La Bouille un soir d’été 2010: Je me retrouve près de toi ma puce. Il fait tellement bon ce soir. Tu te souviens l’année dernière, quand nous étions toi et moi dans le hamac, à attendre la sortie des chauves-souris. Nous guettions leur venue dans le jardin au moment de la journée où se mélange autant de jour que de nuit. On appelle ça entre chien et loup. Et dans ce nid improvisé de Marsupilami, on se racontait des histoires absurdes. Des inventions de notre imagination, des choses qui ne voulaient rien dire du tout, mais qui prenaient un sens pour toi et moi. La voiture qui tombe dans la poubelle, ou, le chien qui veut attraper des escargots en sautant dans la Seine... Entre chien et loup ça ne veut pas en dire plus, tu sais ma chérie. ça n’a pas plus de sens que nos inepties. C’est comme les chauves-souris qui ne sont rien d’autres que des souris-oiseaux. C’est bizarre ça, des souris volantes nocturnes qui virevoltent au-dessus de nos têtes, comme si elles ne savaient pas où aller. Nous faisions la paire toi et moi dans ce surenchérissement de sottises. Et puis, ça a du bon de se laisser aller, selon notre fantaisie. Mine de rien, ça structure l’esprit, ça apprend aussi à se construire. L’ordre est le plaisir de la raison; le désordre est le délice de l’imagination. Je ne sais plus de qui est ce proverbe, mais il est gravé en lettres d’or en haut du palais du Trocadéro. Tu sais c’est à Paris. On y est allé à la fin de l’hiver, quand on a fait du bateau près de la Tour Eiffel et qu’on s’est promené devant sur une grande esplanade avec des jets d’eau. Tu as vu comme le ciel est étoilé ce soir. Tu le vois bien aussi, vu d’ici. Quand l’heure des chauves-souris était passé nous contemplions le ciel avec toutes ces étoiles qui brillaient. Tu te demandais bien qui pouvait nous offrir un tel spectacle. Des petits points scintillants dans un immense plafond infini qu’on appelle la voûte céleste. Tu sais que tu aurais pu t’appeler Céleste. C’est d’ailleurs ton quatrième prénom. Moi je l’aimais bien. Mais ta maman ne voulait pas parce qu’elle avait peur qu’on se moque de toi, à cause que c’est comme ça que se prénomme la femme de Babar. Je sais que de toutes façons, tu préfères Rose. Et je suis d’accord, ce prénom te va à ravir. On ne change rien. Tu as d’abord été ce petit bouton de rose auquel j’ai pris tant de soins pour l’amener vers cette belle éclosion. Dans notre couchette suspendue, on s’éternisait comme ça blottis l’un et l’autre. Tu t’en souviens ? On aurait bien dormi ainsi et être restés jusqu’au matin, tant nous étions bien toi et moi. Et puis parfois, la lune apparaissait entre la maison et le grand arbre de chez le voisin. La lune que tu m’as un jour demandé de te décrocher. Tu étais toute petite et tu la voyais pour la première fois, du moins tu prenais conscience de son existence. Tu m’avais dis en la saisissant dans l’espace : Je la veux. J’ai fais tout ma puce pendant ces cinq années pour te décrocher la lune. Tout ce qu’un papa aurait pu faire pour son enfant. Finalement si tu te rappelles, ce sont les vers luisants qui poussait notre curiosité à descendre de notre perchoir. On aurait cru cette fois qu’il y avait des étoiles dans la pelouse. Tu te demandais bien comment des petites bêtes comme celles-là pouvaient produire de la lumière. Je me le demande encore aujourd’hui. Même si je suis grand, si je suis un adulte, il y a beaucoup de choses que je ne sais pas encore. Et beaucoup que je ne saurais jamais. Jamais quoique... je pense que le jour où j’irais rejoindre Dieu, j’aurais toute cette connaissance universelle. Je pourrais m’investir complètement dans un brin d’herbe ou embraser tout le cosmos d’un seul tenant. Pour le moment, c’est toi ma chérie qui peut faire tout ça pour ton papa. Maintenant que de Céleste tu as rejoins les cieux, que tu peux décrocher la lune toute seule comme une grande, que tu as la liberté de jouer avec les étoiles et tu es devenue toi-même lumière, je me sens bien impuissant devant de telles divinités, et dans la réalité d’être devant ta tombe à plus de onze heures du soir. Qu’est-ce que j’ai de mieux à foutre que d’être là comme un con, en pleine nuit dans un cimetière ! Désolé, pardonne moi j’ai dis des gros mots. Et tu sais que c’est pas bien. Mais franchement qu’est-ce qu’on fait toi et moi, en ce moment ci, alors qu’on devrait être dans le parc de jeux en plein après-midi... Maman a fait la plus grosse bêtise au monde, tu le sais. Et tu lui as déjà pardonné, car tu l’aimes ta maman. Mais ce qu’elle a fait sur toi est abominable et ne peut être pardonné chez les vivants.Tu sais moi aussi je l’ai beaucoup aimé ta maman. Je sais qu’à la fin ce n’était plus vraiment ça, à cause de son désespoir et de sa peur de mourir. Je souffrais ma puce de la voir comme ça. Et pourtant quelques heures seulement avant qu’elle ait décidé de t’envoyer vers Dieu, j’ai sincèrement pensé que j’avais bien fait d’être patient car je voyais sur elle les signes d’une renaissance. Elle portait sur son visage l’instant des premiers jours, le même que quand je l’ai connu. Je n’ai même pas eu le temps, ma chérie, de te relater de ton vivant, l’histoire de ton papa et de ta maman.