Bonjour à tous,
Je suis venu quelques temps sur ce forum, dans la phase sombre de mon deuil, pour y trouver refuge, tenter d'y trouver des réponses ou des témoignages proches du mien, pour ne pas me sentir seul.
Et puis le rythme de la "vie" courante m'a emporté.
Et surtout aussi, à un moment, j'ai vécu ces lectures de témoignages de deuil comme un miroir, qui, d'une certaine façon, contribuait à colorier en noir mes émotions. Un peu comme si on se renvoyait nos peines, nos souffrances, et que finalement on ne baigne que là dedans, c'était trop pour moi.
J'ai perdu ma femme il y a bientôt 2 ans, elle a brutalement fait un AVC un samedi matin de Septembre ensoleillé. Je me rappelle encore que je trouvais presque déplacé le fait qu'il fasse aussi beau pour un jour pareil.
S'en sont suivies 2 semaines et demi de coma sans espoir qui ont conduit à son décès.
2 semaines et demi d'angoisse et de faux espoirs, tous anéantis à chaque visite suivante.
2 semaines et demi à ne plus manger ni dormir.
2 semaines et demi les plus sombres de ma vie, où la réalité laisse place au cauchemar, et où justement on n'a l'impression de ne plus être soi-même, l'impression d'être un personnage de ce cauchemar.
Avec ma femme, nous nous sommes rencontrés alors que nous avions 17 ans et nous avons vécu 19 ans ensemble.
Une relation fusionnelle, complice, équilibrée, heureuse.
Elle était mon amie, ma confidente, mon amante, ma femme, ma moitié au sens littéral du terme.
On se complétait vraiment (peut-être que j'idéalise sous l'effet du deuil).
Néanmoins aujourd'hui, j'ai perdu ma moitié, et le sentiment que j'ai, c'est d'être "handicapé", même si je ne sais pas vraiment ce que c'est que d'être handicapé, c'est l'image qui me vient en tête à présent.
Nous avons eu 2 beaux enfants, qui ont vu s'en aller leur maman. Mon fils, 7 ans à l'époque, et ma fille, à peine 1 an à l'époque.
Leur réaction face à la mort de leur maman a été très différente forcément, avec des répercussions différentes également ensuite, qui m'ont torturé et ont ajouté à ma souffrance, et me torturent encore sous d'autres formes qui évoluent avec le temps.
Après ces 2 années, je regarde en arrière et je voulais partager avec vous les différents ressentis, les différents épisodes et pensées qui m'ont traversé l'esprit.
Au tout début, je me rappelle d'un tourbillon d'émotions violentes en moi, dévastateur.
Je me rappelle aussi de ce sentiment de rêve, comme si ce n'était pas vraiment moi.
Je me souviens de l'anéantissement brutal de cette vie passée, en un clin d'oeil, au moment de la prise de conscience de la gravité de la situation quand, d'une part, un hélicoptère a emmené ma femme à Paris en service d'urgences neurologiques, et quand plus tard dans la journée, le docteur m'a laissé comprendre que les espoirs étaient quasi nuls.
J'ai vu ma vie s’effondrer, impuissant.
A ce tourbillon infernal, s'est ajouté la peine de mon fils, à qui j'ai dû annoncer la mort de sa maman. Ma fille trop petite ne comprenait pas les paroles, mais ces appels au pied de l'escalier pour dire "maman", "maman" me déchiraient le coeur encore plus.
Je me rappelle aussi avoir été traversé par des émotions telles que l'angoisse et la peur. Mes repères ayant volé en éclat, je me demandais ce que nous allions devenir, comment on allait s'en sortir, comment mes enfants allaient évoluer, est-ce que je serai à la hauteur, etc.
J'ai donc dû mettre de côté ma peine pour épauler mes enfants, pour organiser les obsèques, gérer un break avec mon travail, m'occuper des formalités diverses. Heureusement, le contexte quotidien n'a pas été une source d'ennuis supplémentaires, ni les relations avec mon entourage ou ma belle-famille, comme j'ai pu le lire ici. Je n'ai pas eu à me séparer de ma maison, ou à gérer des tensions avec ma belle-famille.
J'avais un travail dans une grosse SSII, un poste de manager, des horaires de travail à rallonge, je pratiquais également beaucoup de sport et donc ma femme assurait l'essentiel des tâches à la maison, et auprès des enfants.
Et donc, pour pouvoir mieux m'occuper des enfants, j'ai dû changer de travail et d'employeur, j'ai dû arrêter le sport intensif, et reprendre donc le flambeau à la maison.
Cela a contribué aussi à ce sentiment d'anéantissement, face à ce revirement forcé.
Elle qui souvent me sermonnait sur mon manque de participation à la maison, je me souviens avoir souri intérieurement en me disant que de là où elle est, elle devait aussi se marrer à me voir m'activer à la maison désormais.
Je ne suis ni fou, ni suicidaire, mais face à l'intensité extrême de la douleur qui m'a traversé, ayant perdu ma raison de vivre, ma moitié, j'ai un temps pensé à disparaître et emporter nos enfants avec moi de l'autre côté, pour la retrouver.
Bien sûr, je ne l'ai jamais fait.
A cette période, je me rappelle que mon fils me questionnait sur l'existence de Dieu, sur ses capacités à lui rendre sa maman.
Je me rappelle qu'il voulait qu'on la ramène à la maison, même morte. Qu'on aille ouvrir la tombe, le cercueil et qu'on la ramène.
Déchirement supplémentaire pour moi. Comment consoler ce petit garçon, moi qui déjà suis inconsolable.
Etant athée, j'ai eu beaucoup de mal à être clair sur l'existence ou non de Dieu, et je ne voulais pas non plus lui livrer ma vision de la vie après la mort, puisque je n'y crois pas non plus.
Je n'ai pas éprouvé le besoin de consulter un psy, j'ai tout de même essayé avec celui de l'hopital, sans que cela m'apporte réellement.
En revanche, pour mon fils, j'ai demandé un accompagnement qui a duré 1 an, car je sentais que je n'avais ni la force, ni les armes pour l'aider.
Ma fille étant nourrisson encore à l'époque, je me suis occupé d'elle, à me lever toutes les nuits pour calmer ses pleurs.
Ces nuits déjà courtes, fragmentées encore plus par les réveils de ma fille, ont fini de m'épuiser, et la fatigue a amplifié mes phases de passages à vide.
Passée une grosse période de 6 mois, toujours dans cette espèce de nuage de coton, de brouillard, où l'impression de rêve permanent subsiste, j'ai alors eu des phases récurrentes de passage à vide. Un matin on se lève, on ne sait pas pourquoi, ça ne va pas.
Ca dure 1 journée, 2, 3 ou plus puis ça s'estompe. Une semaine après ça revient et ainsi de suite. Et puis avec le temps cela s'espace.
Tout comme le soutien et la présence des proches d'ailleurs. Tous très présents, ils ont fini par reprendre le cours de leur vie.
Il faut dire que l'envie de quoi que ce soit m'ayant abandonné, je refusais toute proposition de diner, soirée, etc. On se désociabilise peu à peu et on se replie sur soi.
J'ai vu ma vie devenir "mécanique", réglée par les impératifs liés à mes enfants : se lever, les faire déjeuner, aller à l'école, aller bosser, faire les courses, s'occuper du linge, faire à manger, les coucher, etc.
Rien de bien différent d'une vie de famille "classique" mais sans la saveur de la vie, ça m'est apparu comme "mécanique", il faut le faire parce qu'il faut.
Pour revenir sur l'impression de "rêve", ça a joué pour beaucoup sur mon comportement, et cela m'a conduit à tomber dans les bras de la première venue. Un peu plus de 2 mois après le décès de ma femme, j'ai fait la connaissance d'une femme dans mon milieu professionnel. Dans un état désinhibé, je me suis laissé porter par cette situation, et 2 semaines après nous avons fini au lit.
Je ne sais pas ce qu'il m'a pris, mais je comprends aujourd'hui que c'était une solution pour m'évader.
A peine la nuit passée avec elle, je me suis tout à coup senti mal. J'ai pleuré au réveil, pleuré toute la journée. J'étais effondré, honteux, encore plus torturé qu'avant.
J'ai cherché du réconfort et ce sont des femmes de mon entourage qui m'ont soutenu, qui ont été compréhensives, vis-à-vis de moi, l'espèce de traître qui avait bafoué cet amour, pour satisfaire une pulsion.
Comme cela semblait coller, j'ai entretenu cette relation avec cette femme, mais à quel prix...
18 mois passés avec elle, à "mi-temps", tant sur le plan émotionnel que sur le temps réel, puisque nous ne vivions pas ensemble, on se voyait les week-end et les vacances et 1 soir en semaine.
Et que de difficultés tant pour elle que pour moi. Elle qui attendait tant de moi et moi aussi à mon tour.
Au final, on ne se correspondait pas, et malgré tout nous avons entretenu la relation tout ce temps, peut-être pour se convaincre qu'on pouvait y arriver.
Nous y avons péniblement mis un terme, en nous déchirant et avec le recul, je m'aperçois que cette relation a mis en pause mon deuil, qui a repris une fois la rupture consommée. D'ailleurs la rupture m'a renvoyé directement à la mort de ma femme.
Cette relation a été, en plus, source de souffrances supplémentaires et d'inquiétudes. Comment mes enfants allaient-ils le vivre ? Certaines personnes de mon entourage m'ont vivement réprimandé, m'accusant presque d'adultère, ne voulant pas voir ma compagne du moment. Je le vivais quasiment comme une relation qu'on doit cacher, comme un adultère.
J'étais pris entre le marteau et l'enclume, car ma compagne du moment a très mal vécu cette situation.
Ma belle mère a fondu en larmes quand je lui ai annoncé ma liaison.
Et pour moi, cette situation compliquée était source de tellement de tourments supplémentaires, dont je n'avais pas besoin, que j'ai préféré y mettre un terme.
2 ans pratiquement après avoir perdu ma femme, je ne peux pas dire que je vais bien.
J'ai stabilisé mon univers et celui des enfants. J'ai pris mon rythme dans cette nouvelle configuration familiale de papa solo.
Néanmoins, ma femme me manque énormément. J'aimerais lui montrer tout ce que j'ai accompli, qu'elle soit fière de moi.
Qu'elle soit fière de nos enfants qui ont bien grandi depuis.
J'aimerais l'entendre respirer à côté de moi dans ce grand lit vide.
J'aimerais l'entendre m'engueuler parce que j'ai laissé trainer ceci ou cela.
J'aimerais qu'elle me tienne la main, sur le levier de vitesse en voiture.
J'aimerais qu'on me la rende.
Sur l'autoroute de la vie, j'ai eu un accident.
Je me suis arrêté à la borne sos et on est venu me dépanner un peu.
Aujourd'hui je suis reparti, au ralenti, sur la route du deuil, et il me reste du chemin.