Bonjour à toi,
Je suis un peu plus appaisé.
Je pense que la reprise du travail y est pour beaucoup.
Pour autant, je n'oublie pas.
Si je pense que Bruno était plus en souffrance psychologique que Ludovic, je retrouve les mêmes angoisses profondes.
J'ai vraiment le sentiment que j'étais comme un tout pour Ludovic : son salut, sa solution pour fuir ses peurs ou un risque de mal être : peur de la solitude, d'un inaccomplissement, d'énormes insatisfactions sur la manière dont sa vie s'est orchestrée, peur d'être aussi face à des contraintes (ages ou financières, plus ou moins imaginaires ou en tout cas très exagérés) qu'il érigeaient en obstacle indépassable (à tort) ne lui permettant pas de reprendre la main seul sur son existence (si tu me quittes, je n'y arriverai pas : appart, boulot, ennui..). Ce n'était pourtant que de simples contraintes, que lui empilait dans des boites ou un mur infranchissable.
"Reprendre la main" : comme le disait un psychiatre, le suicidé reprend la main sur le cours de son existence, mais par le pire geste qui soit.
Comme toi, il aurait fait n'importe quoi pour me retenir, pour éviter de sombrer.
Ludovic m'idéalisait dans le sens où j'étais la solution pour lui permettre d'être heureux.
Contrairement à toi, il ne cherchait pas à me faire peur ou à me contrôler, mais à multiplier les marques d'attention pour ne pas me perdre. Ce qui est horriblement culpabilisant pour moi. Je sentais qu'il y avait un déséquilibre, car les soucis, les enjeux, les discussions étaient très très souvent éludées, remplacées par un débordement de marques d'attention. C'est comme si il avait conscience qu'il pouvait y avoir des difficultés entre nous, comme dans tous les couples, mais il préférait ne même pas les effleurer, par peur de me perdre.
Je lui ai expliqué que cette peur de l'abandon ne pouvait pas fonctionner, mais il me disait qu'il n'y pouvait rien, qu'il était comme cela quand il était amoureux.
C'est donc très culpabilisant...
Et comme tu le dis, il avait adopté ce mécanisme de vie, car il savait que sinon, il aurait été débordé par ses angoisses et aurait été rattrapé par l'idée que sans moi il ne vivrait pas.
Je dois porter, comme toi, ce fardeau à vie, avec toute la tristesse que cela suppose.
Encore une fois, on ne peut pas faire plus culpabilisant, c'est comme une petite meurtrissure, une petite faille profonde, parfois chaude, parfois glaçante, qui sera fichée en nous pour toujours.
Comme toi, j'aurais tant aimé pouvoir l'aider. On n'est pas dans les SI, j'aurais VRAIMENT voulu l'aider.
Mais comment, sachant que son mode de fonctionnement, hautement culpabilisant pour moi, ne me convenait pas?
Peut être qu'avec une autre personne, un équilibre aurait pu avoir lieu. Mais pas avec moi et j'en suis immensément désolé.
J'essaie de ne pas m'accabler. Comme me le disait un ami de Ludo : si tu reconnais qu'il avait des impossibilités à agir autrement, n'oublie pas que, toi aussi tu as ton vécu avec tes propres déterminismes, tes propres réflexes, et que tu es obligé de faire avec. Tu n'avais pas forcément les clés pour débloquer cette situation.
"aveuglée par la colère, je t'ai laissé décidé " : cette phrase est d'une amibguité totale!! : tu ne peux pas d'un côté te reprocher d'avoir été aveuglé et en tirer comme conséquence qu'il a décidé. On en revient au fait que malheureusement, même si j'ai du mal avec cela, on est tous maître de sa propre vie. IL A décidé pour lui, pas toi. J'ai du mal avec cette logique, car elle peut justifier l'égoïsme, l'absence de soutien, d'entraide à l'égard de son prochain., qui parfois ne peut pas s'en sortir seul.
Au fond, quelle erreur avons nous commise? D'avoir repris notre pouvoir de décider à un moment donné, quand bien même on savait que cela ne rentrait pas dans leur mode de fonctionnement. Peu importe que sous le poids de la culpabilité et à posteriori, on considère aujourd'hui que c'était une erreur.
Ludo se croyait perdu sans moi, Bruno également, à la différence qu'il se savait en très grande souffrance et qu'il n'a pas vu d'autres solutions.
C'est difficile.
Je t'embrasse bien fort et te souhaite une bonne journée.