bonjour Catyam,
je suis dans la même situation que toi, aujourd'hui. Ça fait pile deux mois, le 12 juin, qu'Isabelle est partie. Suis vidé, même les larmes ne viennent pas. Et la constatation de voir ceux qu'on aime absents fait mal... Aurais-je eu le courage, l'envie, de leur parler ce jour précis ? Pas sûr...
Comme le dis Yohann, je suis certain que ce n'est pas de l'égoïsme (du moins, je ne vois pas ça comme ça dans mon cas), mais plutôt une incompréhension, et une peur aussi, un tabou réel qui touche au dernier tabou restant, à notre époque, celui de la mort. Ils sont désemparés, ne comprennent pas notre chagrin, mais tu comprendra que celui ci est difficilement envisageable, face à la violence de ce que nous vivons. Ils ne sont pas préparés à donner un réel soutien. Leurs réactions ne partent pas d'un mauvais sentiment, mais plutôt d'un manque de moyens pour réellement nous soutenir dans ces moments. Comment pourraient ils imaginer que les "faut refaire ta vie" et autres "faut tourner la page" tombent si mal dans nos oreilles ? Pour ma part, ces amis qui m'entourent ont bien été présents lors de la maladie d'Isa, mais, pour la plupart, ils étaient désarmés face à une situation qu'ils ne comprennaient pas, qu'ils n'acceptaient pas.
Eux aussi, à leur façon, traversent leur propre épreuve du deuil. Pas aussi fortement que nous, mais eux ont perdu une personne qu'ils aimaient, peuvent s'en vouloir de ne pas avoir été suffisament présents et chercher, par des gestes, des mots, envers nous qui restons et souffrons, de façon plus ou moins visible, de cette disparition, une manière de se racheter vis à vis d'eux même. La maladresse nous fait souvent mal, c'est vrai, mais ce n'est pas de l'égoïsme pur, volontaire (même si dans le deuil tu as d'une certaine façon une forme d'égoïsme...), mais bel et bien une impuissance à nous porter ce que nous attendons. Ils voudraient nous aider mais pensent que nous ne souhaitons, ne devons, pas parler de l'absence, alors que c'est justement ce qui nous soulage le plus... Tiens, quelle est la première phrase qu'ils nous disent tous ? "comment vas tu ?", comme si nous pouvions aller bien... Pour ma part je répond que ça va alors que j'ai systématiquement envie d'hurler ma douleur... Pour préserver, pour ne pas montrer, pour rassurer.
De plus, le recul que nous adoptons tous, que ce soit pour préserver les autres, ou pour "cacher" notre souffrance, les mets en confiance, les rassure, les conforte dans l'idée que le deuil n'est qu'un moment dans une société ou le temps est compté, il est difficile pour eux de comprendre que ce temps est impossible à quantifier, notre société ne préparant pas à ça. Ils s'éloignent, mais sont persuadés avoir joué leur rôle... Dans notre société, tout doit être quantifié question temps, et comprendre que le deuil est inquantifiable est contraire aux pratiques habituelles de notre monde. Le soutien est systématiquement, et pour nous tous, une question de temps avant de voir ce soutien doucement disparaitre et les relations retrouver un rythme normalisé, parce que le temps est passé, et que ce temps devrait nous avoir permis de réduire la souffrance alors que nous constatons tous au contraire que ce temps ne fait qu'éxacerber cette souffrance, ce qui est totalement contraire à ce qu'on nous enseigne... Comment, dès lors, s'étonner de ce que nous constatons tous : un recul du soutien que nous prenons tous pour un désinteressement, mais qui n'est en fait qu'une étape normale.
Ça, tu le retrouve dans les vidéos du site, dans différentes lectures aussi (je ne saurais que trop conseiller la lecture de "Faut-il faire son deuil" de Pascal Dreyer qui étudie non seulement le point de vue des proches, parents, conjoints, mais aussi des amis, du personnel soignant et de tous ceux qui, de près ou de loin, ont une partie du deuil à partager. L'étude sociologique de cet ouvrage est interessant, surtout face à cette vision du deuil qu'ont les proches amis, point que tu soulève ici).
Patrice