Auteur Sujet: Témoignage  (Lu 9079 fois)

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acheron

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Témoignage
« le: 01 juillet 2012 à 13:14:32 »
Comme toutes les personnes qui s’expriment sur ce blog, j’ai moi aussi vécu douloureusement la mort de très proches que j’aimais, et mon âge de quasi 60 ans fait que j’aurai connu à la fois le décès d’un père, d’un frère et d’une sœur, et d’un fils encore.
Au fil du temps qui passe et de l’âge qui avance, des places respectives des uns par rapport aux autres à l’intérieur d’une famille ou d’un groupe, de l’aura dégagée, des circonstances de la mort, de la capacité de résilience de chacun, de l’état des relations sociales et familiales au moment et pendant la période de deuil, la confrontation à une telle épreuve ne produit pas les mêmes dégâts.
Jusqu’à très récemment j’étais incapable de donner une définition à l’amour, de savoir si cet amour que je portais aux miens en était véritablement un, ou simplement un de ces mimétismes stéréotypés qui régissent souvent et inconsciemment les rapports entre individus.
Aujourd’hui cette question n’a plus de sens pour moi. Je sais que je les ai aimés, puisque j’ai eu peur de les perdre, que j’ai eu mal, et qu’ils me manquent.
En fonction de ce que j’ai dit plus haut, je pense qu’il y a une hiérarchie dans les deuils, une gradation dans les douleurs. Entre la mort par cancer d’un père à 72 ans quand j’en avais alors 39, d’un frère aîné par suicide à moto quand j’en avais 41, d’une sœur aînée par cancer des os quand j’en avais 43, puis d’un fils de 17 ans après 8 mois d’hôpital, double greffe de moelle et infections nosocomiales multiples, alors que j’en avais 54, les séquelles ont été progressivement ravageuses et la mort de mes proches a fini par devenir une partie de la mienne.
Ainsi, Il y a de nombreuses années déjà mais dans un autre contexte, j’avais écrit un petit poème dont une strophe disait :
« À travers toi bien sûr c’est un peu moi qui meurt,
Chaque disparition m’éloignant de ce monde
Avec tous ceux que j’aime je descends dans la tombe
Plus profond chaque fois en attendant mon heure. »
Pour ce qui est de la mort de mon fils « vécue » jour après jour avec son cortège d’espoirs et de grandes souffrances, j’ai éprouvé la nécessité d’écrire pour apaiser mes douleurs, mes emportements, pour exorciser mes craintes, mes angoisses, pour dire simplement mon humanité.
Je l’ai fait, entre autres, au travers de poèmes lourds et sombres à différents moments de son calvaire, et après, cette forme d’écriture m’apparaissant comme la traduction exacte de ce que je ressentais alors, et aussi comme l’expression la plus douce de la violence.
Ainsi pendant son hospitalisation :


ORPHEE

On a joué l'horloge,
Laissé du temps au temps,
L'horloge s'en est lassée,
Le temps s'est arrêté;
S'est arrêté pour nous,
S'est arrêté pour lui,
Sans espoir de retour
Pour cet oiseau qui fuit
La mort qui se profile,
Qui cherche à le ravir...
C'est de çà qu'il s'agit,
Il s'agit de mourir.

Il était notre fils
Et il était leur frère,
Pur comme les lys,
Issu de notre chair;
Il était notre sang
Et n'était qu'un enfant,
Mais valait plus que Dieu
Car il était présent,
Et vivant, et heureux.

Mais j'en parle au passé
Et ce temps est coupable
Qui affirme une idée
En chose inévitable;
Il est pour la raison,
Le temps de l'abandon
Des doutes et des craintes
Et des larmes non feintes;
Il signe nos faiblesses
Et son carcan nous blesse.

Mais la vie est tenace
Et quand bien même elle passe,
Il faut y croire pourtant,
Et sans cesse, et toujours;
On lui doit simplement,
On lui doit par amour;

Et si demain, plus tard,
Il s'extrait de la boue
D'un enfer avatar
Et qu'il se tient debout,
De sa vie une fée
L'en sortira Orphée.

Ou encore :

Le SABLIER

Une houle envahit
Son corps usé, meurtri,
Son ventre, sa poitrine
Ondulent sous l'effort;
Respiration scandée,
Rythme d'une machine
Qui insuffle la vie
Quand celle-ci l'abandonne.
Ses grands yeux interrogent
Depuis son désespoir
Et nous restons sans voix
Dans sa chambre en mouroir.
L'angoisse qui le dirige
Le plonge dans un vertige;
Il voudrait nous parler
Mais ses mots sont muets;

Toutes ces heures qu'on égraine
Comme les pois d'un chapelet,
Chapelet lourd comme une chaîne
Dont le poids nous fait vaciller.

Une onde de douleur
Insupportable à voir
Nous arrache le cœur
En tuant tout espoir.
Sa peau un peu cuivrée
Tout le temps qu'il respire
A pris avec la mort
Une teinte de cire;
Sa vie entière a fini par passer
Là, tout au fond du sablier;
S'ouvre à lui sous un ciel étoilé
l'éternité
D'une infinie obscurité.

Durant des mois, en vain,
Nous lui avons tenu la main;
Mais sa main a glissé
Et nous l'avons lâchée.

Joyau abandonné
D'une vaine prière
Une larme de sang,
Qui perle à sa paupière.


 Et plus tard :

A FRANCOIS

Avec toi que j'aimais,
Un peu sans le savoir,
Nous vivions les sommets
D'une éphémère gloire;
Aujourd'hui, désormais,
Je descends les degrés,
Restanque après restanque,
- Autant que tu me manques -,
De ce flanc escarpé
Vers la sombre vallée
Que rejoignent mes larmes
Et plonge dans leur fleuve,
Celui de tous mes drames
Qui en sont une preuve,
Pour aller m'y noyer.

Dix-sept ans de bonheurs
Tu nous as prodigués
Laissant toujours ton cœur
Si plein d'humanité,
De douceur bienveillante
Sans cesse disponible,
Que ta mort est terrible
Telle une plaie béante.
Pour qui, pour quoi, pourquoi
Devoir encore lutter
Pour nos vies amputées
Du plus beau, du meilleur,
Ne laissant d'autre choix,
Comme on fauche une fleur,
Qu'infini désarroi
Sinon fin souhaitée.

En ces moments cruels
Survivre est une injure,
Et si ton nom est miel,
Rien que de l'évoquer
Nous arrache des larmes
Comme autant de blessures
Que nous feraient des armes
Tranchantes comme épées.
Demain, plus tard sans doute,
Par les chagrins taris,
Nous reprendrons la route
De notre fin de vie;
Et à l'instant de mort,
De vieillesse accablés,
Nous te dirons encore:
Tu nous as tant manqué.

Ou bien :

GOLGOTHA

Tu es là et tu gis...
Depuis près de huit mois
Tu n'as revu ton lit,
Accueillant lit de soie
Blotti en une alcôve
Qui ne connu jamais
Qu'un amour qui s'y love.

Et tu es là, transi,
Dans une caisse en bois
Où nous n'arrivons pas,
Malgré tant de caresses
De douceur insatiable
À réchauffer ton corps,
Comme le fera la flamme
- Destin impitoyable -
Qui tresse nos détresses
Par chaque vie en mort.

S'abritant des regards
Comme le feraient des fauves,
Derrière les paravents,
Lourds, de tentures mauves,
Nous rajoutons au fard
Sur ton visage d'enfant
Nos larmes indicibles
 Mêlées à nos baisers,
Mais tu restes impassible
Dans ton éternité.

Nous souffrons de savoir
Ce que tu as souffert,
Ces vains moments d'espoirs
Avalés par l'enfer.
Nous souffrons de ne plus
Tressaillir à ta voix
Et à jamais perdu
Tous tes élans de joie;
Nous souffrons simplement
Parce que tu n'es plus là.

Ta mort scelle la nôtre
En un banal destin
Si modeste, si humain
Sur un chemin de croix
Qui lui, nous appartient,
A l'image d'un autre,
D'un autre Golgotha.

Ou encore :

Le LEVIATHAN

S'il suffisait de croire, de vouloir ou d'aimer,
S'il suffisait de pleurs, de souffrances, de regrets,
Pour infléchir la vie, forcer la destinée,
Combien de joies à vivre et d'amour à donner,
De raisons d'espérer en toute humanité,
Combien d'enfants heureux aux parents retrouvés,
De souffrances enfouies, de plaies cicatrisées;
Mais il œuvre en secret le Léviathan sauvage
Ce monstre au sang de glace, à l'appétit de feu,
Ce dévoreur de vies, des plus folles aux plus sages
Pour qui iniquité et tourment sont un jeu;
Où peut-on le trouver, l'ultime anthropophage
Pour pouvoir par défiance lui cracher au visage.
Où donc est-il aussi ce sommet des bontés
Ce redresseur de torts, puits sans fond des bonheurs
Qui veille sur nos âmes et préserve nos cœurs;
Celui qui peut toujours par son ubiquité...
Las, pauvres enfants, de ces deux personnages
Nous sommes les jouets tout au long de nos âges.
Ils sont fruits de nos craintes, d'un vertige affolé
Devant un univers insondable et profond
Qui jamais ne répond à nos vaines questions
Du pourquoi, du comment, de notre unicité.
Ils sont aussi une arme des puissants qui nous tancent
Pour nous faire patienter pendant qu'ils nous écorchent
Nous offrant un salut pour prix de nos silences
Ou un enfer terrestre sous le feu de leurs torches.
Osez ouvrir les yeux, révoltez-vous enfin
Abandonnez vos peurs, trouvez la liberté
En chassant de vos cœurs, de vos esprits murés
Ces personnages odieux qui en fait ne sont qu'un.
Ils ont besoin de vous, de vos doutes pour survivre ;
Vous les croyez vos maîtres, ne sont que serviteurs ;
Sont mortels comme vous, vivants que dans les livres;
Vous en prenez conscience et tout à coup ils meurent.
Et je me dis souvent jusqu'à m'en imprégner
A quoi sert un pouvoir qui ne peut s'exercer,
A quoi bon être fort sans faible à protéger,
Que deviendrait l'amour sans personne à aimer.
Votre Dieu est un monstre que comme tel je déteste
Et lui n'a bien sûr cure de mes dires, de mes gestes ;
Il me pardonne pourtant, m'accorde sa pitié
Car si je le déteste, c'est en sincérité.

mamita

  • Invité
Re : Témoignage
« Réponse #1 le: 01 juillet 2012 à 15:13:21 »
Bonjour,

Tes mots résonnent en moi qui ait vécu la douleur de mon fils, Antoine, pendant sa maladie, 3 ans de dégringolade pour arriver à une totale dépendance en gardant une lucidité incroyable et une grandeur d'âme étonnante, sans ne plus pouvoir parler ! Une saloperie de maladie neurologique qui l'a foudroyé en plein vol, sans prévenir ... pourquoi ?

Il avait 37 ans ... oui sa vie a été plus longue que pour ton François, puisqu'il a eu le temps de fonder une famille ...

Ton périple ressemble beaucoup au mien, (j'ai 63 ans) une vie toujours accompagnée par la mort d'êtres proches, j'aimerais que la mort passe son chemin et ne s'arrête plus chez nous !

Oui une partie de moi est morte avec mon fils, car, comme tu l'exprimes si bien, il y a bien une hiérarchie dans la douleur. Perdre un enfant, j'en avais très peur et me demandait toujours comment ces mères "désenfantées" continuaient à vivre ...

Continuer à vivre, avancer en regardant le MEILLEUR ...

Merci pour tes poèmes, j'ai goûté tous tes mots ...

Marithé

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Re : Témoignage
« Réponse #2 le: 01 juillet 2012 à 22:22:58 »
De magnifiques poémes qui traversent le coeur. J'ai perdu ma fille, elle avait 30 ans, comme cela, d'un seul coup, pas le temps de comprendre ce qui se passe, intoxication à un banal sirop antitussif. En 1 année j'ai perdu un ami magnifique, mon beau père, mon père mais rien de comparable avec la perte de ma fille, je les ai tous aimés, de façons diffèrentes certe, mais tous aimés seulement rien de comparable avec ma chair, mon sang, ma vie, mon enfant, ma fille.
Merci de nous avoir offert l'intensité de tes émotions à travers ces poémes, émotions qui sont les notres aussi mais que souvent nous avons du mal à exprimer.
Martine, maman de Madeleine
Ce n’est pas parce que vous ne voyez pas de larmes que je ne pleure pas.
 Ce n’est pas parce qu’à nouveau je souris que j’oublie.
 Ce n’est pas parce que j’ai l’air heureuse que je vais mieux.
 Je peux vous offrir le visage qui vous fait plaisir,
 Mais il n’empêche qu’à l’intérieur, je meurs.

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Re : Témoignage
« Réponse #3 le: 29 mars 2020 à 17:38:27 »
Bonjour comme dit Patrick Chesnais qui a perdu son fils comme moi j' ai perdu mon fils a Noël 2019 il avait 24ans on est une communauté pour se soutenir dans la foi mais combien de temps je vais tenir ..j ai un doute.la souffrance est intolérable quand vous êtes  extrêmement seule dans votre vie quelque part on est vraiment seule pour surmonter ce drame....je lis vos messages qui m aident un peu..