FORUM "LES MOTS DU DEUIL"
Comprendre et vivre son deuil => Discussions Générales => Discussion démarrée par: mirele le 27 janvier 2013 à 11:24:36
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bonjour à tous,
Le 25 septembre dernier, l'homme que j'aimais et avec qui je croyais pouvoir vivre un jour, s'est suicidé après avoir mis fin, dans la plus grande violence, aux jours de sa femme qui était en phase terminale de sclérose en plaques. Il la gardait à leur domicile depuis 12 ans et s'occupait d'elle entièrement seul.
Je cherche à comprendre pourquoi ce geste, ce double homicide.
J'écris régulièrement dans le module "deuil de son conjoint", parce que nous nous aimions et croyions sincèrement que nous allions unir nos vies, "après".
J'écris aussi dans le module "suicide". Mais aucun de ces modules ne répond à mes questions, parce que je n'y ai rencontré personne
ayant vécu de situation semblable à la mienne.
Personne n'est à même de comprendre l'horreur et même le dégoût qui m'envahissent devant ce qu'on pourrait gentiment appeler "euthanasie" mais qui demeure tout de même un meurtre (pour simplifier, il a jeté sa femme paralysée par la fenêtre du 9è étage, puis s'est jeté dans le vide, tout cela pendant que j'étais au téléphone avec lui..)
Tous les modules me parlent d'amour, de douleur, de pardon, de souvenir. Mais je n'ai pas envie de porter en moi cet amour mort qui a tué, fût-ce pour soulager d'intolérables douleurs. L'horreur de cette soirée gomme mes souvenirs d'amour et de bonheur et jette une ombre inquiétante sur un sentiment que je croyais pur et un avenir qui me semblait radieux.
Alors si l'un d'entre vous connaît situation similaire, s'il vous plaît, écrivez-moi, essayons de partager et de comprendre ensemble... Je ne suis tout de même pas la seule dans ce cas !
Merci à vous et essayez e passer une journée aussi douce que possible
Muriel
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Bonjour Mirele
je suis d'accord avec toi, c'est un meurtre. Et je trouve cela abominable alors qu'il existe des structures qui auraient pu aider cette pauvre femme a terminer sa vie, entourée de soins et de douceur.
Je suis soulagée de lire ce que tu écris enfin, cette prise de conscience qui doit être très difficile mais néanmoins salutaire pour toi, pour continuer à avancer.
On ne peut pas expliquer ce geste, on ne connait pas ces deux personnes et même si nous les connaissions le suicide est souvent inexplicable. Par contre j'ai une énorme compassion pour cette femme malade, qui d'après ce que tu as déjà écrit, a vécu sa fin de vie dans une énorme solitude et qui n'a pas eu d'autre choix que d'être finalement jetée par une fenêtre, comme on jetterait un objet inutile.
Cela n'a aucun rapport avec l'euthanasie, puisque l'euthanasie est demandé par le patient, elle est discutée ensuite par un collège de médecins avec la famille, que c'est une décision qui est longue et difficile à prendre, et elle n'est surtout pas prise par une seule personne qui s'arrogerait le droit de vie et de mort sur une autre, que personne n'interroge ou écoute.
Bon courage pour la nouvelle direction que prend ton chemin de deuil Mirele. C'est un chemin extrèmement difficile, mais parce qu'il est respectueux de cette femme (quel est son prénom?) il sera, je pense, plus réparateur.
Affectueusement
Adèle
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Oh Adèle !
Quel soulagement, ce que tu m'écris ! D'abord je voulais t'envoyer le message en mp, parce que je te fais confiance. Puis je voulais écrire cela depuis des jours, mais je n'osais pas, de peur de froisser nos amis, qui sont dans une telle douleur, alors que je suis dans le rejet et l'horreur !
J'avais peur de choquer. Le pardon, je ne peux pas... je peux éventuellement pardonner un jour pour moi, mais pas pour elle, coupée de sa famille, de sa langue, de ses amis. Enfermée dans un petit appartement pendant 12 ans sans autre compagnie que celle de son mari. Et quelle fin, quelle fin affreuse !
elle s'appelle Térésa, elle est irlandaise, avec une peau très blanche et avant sa maladie elle avait de merveilleuses boucles rousses.
Il prétendait que lui seul savait s'occuper d'elle, il disait qu'une aide ménagère anglophone était impossible à trouver (je lui répondais que Térésa n'avait pas forcément envie de parler, de toute façon elle ne pouvait plus, mais qu'elle aimerait être touchée, massée, qu'on lui chante des chansons, en français ou en chinois, peu importe).
J' ai appris "après" qu'en 2004, elle avait essayé de s'enfuir, avec son déambulateur, et qu'il l'a ratrappée. Il y a eu aussi des périodes où elle voulait mourir, il la forçait à manger, à prendre ses médicaments.
Il y a eu des cris, des pleurs, peut être des coups, dans cet appartement sordide, sale, sombre et enfumé. Si une assistante sociale avait vu cela... Mais personne n'avait le droit d'y entrer, sauf ses parents et sa soeur, à peine une fois par an... quant à la famille irlandaise, elle n'est jamais venue, jamais...
Il lui mettait la BBC ou la télé anglaise à longueur de journée, pendant qu'il était au travail, ou chez moi. Les 6 derniers mois, il était à mi-temps chez moi, alors elle était tout le temps seule...
Je ne sais pas si ce nouveau chemin de mon deuil est plus difficile. Il s'impose naturellement à moi.
Je me dis qu'il la prenait pour un objet, une poupée cassée, un jouet, et c'est horrible. Ce n'est pas de l'amour, ou alors de l'amour malade. Cette histoire sordide me donne l'impression d'avoir vécu un fait-divers, ou un roman de stephen King : je me suis approchée de la mort dans ce qu'elle peut avoir de plus malsain, de plus sordide.
Mon chemin doit se séparer de celui de ce couple maudit, ce n'est pas ma route.
encore merci de ton message
Je t'embrasse
Muriel
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Muriel,
C'est une épouvantable énigme qui ajoute à ta douleur.
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En fait, j'en ai discuté longuement avec mon psy et aussi la psy d'Emmanuel. Mais ni l'un ni l'autre ne sont psychiatres...
Tous deux pensent qu'il y a une dimension psychotique. Qu' un homme qui s'occupe seul, pendant 12 ans, d'un grand malade, ou bien est déjà perturbé à la base, ou bien le devient forcément, parce que c'est trop dur.
Il a épousé sa femme après l'annonce du verdict, alors que d'autres auraient fui. Il a donc aussi épousé la la maladie. Iol disait que jamais, jamais, il ne l'abandonnerait ...en effet il est parti avec, mais en même temps il l'a abandonnée à des douleurs physiques et morales atroces ... je trouve que c'est de la maltraitance, mais il se fâchait dès que quelqu'un essayait de la raisonner sur sa façon de s'occuper d'elle.
Mais je ne suis pas si accablée que cela. J'ai de sursauts de lucidité et de révolte. Je veux vivre. Rien n'effacera jamais cette conversation téléphonique surréaliste de 2 heures qui a précédé son suicide, une conversation avec la MORT elle même, mais justement, je lui ai parlé et je veux vivre !
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Comme tu as raison, Muriel, de vouloir vivre !
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Bonsoir Mirele,
Je réponds à ton message car il m'interpelle en tant que soignante à domicile. Accompagner une personne que l'on aime,atteinte d'une maladie évolutive est très difficile pour qui que ce soit, c'est pour cela qu'il y existe des services de soins et d'aide à domicile car il n'est pas possible d'être à la fois le mari, l'amant et l'infirmier... où alors si on y arrive, ça ne peut pas durer dans le temps, c'est impossible !
Ton ami s'est retrouvé devant un mur, il est allé trop loin, a voulu s'en sortir seul, c'était au-dessus de ses forces... et comme il est allé beaucoup trop loin, il n'a pas pu appellé au secours car il ne voulait pas que quelqu'un se rende compte de cette situation insupportable, pour elle tout d'abord et aussi pour lui ! J'ai connu deux situations comme celle-ci à domicile où le monsieur âgé a tué sa femme malade avant de se donner la mort car la situation lui était devenu insupportable, mais il n'en parlait pas, et par devoir, ou par honneur, il voulait aller jusqu'au bout sans aide!!!!
Face à des situations trop difficiles, nous n'avons rien à perdre à voir nos limites, et à demander de l'aide, sinon c'est le burn out, et sans aller si loin il y a de véritables situations de maltraitance chez des personnes qui s'aimaient, mais quand la maladie dure de nombreuses années les conséquences sur la vie du couple sont très difficiles à supporter sans un véritable soutien de l'extérieur.
Quant à toi Mirele, trouve de l'aide pour parler de tout ça et t'aider dans ce difficile travail de seuil.
Bien chaleureusement avec toi
Mariej
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et comme il est allé beaucoup trop loin, il n'a pas pu appellé au secours car il ne voulait pas que quelqu'un se rende compte de cette situation insupportable, pour elle tout d'abord et aussi pour lui ! J'ai connu deux situations comme celle-ci à domicile où le monsieur âgé a tué sa femme malade avant de se donner la mort car la situation lui était devenu insupportable, mais il n'en parlait pas, et par devoir, ou par honneur, il voulait aller jusqu'au bout sans aide!!!!
mariej
merci de ton témoignage, qui m'est précieux, car je crois que c'est exactement ce qui s'est passé. Il ne voulait révéler à personne le côté insurmontable de leur situation. Personne n'avait le droit de voir sa chérie, de s'occuper d'elle. Comme tu le dis, il en faisait un point d'honneur.
Mais au fond il n'avait plus le choix, car ce huis clos morbide aurait révolté et déçu tout son entourage. je sentais confusément tout cela après avoir tourné et retourné la situation deans tous les sens pendant des semaines, mais tu le formules nettement mieux que moi et tes paroles vont m'aider à avancer.
je pense aussi qu'il était sincère dans son amour pour moi et sa volonté de s'accorder une autre vie avec moi, de passer à autre chose, mais qu'il n'a pas pu.
Sa psy dit que ces années de soins solitaires ont pu le "casser" à l'intérieur
ou alors l'idée d'un bonheur possible avec moi et sans elle lui a fait peur
si tu as des idées, Mariej, et sans trahir le secret médical, je serais heureuse de parler avec toi
encore merci
muriel
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Bonsoir Muriel,
Je t'ai répondu par mail mardi, à bientôt de tes nouvelles
Bien chaleureusement
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bosoir mirèle
je suis très touchée et impressionnée par ton histoire et ta capacité à avoir de la compassion pour térésa
le rejet et l'horreur que tu éprouvent sont une grande souffrance tout aussi digne que celle des autres et pas du tout moindre, d'ailleurs la souffrance ne se pèse pas
vous avez tous souffert dans cette histoire absolument dramatique mais toi tu es vivante, et je suis persuadée que ta vraie générosité, ton intelligence vont beaucoup t'aider à te reconstruire doucement comme nous tous
avec toute ma considération, amitiés