Alors, je commence
Je signe mes messages PiMa, mon prénom est Marina et celui de mon mari Pierre.
Pierre/Marina = PiMa. J’ai 55 ans.
Je ne peux me résoudre à parler de lui au passé. Souvent je dis : Pierre adore ceci, ou Pierre dit souvent cela…
Nous nous sommes rencontrés en 1981, « découverts » en 1982 et épousés en 1984, après deux ans de vie commune. Pour moi, Pierre cela a été un coup de foudre, un vrai comme dans les romans. A l’instant où je l’ai vu, j’ai su que c’était lui et personne d’autre. Pour lui, il a fallu plus de temps, d’autant plus qu’il était encore marié et qu’il s’en voulait de son ménage qui battait de l’aile. Pierre, c’est un homme rare, d’une honnêteté exceptionnelle, généreux, travailleur, artiste (peintre), … une belle âme dans un beau corps et une belle tête.
Oui, je sais, je suis amoureuse !
Nous avons 11 ans de différence mais cela ne se voit pas. Notre couple est équilibré, pas de dominant, pas de décideur. Nous choisissons ensemble et chaque fois, nous savons tenir compte des goûts de l’autre. Ce ne sont pas des efforts, c’est de l’Amour. L’autre passe avant soi. En réalité, ce n’est pas difficile, c’est même un vrai grand bonheur de rendre celui (celle) que l’on aime heureux. En plus, nous avons majoritairement les mêmes goûts.
Nous l’avons été heureux, pleinement malgré un méchant caprice de la nature qui nous a privé d’enfant. Une épreuve difficile avec échec sur échec malgré beaucoup de bonne volonté du corps médical. Nous avons aussi partagé cela, même si j’en ai plus souffert que lui, car j’avais l’impression de le priver de cette joie puisque la responsabilité m’incombait.
C’est comme cela. Nous étions si heureux que l’on ne pouvait pas exiger de bonus. Nous avons construit notre vie sans enfants… Notamment en gâtant nos parents respectifs. Et nos nièces, et nos filleuls…
Pierre est né avec une maladie, une polykystose rénale, maladie génétique : des kystes qui envahissent lentement les reins et cela abouti à une insuffisance rénale, dialyse et greffe. L’évolution est très lente mais la surveillance doit être régulière. Pas de négligence, nous avons soigneusement fait le nécessaire chaque année. Evolution lente, mon beau-père, atteint de la même maladie a commencé les dialyses à 85 ans, nous avions la vie devant nous !
Mais en octobre 2009, de violentes douleurs l’ont amené à consulter.
Et nous voilà entrés dans le cycle infernal des examens médicaux, en tous genres, attentes interminables dans des salles d’attente plus hostiles les unes que les autres, nouveaux médecins, compte-rendu d’examens scellé sous enveloppe – à ne lire que pas des initiés !- attentes des résultats, inquiétudes, soulagements, coup de massue… La polykystose a masqué un cancer du rein qui a eu le temps de se développer, caché par les kystes.
C’est à cette époque que Bernard Giraudeau parlait de son cancer du rein et de sa rémission incroyable, 10 ans. Nous avons décidé de garder espoir. Nous parlions déjà de la greffe, je voulais faire les analyses nécessaires pour lui donner un de mes reins, et n'avons pas compris que les médecins ne nous suivent pas sur ce chemin de l'espoir.
Une maladie grave certes, mais Pierre est en bonne santé, pas ou peu d’alcool, pas de tabac, un corps sain, et une volonté de s’en sortir inébranlable. Je veux y croire aussi, bien que plusieurs médecins amis m’encouragent "à m’organiser", au cas où. Les salauds, je leur en ai voulu longtemps de détruire ma volonté de gagner et de m’obliger à mentir à Pierre. Mais ils avaient raison, finalement.
Ablation du rein droit le 22 décembre 2009. Noël en réanimation. Première dialyse le 31 décembre 2009, et ensuite 3 fois par semaine.
Les jours passent, Pierre se retape de cette opération, puis peu à peu s’épuise avec les dialyses. Lui, si costaud, si fort, perd l’appétit, devient gris de peau. La cancérologue prescrit de la radiothérapie. Angoisse. Nous la surmonterons ensemble, car je ne le quitterais pas un instant, car il a besoin de moi et me le dit souvent. Je suis partout avec lui, et je me moque bien de harceler les gens pour savoir comment, pourquoi et quand… Je retransmets à Pierre en édulcorant un peu pour adoucir le programme. Les médicaments sont méchants, il ne garde pas longtemps le peu qu’il peut avaler. Il a des angoisses la nuit, le cœur qui s’emballe, des crampes…
Il est maintenant si anémié que l’ablation de second rein programmé en presque urgence ne peut se faire qu’après de longues transfusions sanguines. Il se traine alors du lit au fauteuil et le 30 juin 2010, j’appelle le cardiologue car son cœur est en arythmie et il est très angoissé. Emmené le cette après midi, je l’hospitalise pour un bilan complet. Je l’entends encore, mon Pierre, me dire : Encore l’hôpital, Mimi, on sait quand on y entre, on ne sait pas quand on en sort.
Il m’a quitté le 22 juillet 2010.
Oui, j'ai bien cru qu'il reviendrait à la maison, enfin, je me suis aveuglée, les résultats étaient mauvais, les infirmières trop gentilles avec nous, les médecins fuyants, sauf un qui m'a parlé franchement le 12 juillet : Plus rien à faire et espérer que "cela" va arriver vite, pour lui comme pour vous. "Cela", c'est la mort de mon mari! Un cataclysme. Ce n'est pas possible. C'est une erreur, pas tout de suite, pas si tôt, pas maintenant. Pourquoi? Mais pourquoi?
J'ai passé ces derniers jours et ces dernières nuits auprès de lui. Je lui ai menti, faisant semblant de le trouver mieux que la veille, lui apportant des petits plaisirs de bouche, attentive à son confort, juste là quand il avait besoin de quelque chose. J'allais respirer en dehors de l'hôpital, il faisait très chaud, même la nuit. Cet hôpital, vide et sombre la nuit, quelques malades ou accompagnants comme moi qui trainaient dehors, pour reprendre leur souffle. Tous les détails sont là, dans ma tête. Pendant ces journées là, je ne pensais à rien d'autre qu'à Pierre, là, et à ce que je pouvais faire pour lui. Je ne ressentais ni fatigue, ni peur, il fallait qu'il soit bien, à n'importe quel prix et que je profite de lui quoiqu'il en coûte.
Je ne saurais jamais s'il a compris qu'il était au bout. Je crois que non. Il n'a voulu voir personne pendant ces 3 semaines d'hôpital, personne sauf moi. Il a dit : Je verrais tout le monde à la maison, à mon retour. Il voulait prendre tous ses médicaments même ceux qui le rendaient encore plus malade : il faut que je sois en forme pour la greffe. Il ne comprenait pas pourquoi on avait arrêté la radiothérapie, puis les dialyses. J'ai encore menti : les résultats sont bons, ils veulent que vous vous reposiez un peu - (oui, nous nous sommes toujours dit vous avec mon mari, un jeu au départ, et après, impossible de s'en défaire!)-.
Et puis, le semi coma, celui où on manipule le corps qui ne réagit presque plus, celui où l'on parle sans savoir s'il nous entend, enfin, si, moi, il m'entendait car il ouvrait les yeux, un regard déjà passé dans un autre espace, quand je lui parlais. Moi seule lui faisait ouvrir les yeux. Un cadeau, son dernier, le plus beau pour moi.
Et puis le coma complet. Coma hépatique, empoisonnement total du sang. Coma très agité, très pénible, pour lui je ne sais pas, pour moi, épouvantable. Il s'est battu toute la nuit du 21 au 22 juillet en criant : non, non, pas maintenant, pas maintenant. Trop de lumière.
A minuit j'ai supplié l'infirmière de garde de lui faire une injection calmante, même si c'était celle de trop. Il semblait si mal. Elle m'a rassurée sur son ressenti, lui a injecté un peu de morphine et m'a entrainé vers la chambre voisine, vide, pour que je dorme un peu. Epuisée je cherchais à fuir ses cris et tendais quand même l'oreille pour l'entendre s'apaiser.
Il s'est calmé vers 6:00. Je me suis endormie lourdement.
Et il est parti seul, sans moi, à 6:50.
Je vais m’arrêter là.
Cela m’a fait mal et aussi beaucoup de bien de raconter un bout de notre histoire.
Cela peut vous paraître très impudique, je le regrette alors.
Je sais que je reprendrais quand même mon récit, plus tard.
A vous lire, mes amis.
Marina