Dimanche matin, 2 juin 2019.
Je viens de découvrir ce forum. Espoir d'être lue, d'être portée par mes semblables, par un vécu commun. Pour me rassurer, pour me calmer, pour me faire croire...pour savoir que je ne suis pas seule à vivre ce cauchemar.
Mon amour, mon grand amour de vie depuis 34 ans est décédé il y a 3 semaines aujourd'hui. Cancer du poumon diagnostiqué le 28 décembre dernier. Je vous raconterai ce tsunami qui nous est tombé dessus cette journée-là. L'annonce à l'urgence, sur une civière avec un p'tit rideau pour l'intimité. Le monde qui s'effondre..Notre monde.
Mais ce matin, je veux partager ce que je vis.
Il y a 3 semaines, dimanche le 12 mai.
Mon amour est assis dans son lazy-boy dans sa chambre des soins palliatifs. J'ai mon petit lit aussi à côté. Ça fait 4 jours qu'on est là. Il est arrivé le jeudi sachant qu'il n'en sortirait pas. Quel courage il a eu de quitter la maison ce jeudi 9 mai...
On a tant parlé, on s'est tant collé pendant ces 4 mois d'enfer, de souffrance, de progression de la maladie.
Je suis épuisée, vidée de toute énergie, presque morte moi aussi..
Alors ce dimanche matin, il y a 3 semaines, il a passé la nuit dans son lazy-boy (il ne voulait pas aller dans le lit sachant qu'il n'en sortirait peut-être pas) il VOULAIT VIVRE jusqu'à la fin.
Il disait: "tu sais mon amour, j'ai aussi un deuil à vivre. Je ne suis pas prêt encore à laisser tous ceux que j'aime: d'abord toi mon amour, mon fils, mon petit-fils, mes frères.."
Alors, ce dimanche matin, très tôt, on est réveillé Il est 6h je crois. Il n'a pas bien dormi et moi non plus. Il râle beaucoup, semble étouffer par moments, commence à montrer des signes d'inconforts que les infirmières appellent les signes de détresse respiratoire.
Je lui dit: si tu veux, j'ai apporté notre bon café de la maison. On va s'en faire un. Il me dit oui. Il est content d'avoir un bon café. Je sais qu'il ne le boira pas. Il ne peut plus boire, il s'étouffe tout le temps. Et il me dit: "On va le boire dans la petite cuisinette" en face de sa chambre. Génial. Il fait son transfert dans le fauteuil roulant. On va dans la petite cuisinette. Je nous prépare le café et lui donne sur la table.
Mais déjà il dort, la tête penchée. je prends quelques gorgées. Puis il se lève la tête et demande de retourner à la chambre. Il se rassoit dans le lazy-boy, un peu trop mou , un peut usé, un peu inconfortable...Il dort.
L'infirmières vient.
Elle lui dit qu'il est à risque de faire une détresse respiratoire et que cette nuit, elle a failli lui donner le protocole pour que ça n'arrive pas: Versed et Dilaudid en injection pour calmer et dormir pour éviter la panique d'étouffer.
Il répond que ça va aller.
Mon amour a perdu la voix depuis un mois. La tumeur a écrasé le nerf laryngé qui s'occupe des cordes vocales. Alors, il chochotte..et depuis la veille, j'ai beaucoup de difficulté à comprendre ce qu'il veut me dire. Ça me tue!!
Il est près de 10 heures le matin. Il bouge dans son fauteuil, ses bras, ses fesses, comme s'il était mal. Il râle et a beaucoup de sécrétions. Je lui donne des baisers, je suis près de lui, je texte à ma famille, à sa famille, donne des nouvelles de la nuit.
Je sens qu'il se passe quelque chose.
Ses frères et son fil arrivent.
L'infirmière dit à mon chum qu'il n'est pas bien et qu'il est très à risque de faire une détresse respiratoire right now. Ils lui disent qu'ils vont lui injecter le protocole et que ça va le faire dormir.
Elles vont très vite. Avec les papillons, ça va vite les injections.
Lui, n'a pas le temps de réaliser..il va dans le lit sur leur demande et a le temps de dire quelques mots à l'infirmière dont Agression-prendre le temps- essayer de convaincre. Il exprime ces derniers sentiments et émotions avec énergie avec le peu de souffle qu'il a.
Il leur dit au fond, qu'il aurait aimé qu'elles prennent plus de temps, quelques minutes de plus pour lui expliquer..car il sait que maintenant que c'est fait, c'est la fin..Elles ont beau lui dire que ce n'est pas la sédation palliative et que dans 2 heures, il va se réveiller sans cette détresse qui l'étouffe, il ferme les yeux et s'endort.
Je suis toute prêt de lui. Je lui caresse le visage.
Ça va durer environ 2 heures et à 13h il râle encore, ferme et ouvre les yeux. Ils veulent lui mettre une culotte d'incontinence. Je dis NON! Lui-même entend et fait la grimace, sourcils froncés. Pas question!
Alors, je prend son visage entre mes mains et lui demande s'il est capable de me dire s'il veut maintenant la sédation palliative? Son regard vissé sur le mien, Au milieu de ses râles, il est incapable de me répondre. Par la suite, je comprendrai que peut-être il ne pouvait pas me dire oui, ayant trop de peine de me quitter sans doute.
C'est au médecin qu'il adorait qu'il a dit oui avec ses yeux. Elle lui avait expliqué la veille comment ça se passerait selon les désirs à lui et lui avait demandé: Si je ne peux pas le demander au moment voulu, est-ce qu'un membre de ma famille peut le faire pour moi? Il l'avait même écrit sur un bout de papier que je garde précieusement dans mon sac à main...depuis.
Et elle est arrivée à son chevet. Cette femme extraordinaire comme médecin et comme être humain et lui a dit: C'est moi! Je vais vous donner la sédation palliative et lui a décrit ce qu'elle ferait. Il avait les yeux ouverts, il râlait et selon cette femme que j'ai vue par après, ce regard était un consentement clair et net.
Ça n'a pas duré 3 heures.
Je lui ai chanté nos chansons dans l'oreille, je lui ai répété 1000 fois que j'étais là, que je l'aimais, qu'on avait eu une belle vie et au début, il levait les sourcils, de contentement, il ouvrait un peu la bouche comme pour dire oui...Je faisais tout tout tout pour le rassurer car il m'avait dit souvent qu'il avait peur de la mort.
Puis, à 14:45, dimanche le 12, il y a 3 semaines, il a rendu un tout petit mini respire..il était parti.
Je sais juste que le baiser que je lui ai donné dans la seconde suivant ce dernier souffle n'a pas résonné. Ce n'était plus lui. J'embrassais son enveloppe.
Et je me suis effondrée!!!
J'avais tenu bon tout le temps...depuis plus de 4 mois, et pendant ces 3-4 jours aux soins palliatifs.
J'avais tout fait pour être près de lui tout le temps,
Et là, il était parti.
J'ai senti ce VIDE IMMENSE, dans la seconde et je me suis écroulée.
Cela fait 3 semaines aujourd'hui.
Je navigue sur une mer déchaînée. Je me laisse balloter, j'ai peur de couler au fond.
Par chance je vois une fois par semaine, ma psychologue qui avait commencé à me voir avant en février.
Elle me manque! Hâte à demain.
Voilà pour mon premier post sur ce forum.
Désolée de la longueur.
Il fallait que je l'exprime.
J'ai décidé aujourd'hui de ne rien faire.
D'écouter mon corps brisé. de dormir, faire un peu de casse-tête de lui parler...j'ai des photos de lui partout dans la maison et chaque fois que je passe devant, je lui parle. Je lui parle tout le temps, je pleure des tonnes de larmes.
Combien de temps cette souffrance innommable va-t-elle durer?
C'est vraiment très très dur malgré tout le soutien que j'ai, je suis seule au bout du compte avec ma peine comme un abysse, un gouffre sans fond...