Nous étions heureux.
On venait de fêter nos 32 ans de mariage, dans l’insouciante douceur et tendresse de notre amour.
Tu étais à ton travail, moi au mien, une violente douleur au ventre, ton ovaire gauche explose, le Cancer s’est répandu.
Première échographie, il faut vite consulter en urgence le gynécologue.
Scanner, prise de sang, le CA125 allait diriger notre vie, il est à 1600.
C’est grave docteur ?
Depuis lors, toutes les consultations vont nous effondrer, mais nous garder continuellement dans l’espoir, on a toujours cru les paroles réconfortantes tout en redoutant le pire.
C’est dans cette terreur continue, ponctuée de doutes, d’espoirs que nous avons vécu toutes tes batailles.
Je n’aurai jamais pensé qu’un petit corps si frêle, si doux et si beau, puisse résister à tant de souffrance.
Tu étais si belle ! Ton sourire ravageur faisait tomber tous les obstacles devant toi, tu n’acceptais aucune frustration, le monde entier, et moi, étions à tes genoux.
Mais, à partir de ce mois d'août, allait commencer un redoutable combat, pour conserver ta liberté d’agir et de faire ce que tu voulais.
L’opération, hystérectomie totale par laparotomie, jolis mots, tu as résumé ça en plaisantant « ils m’ont vidée comme un poulet », cinq heures sur la table, on t’a sorti les tripes, enlevé les ovaires, l’utérus, et 35 ganglions, 17 étaient atteints, cancer grade III C.
C’est grave docteur ?
Oui, le cancer est très agressif mais par chance, il devrait bien réagir à la chimiothérapie.
Six longs mois de Carboplatine Taxol, ce qui veut dire nausées, et Ko 1 semaine sur 3, au point de devoir faire des efforts surhumains pour prendre une simple douche.
Plus de cheveux, plus de cils, sourcil, plus de poils, « je n’aurai plus à m’épiler » tu plaisantes toujours.
Après un an d’Avastin, le CA 125 revient à la normale, on croit que c’est plié, on danse « One day » autour de la table du salon, on le fera trois fois pendant ces six années.
Tu ne travailles plus mais tu enchaines toutes les activités de « loisirs créatifs », scrapbooking, couture, broderie, peinture, carnets de voyages sculpture, poterie.
Tu remplis ton atelier jusqu’à devoir pousser les murs, de matériel et d’outils pour faire 20 ans d’activités
La rémission n’a pas duré, une prise de sang, tout va bien, deuxième prise de sang CA125 qui remonte, Scanner, 4 ganglions qui grossissent, mal placés, deuxième coup de massue.
Rayons, deuxième ligne de chimio, deuxième rémission.
On reprend une vie normale, six mois plus tard, mammographie de contrôle, tu y vas seule, tu m’appelles en pleur au travail : Cancer du sein.
C’est grave docteur ?
Pas de chance, c’est petit, mais pris à temps, une opération, un mois de rayons, on n’en parlera plus.
Après tous ces signaux on nous parle enfin de génétique, prise de sang, le verdict : Anomalie BRCA1, ça aurait été tellement bien de le savoir avant, ça va peut-être sauver tes nièces, cousines, ou notre fille, mais pas toi.
Et puis tu enchaines pendant cinq ans : le CA 125 fait le yoyo, Scanner, PetScan, récidives et lignes de chimio, l’allergie au Platine ne t’arrête pas, il y a d’autres produits, ton corps en a connu beaucoup.
A chaque fois tu y crois, tu te bats comme une lionne
« On avance » c’est ton expression quand je suis inquiet.
Tu fais toujours bonne figure devant les autres et surtout les enfants, c’est compliqué mais ça va, tu vas t’en sortir, c’est ce que tu leurs dit, et tu y crois aussi.
On nous annonce le remède miracle, Lymparza, l’immunothérapie qui doit pallier l’anomalie BRCA1. Même les médias en parlent.
16 gélules par jour pendant 6 mois, le top, très peu d’effet secondaires, on y a vraiment cru.
Mais au bout des 6 mois, le CA125 a continué à monter, le Scanner révèlera que le Cancer continue à grossir dans ton péritoine.
Tu démarre alors ta 7e ligne de chimio, tu y crois toujours « tant qu’on a des armes on se bat » nous disent le gynéco et l’oncologue, puis le CA125 est à 3700, on ne le mesurera plus.
Et puis le Cancer s’est mis à « parler » comme nous a si bien dit ton médecin qui est aussi ton ami.
Il me dit de nous « préparer », de parler aux enfants, enfin leur annoncer que c’est grave, il ne reste que quelques mois.
Comment on se prépare ? c’est combien quelques mois ? deux, trois, six, douze ? ce sera six.
Pendant 2 mois, tu vis l’enfer de la sub-occlusion, ton intestin se bouche, maux de ventre terribles, ton ventre gonfle, tu ne peux plus manger sans vomir, et le calvaire commence.
Première hospitalisation, Scanner, l’oncologue est moins pessimiste, la cortisone va te faire tenir.
On envisage l’opération, nous te ramenons à la maison en hospitalisation à domicile, tu ne manges pratiquement plus, puis c’est l’occlusion totale. Tu vomis matin et soir pendant des semaines.
Tu acceptes l’opération, tu y crois encore.
On te ressort de nouveau les tripes, on t’enlève un morceau d’intestin et te fais un trou sur le ventre : Iléostomie, on ne connaissait pas ce mot, mais on allait vite apprendre.
Dix jours d’hôpital, dix jours d’enfer, tu continues à vomir tous les jours, tu as perdu plus de 13 kilos, plus de muscles, tu as la peau sur les os, on nous dit d’y croire, je te ramène à la maison, je pleure de bonheur, je n’y croyais pas.
Et puis tu recommences à manger, tu reprends du poids, malgré le régime strict de l’iléostomie, et cinq petites collations journalières, tu continues à avancer.
Tu reprends vie, tu peux te lever, puis te laver, tu continues toujours à te maquiller le matin et tu donnes toujours le change, tu n’arrives à faire plus que du tricot mais « on avance »
L’iléostomie te brule la peau, comme une cigarette qu’on t’éteint sur le ventre toute la journée, pendant un mois, tu vis cette souffrance en plus, par l’incompétence d’une Stomathérapeute.
On change d’infirmier, il va trouver la bonne méthode pour soulager un peu de ces souffrances.
Tu reprends ta huitième ligne de chimio, Taxol toutes les semaines, tu vas perdre les cheveux mais tant pis, on y croit encore.
Pendant trois mois, tu vas encore rester debout « on avance ».
Tu déploies des forces surhumaines pour recommencer quelques petites sorties, et on va tous croire que tu t’en sortiras toujours, que tu es la plus forte.
Mais à la fin du mois dernier ça a recommencé, les maux de ventre terribles, le ventre qui gonfle, la jambe droite te fais mal, tu te masses tout le temps, le ventre, la jambe, c’est la seule manière que tu trouves pour t’apaiser un peu.
On te présente enfin le « médecin de la douleur », car on n’a maintenant plus que du palliatif à t’offrir, on augmente la cortisone et on va tenter d’apaiser ces douleurs, tu parais soulagée.
Et puis, un matin, la poche d’iléostomie est vide.
C’est grave docteur ?
On continue à te faire espérer, tu te déplace en fauteuil maintenant, mais on prévoit une 9e ligne de chimio, mais on va attendre la semaine prochaine.
Ta jambe droite te fait de plus en plus souffrir, même avec la morphine.
Peut- être une phlébite ? le cardiologue ne trouvera rien. C’est bien le cancer qui avance, vite.
La sub-occlusion devient de nouveau occlusion.
Tu ne connais plus que l’alimentation parentérale, tes jambes gonflent, la morphine, les massages te soulagent si peu, tu vas finir par ne plus pouvoir utiliser la jambe droite.
Jusqu’au dernier jour tu vas tenter de continuer à aller de ton lit aux toilettes, puis au salon, pour fumer, d’abord pliée en deux de souffrance, puis avec une béquille, tu vas même accepter le déambulateur, il faut rester debout.
Jusqu’à ce samedi soir, tu n’as plus pu te lever, tu as fumé ta dernière cigarette au lit.
Dimanche tu ne te levais plus, j’ai réussi à te réveiller dans l’après-midi mais tu n’as pas pu te lever, tous les mouvements que tu faisais te faisaient hurler de douleur.
Ton docteur est là, Il n’y a plus que la morphine en injection à proposer pour te soulager. Il prévoit le lit médicalisé et la pompe à morphine pour demain.
Toute la soirée, tu as voulu trouver la bonne position, on t’a déplacée plus de vingt fois, et tu as fini par t’apaiser, tu m’as appelé pendant des heures, alors que tu étais dans mes bras, je pensais que la morphine te faisait délirer, je te répondais « je suis là mon amour, tu peux t’endormir ».
Tu as arrêté de respirer lundi 8 octobre à une heure du matin, j’ai fermé tes yeux et tu t’es endormie pour toujours dans ton lit, auprès de moi.
Je n’avais jamais vu la mort avant.
Tu étais athée et tu as dit aux chirurgiens qu’’ils étaient tes « Dieux », qu’ils t’ont sauvé la vie plusieurs fois, ils ont juste réussi à la prolonger un peu.
C'est toujours la mort qui gagne.