Auteur Sujet: Le grand verre de café avec quatre sucres de Papa  (Lu 4587 fois)

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Mithra

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Le grand verre de café avec quatre sucres de Papa
« le: 09 février 2012 à 13:00:55 »
Ça fait quatre ans maintenant.
Quatre ans que mon papa est décédé brutalement suite à une crise cardiaque.


     Aujourd'hui, j'ai dix-sept ans, et je suis en terminale. Cette année est la plus difficile pour moi depuis ce matin où j'ai appris sa mort. Ce matin là, c'était un jeudi, mon oncle chéri, Denis, était à la maison quand je me suis réveillée, avec sa copine Laurence. J'étais toute excitée, l'inhabituel me mettais en joie. Je me souviens du regard de Laurence qui m'avais dit alors que je souriais "Alice, c'est grave". Moi, j'imaginais un cambriolage ou un incendie dans leur appartement, ça ne me concernait pas directement, j'allais pouvoir aller au collège à neuf heures, et me décider à envoyer un petit mot à ce garçon qui me plaisait ! Pour moi, mon papa était, comme à son habitude, dans son lit, son grand verre de café avec quatre sucres à la main, celui qu'il devait toujours finir avant de pouvoir sortir de sa chambre de bonne humeur. Mais ça, j'ai su que ça n'arriverai plus jamais quand quelques minutes plus tard, je me suis retrouvée dans le salon, dans les bras de ma mère qui allait nous annoncer son décès, arrivé la veille au soir pendant son cours de judo -ceinture marron, il était fort mon papa-, alors que nous étions tous les trois avec mon frère et ma sœur en train de dormir tranquillement : "Les enfants, hier soir, au judo, il est arrivé quelque chose de très grave à papa". J'avais voulu me rassurer, éliminer la pire possibilité pour ne plus m'inquiéter, pouvoir souffler, c'est ce qui avait immédiatement fait dire d'une toute petite voix la gamine que j'étais : "Il est mort ?", et fait éclater en sanglots ma maman avec ces terribles mots "Oui, il est mort". Là, je me souviens avoir poussé un cri, et m'être mise à pleurer, blottie avec mes frère et sœur dans les bras de maman, très longtemps, pendant qu'elle nous répétait "On va y arriver, on va y arriver, on va y arriver".

    J'avais tenu à aller en cours ce jour là, physique chime et technologie le matin, autant dire que ça n'était pas mes matières préférées. Mais je devais m'enfuir de cette atmosphère pesante, de ma famille et des amis qui pleuraient partout à la maison, de cette photo de lui, de son verre de café vide trainant sur sa table de nuit, je devais m'enfuir de tout, je devais reprendre ma vie comme elle était, ça ne devait pas être autrement. Cette matinée est passé. Je me suis fait ramener à la maison aux alentours de midi par une copine de maman, après avoir craqué en cours de techno et avoir du avouer à mon prof que j'adorais ce qui s'était passé. Il m'a donné une figurine Schtroumpf qui trainait sur son bureau quelques jours après.

     Après ça ont suivi les "habituels" je suppose, d'un décès : Les allées et venues de ces stupides voisins qui nous avaient toujours détestés -nous étions trop bizarres pour eux très certainement- et qui gémissaient des condoléances hypocrites, la famille et les amis qui se succédaient, la sensation de vide et d'être hors du temps et de la réalité, l'obsession du ménage et du rangement qui nous habitait -l'appartement n'a jamais été aussi propre que les mois qui ont suivi sa mort-, les dizaines de texte de condoléances qui parfois nous faisaient éclater de rire par leur mièvrerie, leur dramatisme, les conseils appliqués pour reprendre une vie "normale" et même les propositions de réunions surnaturelle pour prendre contact avec les morts qu'elles contenaient...
 Puis sont arrivées les obsèques. Il y avait un monde fou devant ce grand bâtiment rosâtre orné de superbes statues d'angelots en faux marbre. Le jardin qui l'entourait était digne de celui de Versailles, avec des buissons taillées et de petits chemins de pierres blanches. Je ris encore du mauvais goût qui régnait en ce lieu... Ma cousine Laure était venue, et était restée avec moi durant toute cette après-midi. Assise à côté d'elle sur les bancs inconfortables de la salle en attendant la crémation, j'avais écouté les quelques phrases que maman avait réussi à prononcer, avais regardé tous ces gens que je ne connaissais pas toucher un à un le cercueil, et serré les dents en en voyant certains faire le signe de la croix au dessus, alors que papa était complètement athée, puis regardé sans verser une larme le cercueil qu'on emportait vers le four crématoire. La soirée qui avait suivi, chez Élisabeth, ma grand-mère, je l'avais passée avec Laure, mes deux autres cousins, et Java, mon gros chat tigré adorée. Arrivée à la maison, très tard, je m'étais endormie sans penser à rien.

     Nous avons dispersé ses cendres sur l'île de Porquerolles, après avoir marché une bonne heure le long des chemins de sable sous le soleil persistant, dans une baie nommé "La Gorge du Loup", où nous avions aperçu un énorme rocher, assez difficile d'accès au bord de l'eau turquoise. Maman avait dit "Regardez ce rocher au bord de l'eau, je sais que Fred se serait assis dessus pour regarder la mer", et nous nous étions décidés. J'étais d'abord restée en hauteur et avais regardé les volontaires descendre la pente abrupte. J'étais vide. En voyant la première poignée jetée, je m'étais brutalement rendue compte que c'était la dernière fois que je pourrais le "toucher", lui dire au revoir, et j'avais hurlé pour qu'on me laisse une poignée de cendres que je pourrai jeter moi même au dessus de l'eau. On m'avait donc aidée à descendre et j'avais pu confier la poudre argentée à la mer. Lentement, j'avais économisé, et longtemps observé les motifs dessinés à la surface.


Cet après-midi là, cela fait quatre ans aujourd'hui qu'il est passé, et je me souviens de tout.

    Même si ça n'est pas très bien écrit, même si il subsiste des fautes d'orthographe, même si je n'arrivais plus à me démêler avec les temps de conjugaison sur la fin, même si je n'ai pas pu tout raconter, c'est pour mon papa que j'ai écrit ce texte.



    Et je me souviens de ton odeur, de tes vêtements troués, de tes grandes mains, de tes caresses, te ton amour pour maman et pour nous, et je regrette que tu ne puisses pas m'aider en cette difficile année de terminale littéraire, je regrette de ne pas t'avoir mieux connu, je regrette de ne pas avoir pu discuter de musique avec toi, de Van Halen et AC/DC, de Bach et de Vivaldi, de Metallica et de Megadeth, de Gainsbourg et de Higelin, de Lisa Ekdahl et de Miles Davis, je regrette que tu ne sois pas là pour écouter mes morceaux de flûte et de guitare, je regrette que tu ne puisses pas me conseiller pour mon orientation, je regrette que tu ne me voies pas grandir, je regrette que tu ne sois pas là quand je passerai mon bac, et surtout je regrette de ne pas avoir pu te présenter mon amour, Nicolas, qui m'aide tous les jours et qui m'apporte tellement.
     Je t'aimerai toujours papa, je pense à toi dès que je le peux, et j'ai toujours cette photo très destroy de toi et maman avec la vieille CX toute pourrie.



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mamita

  • Invité
Re : Le grand verre de café avec quatre sucres de Papa
« Réponse #1 le: 14 février 2012 à 21:48:42 »
Bonsoir Mithra,
 
4 ans ... et ton papa te manque énormément dans tout ce que tu vis !

Je viens de coucher mes deux petits enfants,en vacances à la maison ( les petits de mon fils décédé à 37 ans, le 27 juillet 2011), mon petit-fils qui a 7 ans 1/2 m'a dit tout à l'heure :"c'est dur, tu sais mamie, papa nous manque beaucoup", sa petite soeur a 3 ans ... moins de souvenirs mais elle en parle beaucoup.

Ce petit garçon "adorait" son papa, ils étaient tellement complices .... alors oui sûrement que ce manque il l'éprouvera longtemps !

Mon fils aurait tellement aimé accompagné son fils dans le sport, l'encourager pour l'école ... faire des pitreries ensemble ... voir sa petite grandir .... eh bien non tout ça il en est privé à jamais et ses "petits" aussi ... un manque à jamais !

Alors oui j'ai dit à "mon petit" que son papa lui envoyait beaucoup d'amour, que toujours cet amour serait présent avec lui.
J'aimerais tellement me persuader qu'il les voit vivre, qu'il est heureux de les voir vivre ... lui qui avait si peur que ses petits ne se souviennent pas de lui quand il a senti qu'il ne s'en sortirait pas ... il leur a laissé une belle lettre que leur maman leur lira un peu plus tard.

Nous l'avions rassuré en lui disant que nous parlerions tellement de leur papa qu'il resterait présent dans leur vie, oui parlons de tous ceux qui nous ont quittés, c'est la seule manière de les faire VIVRE avec nous.

Ton papa t'accompagne Mithra ...

chaleureuses pensées

Mamita