Bonjour Nathalie,
Merci de répondre, ce qui m'ouvre une fenêtre de dialogue et me permets de m'interroger et réfléchir.
Pour la spiritualité, je suis bien d'accord avec toi, et actuellement, je pioche un peu de tous les côté. La sacralité des catholiques, la simplicité du protestantisme, l'apaisement et la lumière du bouddhisme, mais aussi l'hindouisme etc etc...
J'ai en même temps, le sentiment que le néant est tout aussi possible. Et pourquoi pas souhaitable ? Après tout, et au moins, il n'y aurait aucune crainte à avoir. Tout comme notre naissance vient du néant, on y retournerait donc, sans vraiment de dommages, si ce n'est le gâchis que tu évoques !
J'ai passé un week-end glacial. Et j'ai été très mal en voyant émerger une photo en faisant une recherche dans mes photo. Une photo de Maman, il y a 3 ans. Son regard, notre infinie complicité m'a manqué tout d'un coup et je me suis effondré en sanglots.
Un week-end glacial et vide. Je me rends compte qu'a part le culte du dimanche matin, et la boulangerie, je peux rester sans parler à personne, hormis mon chien, 2 ou 3 jours d'affilés. C'est affolant. Alors oui j'avais bien conscience d'être devenu un vieux garçon, et c'est la conséquence assez classique d'un amour fusionnel avec ma mère. Mais être aussi esseulé, sans réussir à avoir aucune adhésion d'aucune sorte avec personne qui s'intéresse à mon sort, je trouve ça effrayant. Je suis sans doute responsable en partie. Evidemment je suis passé à côté de la construction d'une famille, projet qui engouffre toute l'attention des gens de mon âge. Je n'ai pas non plus investi ma vie professionnelle, pas envie de travailler pour un intérêt collectif qui n'a plus de sens pour personne. je me suis construit une sécurité qui me suffisait.
Et tout mon temps était dévolu à construire une bulle autour de Maman, et c'est à travers ce rôle que je m'était construit une petite communauté qui m'était chère, dans un village où je connaissais les professionnels de soins, les commerçants, les voisins... On y était bien et on était jamais seuls, avec Maman.
Mais désormais, de retour à Paris, sans attache, sans habitudes, et malgré mes efforts pour être avenants et m'intéresser aux autres, personne ne m'appelle, personne ne m'invite ou rarement, et mes sorties sont sans intérêt et d'une tristesse infinie.
Alors, comme toi, je me fixe des défis sportifs. J'ai fait une courses en équipe avec des collègues, je fais un 10 km prochainement, et peut-être que je viserai un semi. Je suis sur instragram une jeune fille dont l'objectif est de devenir marathonienne suite au décès de son père. Elle avale les km pour dissoudre son chagrin.
Mais ça ne dure pas. Et la solitude revient vite, comme quand tu rentres après ta séance d'équitation. Evidemment, on s'y fait. Ca m'a rassuré de lire que certain.e, passe le réveillon de Noël seul, et s'y sont fait. Une vie seule est possible. mais quelle douleur de l'accepter.
Je crois que je ne retrouverai jamais une telle complicité et c'est ce qui me fait peur aujourd'hui.
Quand Maman était là, et les longues nuits de froid au ciel clair, comme en ce moment, je me rappelle que je fixais la lune, avec ce doux sentiment de sécurité, de chaleur, d'un foyer, exactement comme quand écoute la pluie ou qu'on voit la neige depuis un lit douillet. Et alors je pensais à Neil Armstrong, en me demandant, comment peut-on, en tant qu'humain, accepter de partir à 400 000 km de la Terre, risquer sa vie, partir dans l'univers et la solitude la plus absolue ? Je ne comprenais pas sauf que je me demandais si ce n'est finalement pas la mort de sa petite fille de 2 ans, Karen, qui l'a détaché de la terre, de son foyer, de la vie.
Et ce week-end, je regardais la lune, et ce sentiment de sécurité, de chaleur du foyer n'était plus là. Et j'ai alors pu confirmer que c'est certainement ce sentiment de manque, de perte, de vide, qui avait ouvert à Neil Armstrong la possibilité de partir, sans se retourner, au risque de sa vie pour explorer la lune.
La petite histoire raconte que sur l'une des vidéo où on le voit s'éloigner de la caméra, de dos, sans savoir ce qu'il fait et où il va, il est en fait en train de déposer le bracelet de sa fille dans un cratère. Le film "the first man" avec Ryan Gossling le montre et je trouve ça très émouvant.
Bon après les deux autres astronautes, partis avec lui, avaient sûrement d'autres raisons et motivations de partir, mais c'est ce que m'inspire cette conquête de la lune, et le froid que je ressens quand je la regarde. Et désormais, ce sentiment de ne plus tout à fait appartenir uniquement à cette terre, mais de devoir m'en détacher pour retrouver un foyer plus essentiel. Et pour ça, j'ai théoriquement de longues années à attendre.
J'ai été long à écrire, mais je crois que ça m'a fait du bien car depuis ce matin, je ressasse ce week-end avec la crainte du prochain. Heureusement, vendredi soir je suis invité et j'essayerai de faire bonne figure.
D'ailleurs, je me demande bien pourquoi il n'existe pas d'association d'"être ensemble" qui permettrait juste de trouver un lieu ou une activité à partager avec des gens dans le même mood que soit, c'est à dire, endeuillés. Sans forcément devoir en parler mais avec la liberté de ne pas avoir à sourire, et savoir que son voisin comprends les sentiments qui nous traverse. Ce pourrait être un espace du samedi avec simplement une présence. Je vais y réfléchir, mais à part une paroisse pour organiser cela, je ne vois pas trop quelle structure pourrait s'intéresser à un tel projet.
Tu vois Nathalie, tu m'as permis de m'ouvrir et d'écrire, et je t'en remercie. Parfois un simple renvoi de balle, un petit ping pong de paroles peut soulager et c'est ce qui manque sur la partie "perte d'un parent". Ce qui isole encore plus ceux qui témoignent et les font passer pour des "hypersensibles" ou des gens mal dans leur peau (ce qui n'est pas impossible en effet). Le forum "perte d'un conjoint" est plus animé et plus solidaire, alors ça rejoint notre échange sur la hiérarchie des deuils, mais heureusement, tu ne partages pas cette vision.
Je suis au travail, mais j'ai très envie de rentrer chez moi, et ne plus ressortir, je ne me sens pas la force d'être agréable ou l'énergie de faire quoique ce soit. C'est l'ennui qui me remplit actuellement, malgré tous mes efforts pour m'intéresser à bien des choses. C'est peut-être mon tempérament...
Ca me fait d'ailleurs penser à une de tes remarques : honorer les disparus en réalisant leurs envies, leurs projets. Le sujet avec Maman est difficile, car comme une ascète, elle n'avait jamais envie de rien, ni de personne, et je crois avoir hérité de cette sobriété. Maman était fatiguée de vivre, et surtout impatiente de tourner la page. Je crois que ce doit être une vraie douleur pour beaucoup de personnes qui perdent leur autonomie, leur capacité à faire ce dont ils ont envie en toute autonomie. Alors la vie se résume à une répétition de journées sans but, à attendre, à attendre, à attendre : les auxiliaire pour le levée, l'infirmière pour la toilette, l'auxiliaire pour le repas, les infos, la télé, la sieste etc...
Cet aspect là m'aidait à un moment donné, en me disant que partir était le souhait de Maman, fatiguée et las d'une vie accomplie et sans but. Et c'est la différence avec d'autres morts, qui intervient en pleine force de l'âge et bien happer des projets en cours ou à venir. Mais cette résolution ne fonctionne pas en ce moment, sûrement parce que je pense à moi, à ma solitude et à mon envie qu'elle soit là, à l'insu de son plein gré peut-être.
Je me sens un peu délesté alors je quitte mon fil en espérant avoir un peu de regain d'énergie pour faire quelque chose d'utile de ma journée.
A bientôt Nathalie,
Amicalement,
Pat