Quand je lis les commentaires à mes messages, venant de personnes dont le deuil est plus récent que mien, je ne peux m'empêcher de revivre cette période terrible des premiers mois, de la 1ère année et au-delà, et rétrospectivement de ressentir à nouveau le grand mal-être de cette période. Je comprends leur désarroi et leur désespoir.
Personne n'est préparé au deuil d'un très proche, pas plus que nous ne serions préparés à nous retrouver dans la violence , le bruit et la fureur d'un champ de bataille.
Les mois , les trimestres qui suivent le décès d'un conjoint aimé, ou d'un enfant, sont des temps de très grande souffrance, d'une tristesse sans fond, de révolte et de désespoir. On semble plonger sans fin toujours plus bas, tous nos repères et notre mode de vie ont volé en éclat, et on ne sait absolument plus où l'on va. Rien ne nous a préparé à cela, et il est très difficile de se situer, de comprendre l'évolution de notre état psychologique, d'identifier éventuellement des actions ou décisions à prendre.
Que m'arrive-t-il ? Vais-je "normalement " mal ? Est-ce normal de n'avoir de goût à rien ? de se sentir désespéré, sans énergie ni envie ? Est-ce normal de faire des rechutes ?
Autant de questions qui nous assaillent parce que nous sommes dans une situation inédite pour nous, avec une violence des sentiments que nous n'avions jamais connue auparavant.
Ce que je voudrais dire ici, c'est que j'ai trouvé très utile de comprendre le fonctionnement du deuil. J'ai lu très vite le livre du Dr Fauré, en particulier celui sur le suicide d'un proche, plus ramassé, et puis je suis venu sur ce forum lire les témoignages d'autres endeuillés.
J'ai pu ainsi peu à peu prendre conscience de mon état , prendre un peu de recul sur mes émotions, et cela m'a aidé à trouver de la patience, à accepter d'aller mal, voire très, très mal.
Je ne vois pas d'autre voie que celle de la patience et de la résilience, du soutien des personnes avec lesquelles on se sent le plus proche, pour traverser ce long tunnel sinistre et glacial. Chacun doit chercher ce qui pourra lui donner un peu de force pour continuer, et se donner le temps de pouvoir aller mieux un jour. C'est long, c'est douloureux, comme une interminable convalescence.
Y a t-il une guérison complète un jour ? Je ne sais pas répondre, j'aurais tendance aujourd'hui à dire que probablement pas. Pour la plupart d'entre nous, cela restera une blessure intérieure, une tristesse et une nostalgie dont nous ne parviendrons jamais à nous défaire.
Je ne sais pas si on peut aller bien un jour après un drame pareil, mais on peut aller mieux. Si l'on conserve une raison de vivre, des enfants, de bons amis, une passion, une activité collective, si l'on s'en retrouve une, on peut même reprendre le cours de sa vie. Aller bien, je ne sais pas, personnellement je n'y crois pas encore, mais aller mieux oui c'est possible avec le temps. C'est très triste à dire, mais le temps finit effectivement par atténuer les souvenirs anciens et nous en créer de nouveaux. C'est douloureux parce que l'on a l'impression de perdre une deuxième fois celui ou celle qui n'est plus là. Mais c'est nécessaire pour parvenir à aller mieux,
Ce que je veux dire ici, c'est donc qu'il est normal d'aller très mal, de ne pas sentir d'issue, de se sentir totalement perdu, d'avoir l'impression de ne jamais pouvoir s'en sortir, de rechuter constamment. Il faut tenir, accepter la patience, s'accrocher à tout ce qui peut nous aider, ne pas perdre l'espoir, ne pas non plus se laisser aller, parce qu'une amélioration est possible, et que l'on peut reprendre le cours d'une vie.
Récemment, on m'a demandé, et cela venait sûrement d'une bonne intention, si je parvenais à penser à ma femme décédée avec apaisement, ou même si le fait de penser à elle me faisait du bien. J'ai répondu brutalement que non. Je pense bien sûr à elle constamment, mais toujours avec tristesse et nostalgie, et franchement je n'attends pas à une amélioration sur ce plan là.
Mais j'ai repris le cours d'une vie qui n'est certes plus la même , mais je vais incontestablement mieux. Je parviens parfois à passer de bons moments, j'ai mes enfants, je suis bien entouré pa ma famille et mes amis, et j'ai des activités qui m'apportent beaucoup.
Je sais bien que pendant toute la phase la plus critique, on ne perçoit aucune lueur d'espoir, que c'est désespérant, que les témoignages de ceux qui vont mieux paraissent irréels, inatteignables. C'est pourtant possible d'aller mieux. J'espère que ceux qui liront ces lignes y verront une raison de se maintenir à flot, de trouver ,en eux et dans leur entourage, la patience et la résistance pour tenir dans la durée, et attendre ce moment où progressivement ils réaliseront qu'ils commencent à aller moins mal.