Bonjour Marina,
Non, je n'ai pas peur de personnes mal intentionnées, ça ne me dérange pas trop que des individus perdent leur temps à prendre une autre identité, qui sait, ils ont aussi besoin d'avancer dans cette voie. De toute façon, ici, si les mots sont méchants, ces individus vont se faire retourner assez rapidement. En fait, je parlais d'un vécu sur un forum de discussion d'un certain type d'ordinateur et les "gars" étaient assez durs. À l’époque, ça m’avait vraiment blessé. Et là bas, c'était quelques chose de bien: frapper pour mieux contrôler, on voit ça souvent sur le net.
Merci pour ton soutien, il me reste encore, ce soir, à rédiger un Plan de travail annuel. Après, j'ai aussi une autre liste, la mienne...
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Je viens de me relire… On dirait une indigestion… c’est peut-être trop. Je suis désolée si ça paraît lourd.... Ne me lisez pas si c’est « too much ». Ça me fait du bien de l’écrire.
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J'ai vécu cette belle Afrique décrite par Suzie, celle généreuse, mais j'ai surtout ressentie l'autre, celle qui fait que je ne pouvais plus y rester.
De cette époque, celle du Ghana, qui a duré 2 ans, je suis soulagée d'en être partie. De l’avis de Lowell et moi, il était préférable que nous (Lou et moi) partions de ce milieu. Lowell y est resté 1 an de plus. Et moi, je suis revenue vivre à Québec, dans cette maison de banlieue. Un gros choc de retour. Une autre histoire.
Il faut le dire : Kintampo est très pauvre. Pas le pire, mais pauvre à tous les niveaux, sauf celui de la chaleur humaine.
Et encore. Chaleur humaine à travers les filtres de l’immense différence qui existera toujours, entre des Occidentaux scolarisés et de loin plus riches et des Africains très, trop pauvres. Quand on ne mange des protéines animales qu'une fois par 2 ou 3 mois, il y a des conséquences désastreuses sur le corps. Surtout celui des enfants.
Toujours désirer la connaissance de l’autre, avoir sa curiosité et partager le quotidien est certainement ce qui motive le plus des étrangers lorsqu’ils entreprennent la découverte d’un nouveau monde. Mais ça ne dure qu’une période. Le quotidien rattrape un jour ou l'autre. Surtout avec un "visage pâle" de 4 ans et demi, qui se prend pour une petite reine, devant des enfants qui feraient tout pour avoir accès à quelques jouets et rencontrer le Blanc.
Ne plus avoir d’intimité, être toujours examinée, perdre le goût de se promener, puisque le regard de l’autre est omniprésent, voire agressant – et "ce" regard est multiplié de nombreuses fois. « Qu’est-ce que je fais là », les deux pieds dans le sable brûlant et la crotte de chèvre, en direction du marché public. Ne plus prendre une petite marche sympa, parce qu'il peut y avoir un jet de pierre qui m’arrive dessus. Les enfants trouvent ça drôle. Préparer à manger dans une cuisine cuisante, remplie de sable, de fourmis, durant au moins 4 ou 5 heures par jour, pour que ce soit mangeable, pour être sûr que personne ne tombe malade. Se laver les mains au minimum 10 fois par jour, s'assurer que le filtre à eau est toujours en fonction, expliquer à Dorkas, l'aide de la maison, pourquoi l'eau du robinet est dangereuse, et lui prouver par la rouille restée sur le filtre à eau.
Manquer de courant 1 jour sur 3. S’asperger d’un spray contre les moustiques, tous les soirs. Installer des spirales contres les moustiques dehors, après 17H30.
Vérifier chaque jour si le cadenas du puits est bien barré. Vivre avec un puits m'a fait terriblement peur. Avec une Lou curieuse de tout. Elle a déjà été à un pas de tomber dans un puits à 18 mois, sur la Petite Côte, au Sénégal, dans une pépinière. J’en tremble toujours. Et si notre puits était bien cadenassé, celui des autres ne l'était pas - tous les voisins en ont et la Lou se promenait souvent librement.
J'avais peur de beaucoup de choses, surtout à la fin. Pourtant, j'étais en Afrique depuis 17 ans et j'en avais vu d'autres. Mais il y avait cette petite de 4 ans, qui elle, n'avait peur de rien. Et un mari qui perdait la tête.
Lowell s'enfonçait dans sa réelle obsession du Moringa (un arbre, qui de par son feuillage, est exceptionnellement nutritif, la raison de notre présence au Ghana). J'étais seule très souvent, avec Lou et ses petits amis ghanéens. ET Lowell, qui se levait à midi, des fois plus tard… Je le voyais faire et j'étais tellement mais tellement découragée! Il prenait des pilules très fortes, contre l'épilepsie, suite à son accident de scooter à Dakar, en 2003 qui avait bien failli lui causer la mort. J’avais passé un mois en France, avec Lou de 9 mois. Lowell était soigné à l’hôpital américain de Paris. IL était dans un coma provoqué. Un de ses poumons avait été blaste et il avait eu un traumatisme crânien.
Il s’en est remis, mais avec des séquelles mentales moyennes.
Et il buvait toujours ses 8 bières par soir... il parlait de moins en moins. Je crois qu’il était déjà dans une détresse intérieure terrible.
Finalement, j'ai décidé de partir en septembre 2007, à la fin de la lecture d'un livre intitulé "Les yeux dans les arbres" de Barbra Kingsolver. Lowell m’avait offert ce livre après 4 ans de mariage, alors qu’on vivait encore à Dakar. Il l’avait commandé via ma sœur, qui vivait au Québec. C’est l’histoire d’une famille américaine vivant en Congo belge durant les années '50-’60, au pire temps de Mobutu. Cette famille s'enfonçait pas mal plus que nous. Pourtant, j'aurais pu écrire la même chose, comme sur la présentation du livre, en changeant le nom de Nathan pour Lowell et Évangélisation par "Moringanisation". Lowell avait aussi été élevé par des Baptistes, au Nigeria en plus et il était à sa manière complètement inflexible et oui, le chaos était là. Au moins, il n’était pas un fanatique de la religion.
Nathan Price, pasteur baptiste américain fanatique, entraîne sa famille dans les confins de Kinanga. Se sentant investi d’une mission divine impérieuse, il rêve d’évangéliser tous ceux qui croiseront sa route, de gré ou de force. Inflexible, rigide jusqu’à l’idiotie, il est celui par qui naît le chaos.
Quand il est mort au Québec en avril 2010, notre maison de Kintampo était remplie de tous nos effets – de l’atelier avec outils, aux décorations africaines datant des années ’80, tout notre linge, quelques jouets, ses livres, ses rapports, les outils pour le Moringa, son auto, notre cuisine, le frigo, la cuisinière, un salon complet, deux chambres… et il a fallu, 9 mois après son décès, que je la vide. J'avais une mission à faire au Congo et en même temps, j'ai été, seule, à Kintampo. Quatre jours à réfléchir, à regarder notre vie finie, nos espoirs, les siens surtout. Les enfants qui sont revenus me voir.
C'était dur, mais dur!
À mon retour, seule, à Kintampo, j’ai demandé à Dorkas -- une jeune femme qui travaillait pour Lowell depuis des années. Elle est restée un an et demi, seule, dans notre maison, pendant que Lowell se mourrait au Québec – Donc, je lui ai demandé m’accompagner dans la « vidage de maison ». J'ai trouvé des vieilles lettres de Lowell, toutes ses lettres d'amour, datant de 1988. Plusieurs femmes, dont sa première épouse lui écrivaient avec passion. Je les ai lues, pas toutes, il y en avait trop. Et j'ai décidé de les garder. Pour Laure, pour qu’elle les lise lorsqu’elle serait une grande. Qu’elle connaisse son papa. Sa vie en Afrique. Son amour de l’Afrique. Lowell aimait plus l’Afrique que sa propre famille.
Je les ai donc traînées dans une valise rouge, jusqu'au Congo, parce que j’avais une mission à faire là-bas, après celle de Kintampo. Durant notre retour du Bas Congo, vers Kinshasa, quelqu'un, sur la route, a piqué la valise où j'avais sélectionné quelques souvenirs, une excellente bouteille de Bordeaux et... les lettres d'amour de Lowell.
J’ai un peu pleuré. Tout ça pour ça…
Quel pied de nez. Lowell aurait détesté que je garde ses lettres. Je le connais. S’il était capable de me voir faire, il devait jubiler, prenant la main du voleur pour l’aider. Lou ne les lira jamais et ne connaîtra jamais le Lowell de cette époque.
Hey, Lo, tu dois être content, d’en haut, je t’entend rigoler, tranquillement.
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Maintenant, je retourne en Afrique pour des raisons professionnelles, deux semaines par voyage, 2 ou 3 fois par an. Mais avec des objectifs précis, qui ne sont pas toujours atteints. On travaille pour la formation professionnelle et universitaire et ça devrait me donner une magnifique énergie, mais je n'y vois que le cynisme de l'exercice: tant d'argent dépensé pour si peu... alors qu'il manque le minimum à la majorité de la population. Je me dis qu'au moins, par cet argent provenant des poches des Occidentaux, il y aura un peu plus de diplômés, ce qui est heureusement vrai. On vient de sortir 8 diplômés ingénieurs techniciens forestiers en RDC, et ça n'était pas arrivé depuis 25 ans.
Bon, désolée de toutes ces histoires rocambolesques et toutes mélangées. J'ai encore un gros ménage à faire.