Mes amis,
Même si vos nombreux messages de soutien et de tendresse me vont droit au cœur, jusqu’à me faire verser ces larmes qui restent encore si présentes, j’ai un peu honte de m’être laissée aller ainsi à étendre ma vie, qui n’est pas un enfer, loin s’en faut et me plaindre.
La balance a pratiquement toujours pesée du bon coté pour moi et la chance semblait ma compagne, fidèle. Cela m’a toujours paru un peu injuste, d’ailleurs. Mon tempérament faisait que souvent, je me forçais à remettre les pieds sur terre : attention, il y aura forcement un moment où cela va s’arrêter. D’où mon envie sans cesse de tenter d’aider ceux, moins heureux que moi. Et je dois avouer que parfois, porter la souffrance d’autrui est aussi lourd que de porter la sienne.
Mais, contrairement à l’adage, le bonheur ne rend pas égoïste, il peut rendre inquiet et généreux… Enfin, égoïste, si, car mon bonheur ne peut être parfait si je vois la douleur et la peine autour de moi.
Je me souviens d’un départ en vacances avec Pierre. Le merveilleux moment de la route vers le soleil, les bagages faits, les envies de, les projets, la vie devant nous… A quelques kilomètres, en traversant une ville, une mamie, toute vieille, toute tordue, avec une méchante canne faite d’un vilain bâton, un affreux cabas rafistolé au bras et qui, péniblement, pas à pas, traversait la rue. Le silence est lourdement tombé dans l’auto. Pierre, comme moi, avons ressenti les blessures de cette vieille dame, au plus profond de nous.
Non, ma vie n’est pas un enfer. Du moins, mon quotidien. Dans ma tête…
J’ai surmonté ma stérilité grâce, une fois encore, à Pierre. Je l’ai acceptée, à force de me dire que je ne pouvais pas tout avoir. Et puis, j’en ai fait une force, en en parlant librement, un rien provocatrice. Et un jour, j’ai reçu un courrier d’une relation de bureau. Elle m’annonçait qu’elle attendait un bébé… grâce à moi ! Non, je n’étais pas le père ! J’avais simplement, parait-il débloqué un verrou psychologique chez elle, elle, dont les sœurs avaient eu de nombreux enfants, terrorisée de ne pas pouvoir assurer une descendance à un mari en attente, considérait sa stérilité comme une maladie honteuse. Je l’avais, me disait-elle, décomplexée. Alors, cet enfant, je l’ai eu, par procuration !
La relation parents-enfants n’est en effet pas simple, même lorsqu’il y a beaucoup d’amour. Sans aucun doute le fossé des générations, la notre, plus libre et spontanée, la leur a qui on a appris à « encaisser » et à se taire. La notre qui attend, espère, et se désespère, la leur qui rumine en silence et ne laisse rien voir… La notre qui hurle sa souffrance, la leur tellement enfermée dans le silence.
La maladie et le départ de Pierre, c’est la pire chose qui pouvait nous arriver. Je me doutais bien qu’un jour, la vie se compliquerait et que le rose virerait au gris. Mais pas çà. Comme pour chacun de vous, c’est l’épreuve ultime.
Mais pour ceux qui mettent de l’espoir dans le temps qui passe, je veux dire que oui, le temps et ce que nous en faisons, est un sérieux allié. Comme le dis si bien Yohann, le temps seul ne peut rien. Regarder les aiguilles tourner et les jours passer ne suffit pas. Vivre le chagrin et la douleur, s’y vautrer parfois, se houspiller ensuite, se cacher du monde pour mieux l’affronter ensuite, se ratatiner dans un fauteuil avant d’aller tondre, débroussailler ou rentrer du bois. Et peu à peu faire seul(e) ce que nous faisions ensemble… Oui, je peux dire que si on veut y arriver, c’est possible. C’est une lutte au quotidien. Et peu à peu, les doux souvenirs remontent du fond de l’abime, et viennent nous aider et nous porter.
Infiniment merci à vous tous.
Je vous sers dans mes bras, bien fort.
Marina