bonjour,
votre ressenti n'a rien d'anormal.
Se croire toxique et narcissique fait partie de la culpabilité engendrée par le suicide.
C'est le contraire qui serait sidérant.
Cela étant cette culpabilité peut être une vraie torture.
Si c'est très difficile à éviter, s'il semble parfois impossible de s'en préserver (des vagues répétées et pernicieuses), il faut admettre qu'elle est constitutive de ce deuil très particulier. (cf. Fauré, évidemment)
Pour progresser il faut admettre que l'on n'a pas à occuper une place unique dans le psychisme d'autrui, que cela soit son compagnon ou même son enfant. C'est bien cela qui est compliqué, en tant qu'amour ou référent.
Faire le deuil d'une personne suicidée, c'est d'abord faire le deuil de son égo, de son "pouvoir aimant".
Je ne dis pas cela par méchanceté, car l'égo n'est pas une mauvaise chose, même si le point Godwin de la psy actuelle est le fameux "pervers narcissique", qu'à l'évidence vous ne pouvez être.
Ce n'est pas être égoïste d'avoir un égo développé, en d'autres termes avoir de la personnalité ou du 'caractère'.
C'est parfois la raison pour laquelle une personne suicidaire tiendra autant à vous.
N'oubliez JAMAIS que la pente suicidaire est un processus pathologique, qu'il soit 'explicable' par un vécu douloureux ou non. Il y a exactement un déficit d'immunité.
Parfois lent, parfois fulgurant (raptus anxieux...).
Que votre mari se soit appuyé sur vous ne devrait pas vous culpabiliser davantage.
Au contraire. Dites-vous que vous l'avez maintenu en vie, mais au delà de vos forces.
Certes vous comme d'autres auraient pu ou du mieux faire, mais à la lumière du drame il est tentant de tout rejouer.
Là encore c'est normal, et le diable se cache dans les détails.
Un conseil sincère va se transformer a posteriori en une piqûre toxique. Peut-être est-ce le cas pour la personne malade, mais objectivement ce n'est pas le cas. Il n'y a aucune échelle de prédiction possible pour le suicide. C'est la seule chose "prouvée" aujourd'hui.
Le psychisme de la personne suicidaire tend à amplifier, à noircir le moindre signal, et ce sur une amplitude temporelle infinie, quel qu'il soit.
Quand ce processus est engagé, il n'y a que la chimie pour éviter - éventuellement - un passage à l'acte.
Une personne qui se remet d'une crise suicidaire a le plus souvent conscience d'avoir versé dans une forme de psychose, et sait très bien qu'aucune forme de psychologie, ni même d'empathie, n'aurait pu la sauver sur l'instant.
La pulsion suicidaire correspond le plus souvent à une prise de conscience horrifiée de sa propre "folie", insupportable. On sait qu'on déraisonne mais le fait de s'en rendre compte est insoutenable. Je l'ai vécu moi-même peu après la mort brutale de mon fils, c'est une impasse épouvantable, l'enfer sur terre.
On ne peut compter sur ses proches pour vous en sortir, c'est comme ça.
Ne vous reprochez pas d'avoir failli ou mal réagi, vous étiez du côté humain, simplement...
Il est vrai que certains psys à la mode tels Cyrulnik (je sais qu'il a de nombreux 'fans' mais en cherchant bien vous verrez qu'il raconte n'importe quoi sur le suicide comme sur l'autisme: les mamans d'enfants autistes ont dû "apprécier"...) ne nous aident pas, que les corrélations statistiques des épidémiologistes font plus de mal que de bien. Certains alimentent activement le "surmoi" écrasant de culpabilité les survivants de cette tragédie absolue qu'est le suicide.
Les uns cherchent à se rassurer ou à conforter des -parfois nouveaux- préjugés avec des inductions logiques transformées par la masse en implications, les autres subissent une culpabilité terrible.
Ne cherchez pas à vous approprier ces "raisonnements" qui n'en sont pas.
Le réductionnisme pseudo-scientifique fait des ravages dans les esprits et malheureusement la psychologie s'en abreuve à bon compte. C'est un marché, ce qui est la marque de la société actuelle.
Depuis 3 ans j'ai lu des dizaines de milliers de page, que cela soit en psychologie, psychiatrie, épidémiologie, sociologie, psychanalyse. Quasiment aucun écrit ne vous rassurera, croyez-moi.
Ces propos sont des réductions, rien d'autre. Ils rassurent leurs auteurs, et la majorité des lecteurs qui ne sont pas concernés de près.
Le suicide est une énigme individuelle, ce n'est pas un processus multifactoriel réductible à des impulsions lumineuses sur une pellicule photo ultrasensible.
Essayez de "replacer le curseur" entre "j'ai mal agi donc je suis responsable et je suis une mauvaise personne, voire le diable" et "il me voyait comme son seul recours et il s'était convaincu - tout seul - qu'il n'en avait pas d'autre".
Aimez-le, acceptez sa faiblesse qui était peut-être sa force, admettez le fait qu'il était sans doute plus humain (survivant douloureusement à sa propre finitude) que les autres.
Je vous souhaite bon courage.