Bonsoir à vous toutes et tous qui partagez la même douleur que moi.
Nous avons tout partagé pendant 37 ans et puis, il y a 14 mois, elle est partie à 59 ans seulement, après une lutte courageuse et acharnée contre le cancer du sein. Pendant les derniers mois, abominables, elle a fait face avec lucidité à l'échéance inexorable et à la déchéance physique. Je l'ai accompagnée depuis le début et jusqu'aux derniers instants, à la maison, du mieux que j'ai pu.
Nous avons souffert ensemble. Et tout à coup, plus rien, le vide, que même enfants, petits-enfants, amis, ne peuvent pas combler malgré leur attention.
Il m'arrive d'écrire mes sentiments, pour me soulager; de lui écrire des petits mots, comme celui-ci qui n'est empreint ni de misanthropie ni de jalousie, mais juste d'amour et d'un immense sentiment d'injustice.
Seuls vous, qui avez vécu ce que j'ai vécu et que je vis, pourrez peut-être comprendre le sens de ces mots :
"Ma Michelle, hier soir, je suis allé à la fête qu’organisaient M. et B. pour leurs cinquante ans.
Une très belle soirée, sous une tente dressée dans le jardin, avec un excellent buffet, un orchestre remarquable et des chansons des années soixante. Une soirée que tu aurais adorée mais qui, pour moi, fut un abominable calvaire : voir tous ces couples, dont beaucoup connus, voire amis, parler, rire, manger, boire, danser, s’amuser, vivre, m’est insupportable. Plusieurs fois j’ai retenu mes larmes en regardant ces silhouettes, parfois enlacées sur la piste de danse ou en écoutant un air de notre jeunesse ou une chanson des Beatles ; heureusement, « Michelle » m’a été épargnée. Je pensais à toi, absente à mes côtés, toi qui avais toujours dix-neuf ans dans ta tête, comme tu aimais à le proclamer ; tu aurais été heureuse d’être là.
Et que dire dans la conversation : parler des projets que je n’ai pas, des vacances que je n’envisage pas, de l’avenir qui n’existe pas. Quant à évoquer mon chagrin, ma peine, ma solitude, à parler de toi, inutile de mettre les gens, venus ici pour s’amuser et se distraire, mal à l’aise, voire pire, les ennuyer. Les grandes douleurs sont muettes ; impossible donc, dans ces circonstances, de mettre des mots sur la mienne qui est immense. Alors il faut se taire, faire semblant de participer, d’être là quand on voudrait tellement être ailleurs, être nulle part et finalement s’enfuir, discrètement, quand l’occasion s’en présente.
Seul quelqu’un qui s’est trouvé dans ma situation peut comprendre ce que j’éprouve. Tout cela me semble tellement injuste.
Dans deux semaines je suis invité , aux soixante ans de M. Impossible de refuser ce que, ceux qui m’invitent, croient m’apporter ; ils ne peuvent pas comprendre. Il va falloir encore subir. J’ai hâte que la saison des anniversaires se termine."