J'ai voulu me soulager, reconstituer notre vie. J'ai l'impression que ça m'a fait du bien, et en même temps tellement de mal d'évoquer tout ce bonheur brisé d'un seul coup.
Notre rencontre :
Je venais de passer mon Bac et ai été embauchée à La Poste le 1er juillet pour un job d’été. Dès le premier jour, j’ai remarqué un grand brun, mince, hâlé, moustachu (j’ai toujours eu horreur de la moustache !!), ayant beaucoup d’humour. Dans les jours qui ont suivi, j’ai bien vu que je ne lui étais pas indifférente. Ce fût un vrai coup de foudre. J’avais 17 ans, lui 25. Le seul hic était qu’il était déjà marié, un mariage chaotique m’avait-il dit. J’avais toujours en tête les phrases type « méfie-toi des hommes mariés », mais il était trop tard, j’étais amoureuse et lui aussi.
Dès le mois de septembre, il s’est séparé de sa femme et notre histoire a vraiment débuté, malgré l’hostilité de mes parents qui n’y croyaient pas du tout. Je venais d’avoir 18 ans, commençait mes études, et étais obligée de rester chez mes parents par manque de revenus. Nous avons patienté deux ans, afin que j’ai mon BTS. J’ai eu mon diplôme au mois de juin, ai commencé à travailler le 1er juillet, et le 1er août nous avions enfin notre appartement ensemble. C’était le grand amour. Chaque jour, quand il commençait à travailler à midi, il me laissait un petit mot pour quand je rentrerais déjeuner. Il y avait à manger dans le frigo, la maison était rangée. Notre vie a continué, notre première fille est née deux ans plus tard. C’était le bonheur parfait.
La première dure épreuve a été le suicide de ma mère. Heureusement, j’avais notre fille qui avait 3 ans, et lui a mes côtés qui m’a soutenue, qui ne m’a pas lâchée.
Nous avons acheté une maison, décidé d’avoir un deuxième enfant. Alexis est né quand Julie avait 6 ans. Un garçon, Fabrice en était fou. Il faisait déjà des projets d’avenir avec lui, rêvait de lui apprendre à pêcher, à faire de la moto. Malheureusement, nous avons retrouvé Alexis mort dans son lit quand il avait deux mois et demi. Mort subite. Nous avons cru mourir à notre tour. Notre petite fille a vu son petit frère mort, un choc pour elle. J’ai tenu, tenu, pour elle, pour lui qui s’enfonçait. Nous avons vécu des années très difficiles, mais nous étions malgré tout tous les deux, je devais gérer notre fille qui entrait en CP, mon travail, mon doudou qui coulait doucement. Bref, j’étais « forte » comme on dit, et j’ai mieux réussi à m’en sortir que Fabrice. Deux ans après le décès d’Alexis est née Anouck, et nous avons retrouvé peu à peu notre joie de vivre.
Il a fallu 10 longues années pour que Fabrice remonte enfin à la surface, évacue la perte de notre fils. Nous faisions des projets, et avons décidé d’acheter une maison de « famille », un endroit où nous retrouver tous ensemble. Nous avons trouvé une toute petite maison dans un village perdu, loin de tout, mais proche d’une rivière où aller à la pêche, des forêts pleines de châtaignes, de champignons, d’un lac où nous nous baignions l’été, avec des habitants adorables, qui nous ont tout de suite intégré. C’était le bonheur. Nous avons retapé petit à petit cette maison, Fabrice n’a gardé que les murs en pierre et a tout refait du sol à la toiture. C’était notre refuge, et celui de nos enfants, même si elle râlaient un peu tant il n’y avait « rien à faire ».
La perte du fils de 16 ans de nos meilleurs amis a été de nouveau un choc important, mais de nouveau nous avons fait face ensemble.
L’année dernière, Fabrice a décidé d’agrandir la maison, pour recevoir notre famille et nos amis. Il y a travaillé un an d’affilé, sans compter son temps et sa peine. Il y avait toujours quelqu’un pour venir l’aider, mais ce fut un travail de titan, dalle sur pilotis à couler, toiture à faire, etc… Je lui disais qu’il se fatiguait trop.
Notre petite maison a été presque finie l’été dernier. Nous y avons fêté le nouvel-an avec des amis. Comme on était heureux. Nous nous sommes souhaité la nouvelle année en nous embrassant fougueusement. Nous étions enfin tellement bien.
Et puis, le lundi 26 mars dernier, nous avons passé sans le savoir notre dernière soirée ensemble. Je suis revenue de la piscine vers 21 h, il m’avait préparé à manger. Notre fille nous a adressé par mail une photo d’elle mangeant sur son balcon, car il faisait très beau. Nous avons ri, nous avons plaisanté, nous sommes montés nous coucher, câlins dans les bras l’un de l’autre. Vers minuit, il s’est levé en ma disant « j’ai des coliques ». Il est descendu aux toilettes au rez-de-chaussée et je ne l’ai plus revu. Je me suis rendormie, et ne me suis pas inquiétée de ne pas le voir remonter. J’aurais dû, je m’en veux, je n’en vis plus. Il s’est couché dans la chambre du bas, et il s’est endormi pour toujours. Ne le voyant pas se lever à 5 h 30, je suis descendue pour le réveiller. Et voilà, vision d’horreur, hurlements, samu et plus rien. Plus rien que le chagrin qui m’empêche de respirer, le chagrin de mes enfants que je n’arrive même plus à rassurer, à aider. Je fais d’immenses efforts pour elles, mais j’aimais tellement leur père…
Il y a tant de couples qui se déchirent, nous nous étions fusionnels. Même après 30 ans de vie commune, nous nous téléphonions tous les matins, souvent l’après-midi pour prendre des nouvelles. Dès que je sortais un peu tard du bureau, il s’inquiétait. C’était quelqu’un de bon, de généreux, qui pensait toujours aux autres avant lui, qui s’inquiétait toujours de notre bien-être avant le sien.
Je n’imagine même plus ma vie sans lui. Je tiens pour mes filles, mais n’ai qu’une envie : le rejoindre là où il est
Voilà notre histoire. Banale certes, mais tellement belle pour nous. Je souhaite à tout le monde de vivre une vie aussi riche, malgré les drames qui l’ont jalonnée.
Nathalie