Le figaro
- Une start-up sud coréenne, primée au CES de Las Vegas, crée des doubles virtuels de personnes disparues, promettant un deuil sans fin. L'intelligence artificielle n'a pas fini de nous ébranler, pour le meilleur et pour le pire. Une start-up sud-coréenne nous annonce la résurrection des morts !
En créant un jumeau numérique. Il s'agit «d'un service qui permet à la famille endeuillée de rencontrer et de parler avec son parent décédé», affirment les concepteurs. «Nous vous aidons à réaliser votre souhait de retrouver le membre de votre famille qui vous manque, mais qui n'est plus de ce monde».
Traduire des textes, écrire des romans, composer des morceaux de musique ou produire des images, conduire des voitures, piloter des drones…
Les techniques d'apprentissage profond débarquent dans notre vie de tous les jours. Implacablement, elles tracent leur voie et nous surprennent à chaque saut qualitatif. Les générateurs d'images derniers nés, comme Dall-e et MidJourney sont capables de produire des tableaux à la façon de Van Gogh. ChatGPT, le robot conversationnel qui a suscité l'engouement des internautes du monde entier dès sa mise en ligne, interrogé sur n'importe quel sujet, rend sa dissertation en quelques secondes.
Ces algorithmes peuvent aussi proposer un slogan, créer un logo, écrire une fable de La Fontaine... Accompagnée de son lot de polémiques et suscitant enthousiasme ou inquiétudes, admiration ou dédain… l'IA est en train de devenir une bonne à tout faire. Jusqu'au ?
Converser avec son jumeau numérique S'il n'y a qu'à demander… Allons-y franchement : la start-up sud-coréenne, DeepBrain AI, l'a entraînée à ressusciter les morts… Le rêve du transhumanisme.
Ce n'est pas véritablement une première, plusieurs essais ont été réalisés depuis une dizaine d'années. Cela pourrait prêter à l'ironie, mais la société vient de recevoir un prix pour son produit.
Et pas des moindres, puisqu'il lui a été décerné au CES de Las Vegas, le salon le plus important consacré à l'innovation technologique en électronique grand public qui se tient tous les ans, début janvier, au Nevada, organisé par la Consumer Technology Association. Le jury formé d'un panel d'experts, représentant des médias, designers, ingénieurs... qui devaient se prononcer sur plus de deux mille candidatures lui a attribué le prix "Best of Innovation" dans la catégorie Réalité Virtuelle et Augmentée pour son produit «Rememory».
C'est la seconde fois en deux ans que DeepBrain AI est mis à l'honneur. En 2022 l'entreprise sud-coréenne s'était déjà fait remarquer en remportant un prix de l'innovation pour sa plateforme de synthèse texte vidéo AI Studios Saas dans la catégorie streaming. Alors «Rememory» de quoi s'agit-il ? D'un moyen de converser avec le jumeau numérique d'une personne décédée. Comment ça marche?
Le client, de son vivant, se rend chez DeepBrain AI pour se prêter à des entretiens de plusieurs heures où il raconte sa vie en détail, dévoilant les moments clés de son existence.
Puis, dans un studio vidéo, il participe à une session d'enregistrement d'une demi-journée pour collecter les données visuelles et vocales nécessaires au processus d'apprentissage du logiciel. Enfin, les ordinateurs en moulinant des millions d'informations vont créer un humain virtuel ressemblant en tout point à son modèle en termes d'apparence, d'expression faciale, de voix, d'intonation et d'habitudes.
À ce stade, le client - le service coûte entre 10 000 et 20 000 euros - peut contrôler la conformité de l'avatar obtenu.
Quatres thèmes de conversation Lorsqu'il sera décédé, sa famille pourra se rendre dans les locaux de la start-up. Confortablement installée dans un salon, elle se retrouvera face à l'image de son parent défunt.
Pendant une trentaine de minutes elle pourra converser, moyennant 1000 euros la séance, avec son jumeau numérique sur quatre thèmes : les retrouvailles, les souvenirs, la joie et la séparation.
Sur l'écran, il reprendra les intonations, les expressions de son modèle, en donnant les réponses spontanées dictées par l'intelligence artificielle.
Afin d'augmenter le réalisme et que « l'utilisateur puisse sentir sa présence » comme le suggère DeepBrain AI, l'image sera diffusée sur un grand écran de 400 pouces.
La start-up affirme que « les jumeaux numériques laissés par les défunts apaisent le cœur des personnes en deuil sous la forme d'un nouvel hommage.
Grâce à l'intelligence artificielle, les familles peuvent maintenir un lien avec leur défunt ». L'expérience répondra-t-elle à la promesse de leurs créateurs ?
Même parfaitement aboutie technologiquement, la conversation avec un défunt n'apaisera pas forcément les âmes. Au contraire... en s'enserrant dans le long processus du deuil, elle risque bien plus d'en perturber le déroulement.
Le mécanisme de deuil Il est généralement admis que le mécanisme du deuil se déroule en quatre étapes.
D'abord la phase de choc et de sidération, dans les premiers jours, avec la libération des émotions.
Puis la phase de recherche, qui peut durer plusieurs semaines ou plusieurs mois, avec le besoin de prolonger en soi la présence du défunt. On évoque alors ses souvenirs, on regarde ses photos, on touche ses objets ...
Cette période est très marquée par la remémoration.
La troisième étape est la plus douloureuse. Elle correspond à la phase de déstructuration, ou l'on prend conscience de la réalité de la perte, c'est la phase dépressive, on n'a plus goûts à rien, plus d'envies.
Enfin, la quatrième phase est heureusement celle de la sortie du tunnel, de la restructuration, qui s'accompagne de la volonté de revivre.
À ce stade la perte finit par être intégrée. «Toutes ces technologies numériques s'inscrivent dans la phase de recherche, dont tous les endeuillés ont besoin, explique le docteur Guy Cordier, pédopsychiatre, spécialiste du deuil chez l'enfant. Le danger, c'est qu'elles créent une dépendance, en conduisant les personnes qui ont perdu un proche à devenir prisonnières d'une réalité virtuelle qui les feront, petit à petit, sortir du monde réel et remettre à plus tard la phase douloureuse, mais indispensable de la dépression du deuil.
Cela ne fera que reculer le moment où l'endeuillé devra inévitablement se heurter à la réalité de la perte, phase essentielle du processus de deuil, avant qu'elle puisse se reconstruire».
Quant au futur défunt qui, pour quelques milliers de dollars, entreprend la démarche de s'offrir un double numérique, «peut-être y a-t-il en chacun de nous un besoin d'immortalité, de trouver le moyen d'échapper à la mort qui met en échec notre toute-puissance, en tentant de prolonger notre existence de façon virtuelle, poursuit Guy Cordier. «Ce n'est pas forcément faire un cadeau à un enfant.
Le cadeau qu'un mort peut faire à un proche, c'est de lui permettre de faire son chemin de deuil de la meilleure façon possible et sûrement de la façon la plus rapide possible.»