Bonjour à tous,

J'ai décidé de poster un message sur ce forum car je trouve très réconfortant le fait de pouvoir parler librement de ses maux, d'avoir des réponses bienveillantes, et d'échanger avec des personnes qui souffrent tout autant.

Chaque deuil est particulier, le mien l'est également, et face à cette spécificité je me sens démunie.
Voilà mon récit : j'ai 18 ans, ai toujours été très solitaire. Mais il y a deux ans, j'ai rencontré F, une fille plus jeune que moi de deux ans. Un coup de foudre amical et réciproque. Tout est allé très vite pour que nous soyons proches. Elle est tout de suite devenue le centre de tout. Je me suis coupée de mes amis, de ma famille, pour passer le plus de temps possible avec elle. Elle est devenue le centre de mon monde, je vivais pour elle, à travers elle. On disait à tout le monde que nous étions meilleures amies. C'était le cas. Mais personne ne comprenait vraiment cette relation. En réalité, elle était fusionnelle, passionnelle, et très ambiguë. Nous ne voulions pas définir cette ambiguité, ou plutôt nous donner le temps de faire cette transition entre l'amitié et l'amour. Car oui, je suis maintenant convaincue que nous étions amoureuses l'une de l'autre. Seulement, on a pas eu le temps de se le dire, donc moi je suis certaine de mes sentiments pour elle, je ne sais pas à 100% si c'était réciproque. Il y avait des moments ou les gestes, les mots n'étaient plus ceux de deux amies, mais jamais nous ne nous sommes embrassées par exemple, ni déclaré clairement nos sentiments. En tout cas, c'était une relation d'une force exceptionnelle, le genre de relations très romanesques et très rares. Depuis septembre, on avait plus de difficultés pour se voir, car j'ai déménagé pour mes études supérieures. Mais nous nous parlions tous les jours, tous le temps, et nous voyions les weekends. On attendait avec impatience cet été (qui commençait aujourd'hui, date de nos retrouvailles), pour lequel on avait beaucoup de projets, nous avions hâte de nous retrouver enfin et de passer tout notre temps ensemble après avoir été séparées toute l'année. On s'écrivait beaucoup de lettres, on s'envoyait des musiques, on allait beaucoup au cinéma et au théâtre ensemble, nous étions deux passionnées aux goûts atypiques pour notre âge, et j'ai toujours trouvé cela miraculeux que nos routes se soient croisées. Nous avions un journal intime commun, que l'on se passait une semaine sur deux et dans lequel on s'écrivait des mots divins. Elle est mon idéal, je l'ai toujours trouvée parfaite, belle, brillante, la même façon de voir le monde. Elle était faite pour moi. J'ai l'impression qu'elle a imprégné les traits de cette personne avec laquelle j'aurai aimé passer le reste de ma vie, et qu'elle est irremplaçable.
Voilà pour que vous compreniez grossièrement le lien qui nous lie. Seulement, il y a trois semaines, je reçois un appel qui m'annonce sa mort d'une rupture d'anévrisme. La nouvelle, vous l'aurez compris, était des plus surprenantes et brutales. Je n'y crois toujours pas vraiment. Elle était mon futur, nous avions tant de projets, elle était tout pour moi et elle est morte. La personne que j'aime le plus au monde, que j'aime comme je n'ai jamais aimé personne, avec le charme rebelle de cet âge de la jeunesse, est partie. C'est tout mon monde qui s'est écroulé.
Maintenant je me trouve dans une solitude extrême, d'autant que ce que je vous dis, je ne peux pas en parler à grand monde, personne ne sait vraiment que je l'aimais plus que comme ma meilleure amie. Ce qui donne cette impression que la souffrance que je traverse dans ce deuil est totalement inconnue, que tout le monde croit que c'est un événement qui me rend triste mais simplement triste alors que je suis détruite.
 Il me reste sur les bras des tonnes de questions auxquelles j'aurai aimé qu'on réponde ensemble. Il me reste tous ces souvenirs. Il me reste la colère que ce soit elle qui soit partie, alors que nous avions une relation si rare, qu'elle était si rare elle aussi. Il me reste cette tristesse infinie pour elle, elle était brillante, elle aurait été utile au monde, elle aurait fait des choses merveilleuses, et elle avait une soif de vivre inégalée. Je souffre pour elle, car je vois des choses qu'elle aurait voulu faire et qu'elle ne fera pas. Ce qui me fait souffrir également, c'est de continuer à voir de belles choses et de ne pas pouvoir les partager avec elle, alors que c'est tout ce qui me rendait heureuse désormais, car je vivais pour elle. Il me reste aussi tant de regrets, des choses que je ne lui ai pas dites, des choses que je n'ai pas faites. Je regrette par exemple le fait que les derniers messages que l'on se soit échangés aient été la veille de sa mort des messages de dispute. Et puis tous ces souvenirs, son fantôme partout, et TOUT qui me fait penser à elle. Ma ville entière est peuplée de souvenirs, chaque rue, chaque café, ma maison, ma chambre. Et toutes les nuits je rêve d'elle, et cela me fait souffrir atrocement. Comment vivre avec tout cela ?

J'ai des peurs également, et des questions à vous poser, j'aimerai savoir votre avis sur ces points. Elle me manque comme ce n'est pas imaginable, elle était la seule personne qui comptait pour moi, à tel point que ces temps ci je déteste absolument tout le monde. J'ai 18 ans, et j'ai peur que cela ne passe pas, que je continue de trouver tout le monde fade à côté d'elle, d'être amoureuse d'elle toute ma vie et de ne plus jamais pouvoir aimer personne. Et d'un côté, je le voudrais, car il m'est terrible de penser qu'un jour je pourrais être heureuse de nouveau, car sans elle, je n'ai plus envie de vivre. Mais d'un autre côté, je me dis que je n'ai que 18 ans, que je risque de vivre longtemps encore, et que ce gouffre dans ma poitrine ne peut pas faire que je sacrifie le reste de ma vie. Que pensez vous de cela ? Croyiez vous que je pourrais réussir à avoir une vie sentimentale, à aimer quelqu'un d'autre, tout en sachant que j'aimerai surement F toute ma vie ? C'est une peur que j'ai, et que je trouve égoïste, car c'est penser à l'avenir, à moi. Pourtant elle me vient, indéniablement. Et de façon plus générale, comment survivre à cette solitude extrême ? A cet été qui chaque jour, à chaque date, sera un événement que nous n'aurons pas le temps de vivre ensemble ? A son anniversaire, celui de ses 17 ans, qui approchent et qu'elle ne fêtera pas ?

Merci pour votre aide, vos commentaires, j'en ai besoin ...
Courage à tous,

T

Bonjour Mlle,

Ton témoignage m'a beaucoup touché, tu dégages une telle maturité dans tes mots pour une jeune personne de 18 ans. J'ai moi aussi perdu une personne à ton age et j'aurais aimé avoir autant de vérité et de beauté dans mes mots que tu n'en as dans les tiens. Tu écris tellement bien à propos de ta relation si belle et forte avec ton amie. Tu sais le temps du deuil est très long, tu en es au tout début, il est normal que tu te poses ces questions "comment vivre sans cette personne avec qui tu es si fusionnelle". Cette question est normale et comme le disent Qiguan et miss Suzan n'hésite pas à écrire comme tu le fais si bien, à parler aussi, avec des personnes de confiance, parler de ta relation, de l'explorer, d'en faire le tour, de mettre des mots sur ce que tu ressens. Même si c'est très abstrait pour toi aujourd'hui je suis sûr que tu vas cheminer dans ton deuil car tu es très mature et d'une grande sensibilité. Enfin la culpabilité, elle est présente dans toute perte et c'est bien dommage que vos derniers échanges aient étés un peu houleux mais pour autant ils ne résument pas du tout votre relation qui semble très belle, je suis sûr qu'au fond tu le sais. C'est un chemin long et sinueux que tu arpentes à un très jeune age, mais je suis certain que progressivement tous tes souvenirs encore douloureux aujourd'hui prendront progressivement une teinte plus douce.
Prend grand soin de toi Mlle et continue comme tu le fais si bien de mettre des mots sur tes émotions, je pense que c'est ce qui t'aidera le plus pour avancer sur ton chemin de deuil.

Chaleureusement,

Yacine