Oui Frederico, bien sûr ! Ils se sont forcément trouvés, je le sais, je le sens.
Dotés de la même sensibilité, de la même droiture et honnêteté, de la même intelligence, ils étaient faits pour se rencontrer.
La même « fracture « aussi sans doute, celle qui fait se reconnaître en l'autre, et fait naitre tant d'empathie.
Et T, puisqu'il ne peut plus s'occuper de moi, me protéger, est devenu le grand ami et protecteur de Raphaël, et ils passent de longs moments à parler, disséquer le monde, rire aussi de l'humour décalé de Nasr Eddin, avec la tranquillité, la sagesse et l'apaisement de ceux qui savent.
Raphaël ne sera plus jamais seul , je te l'assure, l'amour de T est immense, et il va entourer ton fils, lui qui aurait tant aimé en avoir un.
Je suis heureuse moi aussi de penser cela.
Je te remercie de me demander de mes nouvelles. Je tente de construire cette nouvelle vie, cette "vie d'après" comme j'ai lu ici, une expression très juste.
Beaucoup de nouveautés en cette rentrée car on m'a proposé tout récemment, encore un nouveau poste, celui que je souhaitais avoir depuis longtemps, et que bien sûr j'ai accepté.
Il aurait été tellement content pour moi, fou de joie !
Alors gros investissement pour cette mise en place, mais moi qu'on avait déclarée inapte à travailler, à avoir des fonctions à responsabilités, tellement anéantie après la mort de mon mari, je prends ma revanche, je me bats, je prouve que l'on peut compter sur moi, et cela porte ses fruits.
Dérisoire victoire peut être, mais victoire, et je redeviens celle qu'il a aimée, soutenue, forte, investie, digne de confiance. Je fais cela autant pour lui que pour moi, il est là, dans mon coeur, auprès de moi, il m'aide et me soutient.
Il y a juste un an se déclarait sa maladie, celle qui allait le précipiter dans une terrible déchéance physique et psychique vers la mort quelques mois après, le 12 février.
Il y a un an la détresse, la peur, la révolte dans son regard, de savoir qu'il n'en avait plus que pour quelques mois, et qu'il allait souffrir, avec cette seule consolation, la promesse des médecins que le moment venu, lorsque les souffrances seraient devenues insoutenables, une solution existait, et qu'elle serait appliquée.
Il y a un an, et pour moi maintenant vient le défilé des dates, il y a un an tel traitement, il y a un an telle dégradation physique, jusqu'à il y a un an le dernier souffle, libérateur, libérateur pour lui de tant de souffrances et pour moi de la douleur d'y assister.
Pourtant cette délivrance pour moi ne se fait toujours pas, je suis toujours, 7 mois plus tard, terrassée par le souvenir de sa souffrance, de sa désespérance, de mon impuissance.
Et puis il me manque, chaque jour un peu plus, je ne peux toujours pas imaginer ma vie sans lui.
Je voulais vieillir avec lui, je voulais qu'il vieillisse avec moi, je voulais voir ses rides se creuser, ses cheveux blanchir de plus en plus, son dos se courber par le poids des ans. Je voulais assister à ces petits maux, ces petites douleurs, ces petites raideurs qui accompagnent le fil des années. Je voulais m'occuper de lui, le soigner, le disputer aussi un peu quand il allait se plaindre un peu trop, et voir dans son regard pour moi, jours après jours, l'amour, la tendresse , la reconnaissance, la sécurité, le bonheur d'aimer et de se sentir aimé, accompagné.
Je ne connaitrait pas cela, je n'aurait connu que la brutalité d'une terrible fin de vie, pendant laquelle je n'étais moi même sans doute plus capable de l'aider autant que je l'aurais voulu.
Voilà où j'en suis, et pourtant j'ai choisi la vie, j'ai décidé de continuer, de me battre. Je sais au fond de moi que la vie va me réserver encore de belles choses, il faut seulement que je sois assez disponible pour les voir et les apprécier.
Je sais qu'il va m'aider à m'ouvrir à ces nouvelles joies, à surmonter les obstacles et mes peines, parce qu'il y en aura.
Je sais qu'il est en moi, que je l'aime, que je l'aimerai toujours, je le lui dit tous les jours.
J'embrasse tous ceux qui passent par ici, je vous souhaite à tous une douce journée.
Nora