prendre ses médicaments.
Il y a eu des cris, des pleurs, peut être des coups, dans cet appartement sordide, sale, sombre et enfumé. Si une assistante sociale avait vu cela... Mais personne n'avait le droit d'y entrer, sauf ses parents et sa soeur, à peine une fois par an... quant à la famille irlandaise, elle n'est jamais venue, jamais...
Il lui mettait la BBC ou la télé anglaise à longueur de journée, pendant qu'il était au travail, ou chez moi. Les 6 derniers mois, il était à mi-temps chez moi, alors elle était tout le temps seule...
Je ne sais pas si ce nouveau chemin de mon deuil est plus difficile. Il s'impose naturellement à moi.
Je me dis qu'il la prenait pour un objet, une poupée cassée, un jouet, et c'est horrible. Ce n'est pas de l'amour, ou alors de l'amour malade. Cette histoire sordide me donne l'impression d'avoir vécu un fait-divers, ou un roman de stephen King : je me suis approchée de la mort dans ce qu'elle peut avoir de plus malsain, de plus sordide.
Mon chemin doit se séparer de celui de ce couple maudit, ce n'est pas ma route.
encore merci de ton message
Je t'embrasse
Muriel