Auteur Sujet: vivre le décallage du temps avec les autres  (Lu 7051 fois)

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Hors ligne marie7

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vivre le décallage du temps avec les autres
« le: 11 septembre 2011 à 21:56:46 »
bonsoir à tous
nous ne nous connaissons pas mais sans le savoir depuis un an vous m'accompagnez et vous êtes un grand réconfort
je suis d'abord venue sur le site par curiosité et puis j'ai découvert que ce que je vivais et ressentais était hélas vécu et ressenti par d'autres, par vous...
Mon mari est mort brutalement d'une crise cardiaque il y a un an lors d'une fête entre amis
nous ne sommes pas dit au revoir...peut être n'a t il pas eu le temps d'avoir peur mais j'aurai voulu pouvoir lui dire encore une fois que je l'aime
depuis chaque jour est une lutte pour rester debout
j'ai la chance d'avoir des enfants chaleureux et des amis attentifs mais comment vivre ce décallage avec eux
j'en suis encore au "devoir" de vivre plutôt qu'au "plaisir" de vivre, même si je n'ose écrire cela vis à vis de tous ceux qui sont partis et qui ne demandaient qu'à vivre
au bout d'un an chacun même avec son chagrin est reparti dans ses projets et ses petites anecdoctes du quotidien, moi je me sens en décallage continuel, pour moi la vie s'est arrêtée et a perdu ses couleurs
j'accepte les invitations, j'essaye de ne pas rester isolée même si je décline toutes celles qui ressemblent à une fête, je crains les groupes et ne tient pas à faire la rabas joie
heureusement je travaille et cela m'oblige à conserver une vie sociale
comment ne pas être une charge pour les enfants et leur donner envie de croire dans la vie?
comment arriver à parler futilités?
comment expliquer que depuis un an quand je suis seule il m'est impossible de m'asseoir pour manger, que je m'endors sur le canapé car la solitude est pire dans le lit, que je n'arrive pas à ranger le bureau d'Alban car chaque chose que je trie ou que je jette et qui lui appartenait me donne l'impression de le détruire, que je me sens débordée par cette belle maison qui était en train d'être construite et que je voudrais finir, que comme une petite fille je continue à espérer que c'est un mauvais rêve...
comment dire à mon fils que je me réjouis de la naissance de son bébé mais que j'ai du mal à garder seule mon petit fils car j'ai peur de porter la mort (nous avons perdu un bébé à 3 mois et je pensais que je ne pourrais plus rien vivre de dramatique)
comment être moi avec les autres sans leur peser?
comment arriver à être avec phase avec tous ceux pour lesquels la vie continue?
je suis écartelée par l'envie de rester à ce début septembre 2010 au retour des vacances avec les prommesses de bonnes résolutions, l'envie de prendre le temps d'être plus ensemble de moins se laisser manger par la vie professionnelle, avec la sensation de sa main sur ma peau et par le fait que le temps a passé et que je fais partie maintenant de celles qu'on appelle les "veuves précoces"
comment continuer à vivre avec lui et sans lui?
amitiés
marie

ChristineM

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Re : vivre le décallage du temps avec les autres
« Réponse #1 le: 11 septembre 2011 à 22:45:36 »
Bonsoir Marie,
Dans ce post, tu résumes parfaitement ce que tous nous ressentons ici : ce terrible décallage entre le monde des "vivants" et celui des "endeuillés" que nous sommes. Pour tous, la vie continue et c'est pour cela qu'il est si difficile de retrouver une place dans ce monde-là.
J'ai perdu mon mari le 5 décembre 2010, à 58 ans,  d'une récidive, après 8 ans, de cette saloperie de cancer que nous croyions avoir vaincu et ce que tu ressens, je l'éprouve au plus profond de mon être comme tout un chacun sur ce forum : que faire de cette vie, de ce vide immense, parmi des personnes autour de nous qui sont dans l'incapacité de comprendre ce que nous vivons tout simplement parce qu'elles ne l'ont pas ressenti dans leur coeur, dans leur chair ?
Par ce forum, nous savons aujourd'hui qu'il n'y a que près de personnes ayant vécu le même drame, même si chaque histoire est différente, que nous parvenons à nous aider, à trouver un peu d'apaisement. J'en ai encore eu aujourd'hui la confirmation, en participant pour la première fois à une réunion d'une association dont le but est justement d'aider durant les premières années de veuvage. Là-bas, je me suis sentie à ma place dans une assemblée qui, sans étaler souffrances, ni débordements de tristesse, était composée de personnes de tous âges qui connaissaient la douleur de la perte d'un conjoint. Nul besoin de mots, ni de se connaitre, nous étions en phase tout simplement et dans une ambiance remplie de chaleur humaine qui réchauffe le coeur.
Tout cela pour dire qu'à mon humble avis, il faut aller vers ceux qui traversent les mêmes épreuves car il est beaucoup trop tôt pour nous qui sommes fragilisés pour nous réinsérer dans ce monde où nous ne retrouvons plus notre place. Nous y souffrons encore davantage.
Courage, Marie, continue à venir ici, si tu ne peux ou ne veux te joindre à un groupe car tu y trouveras, comme tu le dis, toujours écoute et réconfort.
Amicalement.
Christine   

Biloba

  • Invité
Re : vivre le décallage du temps avec les autres
« Réponse #2 le: 11 septembre 2011 à 22:57:51 »
Bonjour Marie,
je suis arrivée sur ce forum en décembre, 6 mois après le décès de mon mari, je n'écris pas très souvent mais je viens lire presque tous les jours les témoignages de ces inconnus que je connais maintenant si bien. Cela m'a permis (me permet toujours) de me sentir "normale" et d'accepter ce décalage dont tu parles et dont nous souffrons tous.

Pour ma part, chaque fois que je vis un moment de "presque bonheur" (une réunion familiale ou amicale, un spectacle, un beau paysage, ...), le manque, l'absence se font d'un seul coup plus présents, ils m'envahissent, il m'arrive souvent d'être obligée de m'isoler quelques instants pour "me ressaisir" et ne pas plomber l'ambiance ...

Le pire est sans doute lorsque je garde notre petit fils de 2 ans et demi ; chaque progrès de ce petit bonhomme que son papy adorait me fait monter les larmes, comment accepter que jamais plus il ne pourra le voir grandir ?

"comment continuer à vivre avec lui et sans lui", c'est la question que tu poses et qui m'interroges aussi.
Patrick est omniprésent dans mes pensées, comme s'il habitait en moi, je sens à la fois sa présence et son absence, j'entends ses paroles réconfortantes quand je m'affole, et il m'arrive souvent de me dire à haute voix ses expressions favorites. Je parle de lui souvent et avec tout le monde, j'évoque nos bons souvenirs communs avec lui..

Moi, je m'assois pour manger, mais je me rends compte que je reproduis nos repas d'avant, je soliloque intérieurement sur l'actualité, ma journée, etc. en regardant sa chaise et j'ai l'impression de sentir sa présence, d'entendre ses commentaires, pourtant je n'ai aucun espoir sur une quelconque "vie" après la mort ... Il m'arrive de penser que si l'on me voyait, on me prendrait pour une folle !

Je crois que chacun d'entre nous fait comme il peut pour justement ne pas devenir fou et que doucement, peut-être même très très doucement, nous arriverons à refaire partie du monde des "vivants", mais la route est longue et nous n'en sommes qu'au début !

amitiés à tous

Marie

yoshi

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Re : vivre le décallage du temps avec les autres
« Réponse #3 le: 12 septembre 2011 à 11:06:20 »
Bonjour à tous,
pour moi c'est également le début du chemin sans mon épouse (cela fait 2 mois) mais je me retrouve parfaitement dans ce que vous dites. Lorsque les amis ou la famille m'invite, je mesure mon etat et je vois si je vais pouvoir me contenir car je ne suis pas du genre à faire du déballage de sentiments (avec ma chérie nous formions un couple fusionel mais très discret, pas d'étalage de vie privée...). Cependant il est vrai qu'a chaque invitation, j'ai ce sentiment d'être un "boulet", je me dis "non n'y vas pas, tu vas plomber l'ambiance" car comme vous le dites si bien les autres ont repris le cours de leur vie alors que nous NON.
Ce décalage est très difficile à vivre pour moi aussi, et j'ai même parfois l'impression que la famille ou les amis sont déjà passé à autre chose. Lorsqu'il parle de "futilités" je tente bien d'entrer dans la conversation, mais chaque fois le souvenir de ma chérie me rattrape. Du coup chacune de mes phrases commence par : "ah oui, avec margot aussi on fesait cela....." vous savez comme pour tenter de faire en sorte qu'elle ne soit pas écarté des conversations !
Ce décallage commence tout de même à m'éloigner des autres et l'isolement commence à se faire sentir.
Que doit on faire ? ralentir les autres ? accelerer notre propre progression? ou bien nous laisser distancer?

Je dois avouer que c'est égoïste de ma part mais voir des gens dans la même situation que moi me rassure quelque part car peut être pourrez vous m'aiguiller ? Pouvoir s'appuyer les uns sur les autres est réconfortant.
Merci à tous, je vous embrasse.

Lauren

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Re : vivre le décallage du temps avec les autres
« Réponse #4 le: 12 septembre 2011 à 13:22:13 »
Bonjour à tous,
Vu sur une autre file:
" Il y a donc dans le deuil (...) le mien, un apprivoisement radical et nouveau de la mort; car avant, ce n'était que savoir emprunté (...), mais maintenant c'est mon savoir". R.Bart
C'est sans doute ça le décalage: les non-en-deuil n'ont qu'un savoir emprunté de la mort, de l'absence, du manque.
En tous cas, moi, j'évite soigneusement les réunions à plus de 3 ou 4 pour l'instant. Je dis que je ne peux pas. Comprennent ou comprennent pas tant pis. Dès que je ne le sens pas, j'annule. C'est déjà assez difficile, inutile de se rajouter des contraintes et des "faire semblant".
Bises à tous L

Hors ligne marie7

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Re : vivre le décallage du temps avec les autres
« Réponse #5 le: 13 septembre 2011 à 00:07:05 »
merci pour vos messages
ils m'aident à me sentir dans la "normalité"
parfois je ne sais plus quand j'accueille ces émotions et quand je lutte contre elles
pour beaucoup de personnes au bout d'un an le deuil est fini mais je n'ai plus le même rythme que mon entourage
les dates anniversaires comme celle de la mort d'Alban ravivent ce déphasage
plus envie de faire des projets, juste espérer avoir assez de forces pour continuer
j'ai besoin d'apprendre comment parler avec ceux que j'aime de que j'éprouve mais je suis plutôt réservée en qui concerne ce que je ressens et puis comme je vous rejoins sur le fait de craindre de plomber l'ambiance!
amitiés
marie

Marieroger

  • Invité
Re : vivre le décallage du temps avec les autres
« Réponse #6 le: 14 septembre 2011 à 08:43:36 »
Comme je me retrouve dans ce que vous tous décrivez. On apprend à vivre avec ce décalage; ce sont mes enfants et mes amis qui m'aident à avancer jour après jour. Mes enfants sont ma priorité, je ferai tout pour eux; ils sont le fruit de notre Amour et dans chacun d'eux je retrouve leur papa; mes amis sont très présents, je sais que je peux compter sur eux et je n'hésite plus à les appeler  quand j'ai besoin.
Je viens toujours vous lire et cela me rassure aussi ......
Le 1er novembre cela fera 1 an...... Je redoute déjà ce moment et j'avoue que ces derniers temps les coups de blues sont de plus en plus fréquents.
Amitiés à vous tous et à toi particulièrement Bruno

Marieroger

Lyne

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Re : vivre le décallage du temps avec les autres
« Réponse #7 le: 15 septembre 2011 à 05:45:12 »
Bonjour à tous et plus spécialement à toi Marie,

Cela fait plusieurs fois que je lis ce fil de discussion car il me rejoint et me fait réfléchir, car je me sens de moins en moins en décalage avec les autres c'est à dire ma famille, mes amis.  Depuis quelques temps j'accepte la majorité des invitations (même si parfois j'aimerai mieux rester chez moi à pleurer et a déprimer) je parle de Jean-Pierre et accepte de laisser l'émotion quand cela survient ce qui ne m'empêche pas de rire.  L'humour a toujours été ma façon de faire face aux difficultés de la vie.  Plus je m'ouvre à mon entourage mieux je me sens et plus je m'aperçois que eux aussi ont envie de parler de Jean-Pierre et que même si on pleure quelques minutes pendant une soirée cela ne gâche pas une soirée cela la rend authentique et que cela ne nous empêche pas de nous amuser et j'ai besoin de m'amuser et de rire cela compense pour les moments de grande tristesse et de désarroi que je vis quotidiennement depuis neuf mois. Lors de mes discussions avec ma famille, sa famille et nos amis je réalise que eux aussi sont en deuil état de chose qui jusqu'à maintenant enfermée dans ma douleur je ne voyais pas vraiment.

Je suis en deuil de Jean-Pierre et le serai toujours mais je commence à vouloir faire ma vie à moi puisque je n'ai pas d'autre choix. 

Ne nous enfermons pas dans le silence et la solitude même si nous en avons envie, c'est ce qui je crois nous donne le sentiment d'être en décalage.

De son vivant il ne supportait de me voir malheureuse et ne voulait que mon bonheur et je suis convaincue que c'est toujours le cas c'est ce qui me donne la force de continuer.

Marie je te souhaite et nous souhaite à tous d'être de de moins en moins en décalage avec les autres et cela chacun à notre façon.

Lyne

Hors ligne marie7

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Re : vivre le décallage du temps avec les autres
« Réponse #8 le: 18 septembre 2011 à 00:05:20 »
merci pour vos messages, votre point de vue et vos ressentis qui m'aident à me trouver (ou retrouver?),

Oui Lyne je pense aussi que notre comportement induit des attitudes chez les autres

Pas facile de se laisser aller à pleurer en présence d'autres, les jours qui suivent le deuil tout le monde le comprend, des mois aprés seuls les proches le comprennent.

Par contre j'arrive à pronnoncer souvent le nom d'Alban: c'est l'appareil photo d'Alban, Alban aimait ceci ou cela; mes amis proches parlent de lui mais les connaissances souvent détournent le regard et sont mal à l'aise.
Mes enfants sont un grand réconfort (puisse que je le sois aussi pour eux) non seulement ils parlent de leur père avec lequel ils étaient trés attachés mais il continuent de rire de ses défauts. Ils continuent à le rendre avec nous ni idéalisé ni oublié mais lui tel qu'il était...

amitiés

marie7

yoshi

  • Invité
Re : vivre le décallage du temps avec les autres
« Réponse #9 le: 18 septembre 2011 à 15:09:05 »
Bonjour Marie7,
oui je suis d'accord avec ce que tu écris. Lorsque je parle de ma chérie, je fais exactement la même chose, c'est à dire que je parle d'elle telle qu'elle est sans chercher à "l'idéaliser". Je parle aussi bien de ses qualités que de ses défauts. Ainsi lorsque je pense à elle, je me dis que même ses défauts me manquent. Ma chérie est tétu comme une mule, parfois raleuse et boudeuse lorsque l'on était pas d'accord. Mais tout le monde a des qualités et des défauts, c'est dans la nature même de "l'homme". En contrepartie elle a bien évidemment une quantité incroyable de qualités (gentille, douce, attentionnée, aimante, patiente, drole....).
Notre relation était basée sur la confiance et la sincérité c'est pourquoi je pense que je dois continuer de parler en respectant fidélement ce qu'elle est.

Merci à tous, je vous embrasse.

Soledad

  • Invité
Re : vivre le décallage du temps avec les autres
« Réponse #10 le: 20 septembre 2011 à 06:08:11 »
Bonsoir,

Merci pour vos témoignages. Ils aident à vivre, à continuer, à s'accepter. Je crois que nous ne serons plus jamais les mêmes. Dans un peu plus de deux mois, ça fera deux ans que je vie mon deuil. Je suis une veuve précoce. J'ai 37 ans... Mais à chaque nouvelle personne que je rencontre, je réaffirme mon identité de veuve... je ne puis faire autrement. Qu'est-ce qu'on peut répondre d'autre aux gens? La plupart sont gênés et changent de sujet. Ça ne fait rien. Je sais que ça crée un malaise. Je ne leur en veux pas. La mort d'un conjoint est une chose terrible et les gens ne peuvent faire autrement que de se visualiser et n'osent imaginer la douleur qui s'ensuit. Ils ont peur. Moi aussi j'ai eu peur. Maintenant, je n'ai plus peur de la mort, j'ai peur de la vie. Maintenant, je sais que je ne serai plus jamais la même. Même si on ne cesse de me répéter que je suis jeune, que je vais refaire ma vie. Ma vie est remplie de l'amour de ma vie qui n'est plus. L'amour de ma vie que j'ai accompagné jusqu'à sa mort et que j'ai vu mourir. Il fera toujours partie de moi et je me rends compte que je serai toujours veuve de lui. Je ne sais pas. Je ne suis pas fermée si jamais une autre relation se profilait. Ce qui n'est pas à l’horizon. Je ne cherche pas non plus.  Mais lui, l'amour de ma vie, je sais qu'il sera toujours mon amour et que cela marquera le reste de ma vie.

Ce décalage est bien réel. Je ne crois pas qu'il puisse en être autrement... Il est là, il continue à être mon trésor le plus précieux et maintenant je sais qu'il en sera toujours ainsi. Comment les autres peuvent-ils comprendre? Après quelques mois à peine, on osait me dire que maintenant, je devais tourner la page! Ça fait presque deux ans et je sais maintenant que la page ne sera pas tournée. Notre histoire est en moi et ça fera toujours de moi, et je sens que de nous tous ici, des personnes différentes. Il va falloir vivre avec notre différence, tout en essayant de ne pas se couper complètement du monde des vivants et de ceux et celles qui n'ont pas côtoyé la mort d'une façon si intime, si fondamentale.

Bon courage et tous et toutes,

Soledad