Auteur Sujet: Nos espoirs  (Lu 26717 fois)

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Hors ligne Yevanna

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Nos espoirs
« le: 19 juin 2017 à 16:55:24 »
Bonjour,

Je vous écris aujourd'hui dans l'espoir que les mots allègent un peu mon fardeau. Je pensais être seule au monde, et en lisant vos témoignages, je m'aperçois que si nos histoires sont toutes différentes, la douleur est, elle, tristement banale.

J'ai rencontré mon âme il y a environ 5 ans. Nous étions tous deux passionnés de jeux vidéos, et c'est naturellement que nous nous sommes croisés "en ligne". Nous sommes très vite devenus fusionnels, et j'ai tout quitté en quelques semaines pour le rejoindre dans sa région d'enfance et démarrer notre histoire. Une histoire magnifique dans laquelle j'étais son premier amour, et lui le mien. Tout était parfait, nous nous étions intégré parfaitement à la vie d'un petit village paisible, j'ai trouvé du travail sans trop de difficulté et notre vie à deux était jalonnée de rires et de douceur. La seule ombre au tableau avait un triste nom : la mucoviscidose.

Si les deux premières années ont été bucoliques, les deux suivantes ont été marquées par une longue descente aux enfers. La maladie est devenue plus agressive, les traitements plus lourds, mais notre attachement plus fort que jamais. Nous n'envisagions à aucun moment cette issue fatale. Certains appelleront cela de la naïveté, d'autres de l'espoir, nous nous contentions juste de nous aimer.

Au mois de décembre dernier, tout est devenu plus sombre. Son état s'étant beaucoup trop aggravé, il a du être hospitalisé d'urgence. La seule solution envisageable pour le sauver était la greffe. Affaibli comme il l'était, l'opération s"avérait trop dangereuse, il s'est donc battu pour regagner tellement de poids et de souffle que les médecins en ont été impressionnés. Ils étaient tellement confiants qu'ils nous ont encouragé dans nos projets, nous avions effectué des prélèvements pour concevoir un enfant juste après cette greffe, nous consultions les annonces pour l'achat de notre maison. Et comble de chance, il a été appelé 24h après avoir été mis sur lite d'attente, un parcours idéal... Sauf qu'au bout d'une attente interminable, un médecin est venu m'annonce qu'il ne se réveillerait pas. Mon ange s'est encore battu une semaine dans le coma, avant que la maladie ne l'emporte, avec tous nos espoirs et nos projets, le 9 juin, un mois avant notre mariage.

Et depuis je suis seule au monde. Notre maison, ce petit paradis, se vide jour après jour à mesure que nous évacuons ce qui doit l'être, et se remplit de son absence. Je ne sais plus ce que je dois faire pour atténuer cette douleur qui m'empêche de respirer. On me dit de laisser faire le temps, je comprends donc que je suis supposée attendre et subir. C'est inhumain. Je ne sais plus quoi faire de mon temps, que nous occupions à deux sans cesse, ni de tout cet espace vide. Ma belle-famille cultive le souvenir, mais chacun d'entre eux est un coup de poignard. Et si seulement ils étaient mortels... Mais je n'arrive même pas à envisager de le rejoindre. Je n'ai plus envie de vivre, mais pas envie de mourir non plus, comme prise au piège dans une dimension à part. Que je laisse couler mes larmes à l'infini ou que j'essaye de me "changer les idées", la douleur reste la même. La compassion que je lis dans les yeux de ceux qui m'entourent m'est également insupportable, au moins tout autant que leurs "conseils" vides de sens.

Bref, je suis perdue, anéantie. A 29 ans, je dois continuer le chemin seule en tirant une croix sur toutes les perspectives que nous avions. Au delà de nos projets personnels, nous rêvions d'un monde meilleur, alors la seule chose qui me fait tenir debout, c'est de poursuivre en bâtissant la maison dont nous rêvions. Et puisque nos enfants ne verront jamais le jour, j'y accueillerai ceux que la vie n'a pas épargnée, pour les aider à se construire. Je lui avais offert ma vie, mais elle n'a pas suffit, il ne me reste qu'à la consacrer à ceux qui en auront besoin, dès que je serai en mesure de me lever.

En remerciant ceux qui auront eu la patience de me lire.

Hors ligne tony36

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Re : Nos espoirs
« Réponse #1 le: 20 juin 2017 à 01:17:53 »
Ce que tu vis est si terrible.

Au décès de mon épouse à 38 ans, j'ai sombré, j'ai souffert dans ce monde que je ne comprenais pas.
Tout était anéanti et je la revoyais encore et encore mourir dans mes bras.

J'ai reçu de l'aide que j'ai accepté l'aide de la part de professionnels. Parfois certaines personnes ont besoin d'aide, au moins pour dormir un peu.

Chacun je crois va faire ce qu'il peut, réagit et agit différemment et va recevoir de l'appui de ceux qu'il peut, il n'y a pas de guide pour surmonter la perte de son amour.  Je ne sais pas s'il y a des conseils à suivre, je ne me crois pas qualifié pour en donner.
Ça ne se décrit même pas la perte de son amour, comme d'autres souffrances. Pour moi ce n'est pas une épreuve je ne trouve pas ce terme adapté, et les étapes du deuil je n'ai jamais trop compris ce principe...

Je souffre toujours et je me demande souvent ce que je fous là.
Je ne me vois pas reprendre une vie comme avant, discuter bricolage avec des collègues... Bref...

Mais bon, j'ai pu survivre, je crois, en ayant des projets, quelques perspectives, malgré la douleur, l'envie de mourir et la fatigue.

C'est pour cela que je me suis permis de te répondre.

Tu évoquais quelques projets que tu feras quand tu seras plus apte.
Je ne veux pas donner des conseils encore une fois, de toute façon, il y a un moment où je crois qu'il n'y a que la souffrance, les pleurs et les hurlements.
simplement, après, je dis que grâce à des projets j'ai pu survivre et sortir un peu de la souffrance, segmenter es choses en accordant un temps au deuil et un temps aux autres choses de la vie pour construire quelque chose.


Hors ligne Yevanna

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Re : Nos espoirs
« Réponse #2 le: 20 juin 2017 à 09:17:13 »
Je te remercie pour ta réponse Tony. C'est exactement ça, j'essaye de fragmenter. Aujourd'hui j'essaye de reprendre le travail, encore une première fois sans lui bien difficile. Je ne sais pas combien de temps je vais supporter ce bureau sans les petits messages que l'on s'envoyait à longueur de journée. Mais je ne supportais plus de rester sur ce canapé à ruminer non plus.

Des projets, des projets, des projets...

Hors ligne tony36

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Re : Nos espoirs
« Réponse #3 le: 20 juin 2017 à 11:30:24 »
Alors ça, le travail... Je ne supporte plus.
Pour ses messages qu'il y avait tout le temps et qui me manquent, pour les collègues qui sont très gentils mais avec qui je me sens décalé (je me force en fait à être un peu sociable mais je m'en fous moi de leur vie), et pour l'intérêt du travail que je ne trouve pas.

J'envie ceux qui font quelque chose de passionnant, ça peut les occuper au moins, mais pour ceux qui ne sont pas dans cette situation ? Que faire ?
Je me pose des questions existentielles sur le sens de la vie, sur l'au-delà, alors l'utilisation du logiciel trucmuche débile dont le guide d'utilisation fait 796 pages ça me semble complètement inutile.

En plus, crevé, je ne comprends pas grand chose.

Peut-être que dans ton cas, le travail pourra t'occuper, tout dépend de ce que tu fais. Dans tous les cas, le canapé ou le lit, non c'est terrible...



Hors ligne Yevanna

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Re : Nos espoirs
« Réponse #4 le: 20 juin 2017 à 19:55:08 »
J'ai lu ton message sur le travail Tony,  et aujourd'hui, jour de reprise pour moi, je me suis reconnue dans tes mots. J'ai aussi un travail de bureau alimentaire, que je n'avais trouvé que pour lui, enfin pour nous. Mon cher et tendre ne travaillait pas à cause de son handicap, et mon job nous permettait de nous maintenir financièrement. Se retrouver le cul sur une chaise de bureau à voir défiler des mails commerciaux, vivre et mourir pour engranger toujours plus de fric, quand tu penses que même les funérailles sont un honteux business... Moi aussi je me demande ce qu'attend le monde pour changer. Nous, peut-être.

Ce matin j'ai fait l'erreur de vouloir tromper la douleur, j'ai retenu mes larmes. Et le résultat ne s'est pas fait attendre, je me suis retrouvée littéralement au bout du rouleau, épuisée, criblée de douleurs musculaires, le cerveau en grève. Mon travail implique certaines responsabilités, et me voir si diminuée a été un double choc, je suis devenue une ombre.

Par chance une collègue a su trouver les mots pour faire sortir les larmes, et nous avons pris du temps pour vider ensemble ce trop-plein d'émotion. Et petit à petit, la personne que je suis a commencé à refaire surface.

Maintenant je le sais, on ne trompe pas la douleur. Si mon esprit ruse, elle attaque mon corps. Mais j'aurai sa peau, je ne la laisserai pas salir son image.  Je veux et je dois retrouver la douceur, l'amour et l'apaisement que m'a toujours inspiré sa pensée, la joie de vivre qu'il se battait pour transmettre. Une demi-âme s'est envolée, mais même à moitié morte je continuerai de porter haut nos couleurs.

Hors ligne tony36

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Re : Nos espoirs
« Réponse #5 le: 20 juin 2017 à 23:10:04 »
Un certain apaisement viendra petit à petit peut-être.

Le monde est abjecte, trop matérialiste, on en oublie les choses les plus importantes que sont les sentiments, les pensées et les émotions. Plus abjecte encore lorsqu'on a croisé le chemin de l'immense douleur, je crois.

Je vois le deuil comme une spirale que j'avais d'ailleurs dessinée (ne pas y voir une connotation religieuse, tout cela reste symbolique), de la douleur à la colère à la déchéance ou à l'action de rebâtir quelque chose, puis retomber dans la spirale, ou pas, et ainsi de suite... j'avais peint ça :

http://www.hostingpics.net/viewer.php?id=406154lamortcreladouleurqui.jpg

Peut-être segmenter les choses, avec le travail d'un côté, et ce qui est plus important de l'autre, je n'en sais rien, ça dépend de chacun. J'envisage parfois de faire autre chose de plus utile mais je ne vois pas quoi... Si tu en as l'énergie, un jour peut-être tu envisageras ou pas quelque chose d'autre mais la société ne facilite pas ce genre de changements. Tu verras quand cette foutue douleur se sera apaisée ou se sera transformée en énergie constructrice, peut-être.


Hors ligne Yevanna

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Re : Nos espoirs
« Réponse #6 le: 23 juin 2017 à 20:17:08 »
J'essaye.
J'essaye de me montrer digne de ce que tu voulais pour moi, alors que tu savais que tu étais mon seul bonheur.
J'essaye de me dire que si tu me vois, il ne faut surtout pas que tu t'en veuilles d'avoir été vaincu, même si je suis seule.
J'essaye de faire remonter les bons souvenirs et j'essaye de m'en réjouir, même s'ils font couler mes larmes.
J'essaye de m'imprégner de ta force, je suis toujours aussi fière de toi.
J'essaye de bannir les projections de ce qu'on aurait pu être si tu n'étais pas parti.
J'essaye de croire que tu m'attends quelque part alors que tu sais que je ne crois en rien.

Je te jure que j'essaye de lutter de toutes mes forces. Mais aujourd'hui c'est trop. J'ai pleuré et hurlé au volant de la voiture, tu savais que ma vie s'arrêtait avec la tienne, je t'avais prévenu mon ange!

Aujourd'hui je vois un couple se déchirer et je les hais, profondément, viscéralement, de gâcher cette chance qu'ils ont d'être en vie ensemble.
Je déteste tous ces gens qui me disent "heureusement que vous n'aviez pas d'enfants, c'aurait été compliqué", s'ils savaient tout ce que je donnerais pour remonter le temps et te donner cet enfant dont nous rêvions tant, au lieu de me retrouver toute seule comme une conne avec mes souvenirs et mon chien.
Je déteste tous ceux qui me disent "oh ben ça va tu tiens le coup, t'es forte" alors que je suis littéralement détruite, je ne sais même plus qui je suis. Et quoi alors, il faudrait que j'atteigne quel fond pour vous satisfaire?
Comme tous ces gens qui m'appellent une fois par jour pour savoir si "ça va". Non ça va pas, mais c'est pas grave, tant que je réponds c'est que je me suis pas encore jetée dans le lac, c'est bon signe hein?

Je hais cette haine qui ne me ressemble pas. Tu serais là tu m'engueulerais, tu me dirais de ne pas être aussi amère, que ces gens sont maladroits mais qu'ils s'inquiètent pour moi. Nous rêvions de tendre la main pour fonder un monde meilleur. Nous voulions que notre force soit un moteur de paix. Mais tu vois pour ça, il faudrait qu'il y ait encore un nous, affronter ça toute seule mon ange, c'était pas dans les plans.

Hors ligne tony36

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Re : Nos espoirs
« Réponse #7 le: 23 juin 2017 à 22:20:56 »
Je me souviens de ma mère qui m'avait dit avec délicatesse, à la mort de ma femme : "je te croyais plus fort que ça"... Et des conneries j'en ai entendues.

Les maladresses des gens sont courantes. Mais on ne peut que faire avec. Je sais que cela provoque la colère, c'est normal.
Je me souviens qu'avant, je ne savais pas comment me comporter avec quelqu'un qui avait vécu de quelque chose de terrible, alors je préférais ne rien dire que de donner des conseils ou des avis idiots.

Hors ligne souci

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Re : Nos espoirs
« Réponse #8 le: 23 juin 2017 à 22:46:47 »

   @ Tony: dans ton tableau, j'aime bien ton tas de têtes de mort, à droite, je trouve qu'elles sont "croque-la-mort", à la manière des tableaux de James Ensor ...
   Donc, je te passerais commande pour que tu me fasses un tableau avec rien qu'un tas de ces petites têtes regroupées, en renaissance du rythme ... et donc, au fond, en contradiction avec l'angoisse du néant ... Bye, Titine.

Hors ligne Alexandra

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Re : Nos espoirs
« Réponse #9 le: 23 juin 2017 à 23:23:17 »
Yevanna,
je voulais t'écrire cette semaine mais je n'avais pas les mots... Je me retrouve dans ce que tu écris, les projets envolés au début de nos vies, l'impression d'être morte avec lui...

En te lisant ce soir, en lisant ces jugements et ces conseils stupides qui te mettent en colère, moi j'ai envie de te dire: et si tu n'essayais pas? Et si tu t'autorisais le chagrin et la colère? Quand on me sert tous ces jugements, tous les "il n'aimerait pas que tu ...", les "tu es forte", "tu dois être forte pour lui", je me dis que si mon compagnon avait pu imaginer la souffrance et l'horreur de vivre sans lui, jamais il ne m'imposerait de faire semblant d'aller bien.

Alors rien ne t'oblige à essayer, les beaux souvenirs et la force de ton compagnon vont t'accompagner mais ils ne t'obligent pas à être "digne" (qu'est ce que je détestevce mot!) alors que tout vient de s'écrouler. De tout coeur avec toi,
Alex

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Re : Nos espoirs
« Réponse #10 le: 24 juin 2017 à 00:43:57 »
Chère Yevanna... J'ai lu ton histoire... qui entre en résonance avec ce que j'ai vécu... ce que je vis... Comme toi, j'ai moi aussi perdu mon amour. Lui est parti sans prévenir... d'une crise cardiaque... le  14 avril 2016. Il avait 33 ans. J'en avais 25 quand ça s'est produit, 27 aujourd'hui.
Je me reconnais dans ce que tu vis à bien des niveaux... Tu as écrit:

Citer
Au delà de nos projets personnels, nous rêvions d'un monde meilleur, alors la seule chose qui me fait tenir debout, c'est de poursuivre en bâtissant la maison dont nous rêvions. Et puisque nos enfants ne verront jamais le jour, j'y accueillerai ceux que la vie n'a pas épargnée, pour les aider à se construire. Je lui avais offert ma vie, mais elle n'a pas suffit, il ne me reste qu'à la consacrer à ceux qui en auront besoin, dès que je serai en mesure de me lever.

Je ne sais pas bien pourquoi, mais cette phrase m'a touché... Ou plutôt si... je sais... Comme toi et ton chéri, mon Hanaël et moi cherchions à nous tourner vers le monde, les gens... Nous avions des idéaux. Lui, surtout... Et moi je me laissais porter par son élan, son optimisme incroyable... Alors comme toi, cette réflexion que tu t'es faite s'est imposée à moi dès son départ... et elle m'a aidé à tenir bon tant bien que mal dans les pires moments... La perspective de faire quelque chose dont il serait fier, dont il est fier... peut être.
Et puis, à côté de ça, j'ai la sensation de deviner en toi cette même intransigeance que j'ai pu avoir, que j'ai parfois encore vis à vis de moi même. L'envie de le rendre fier qui nous pousse à mettre la barre trop haut, trop vite... Alors ce soir, je choisis de joindre ma voix à celle d'Alexandra pour te dire que tu as le droit... d'être pommée, folle de chagrin, imprévisible même à tes propres yeux... le droit d'être en colère même si une part de toi reste consciente du fait que beaucoup ne sont pas malveillants, juste maladroits... et bien merde! Leur maladresse te fait mal. Elle appuie là où tout est déjà décapée, à vif... Alors tant pis si tu te montres en colère, si certains ne comprennent pas. Tant pis si tu ne corresponds pas au stéréotype que les gens se font du conjoint "digne" et "fort". On s'en fout.
Cette colère, elle est légitime. Comme toutes les émotions qui te traverseront au fil des semaines, des mois... Nous sommes dans un monde obsédé par le contrôle et la maitrise, alors oui... ressentir toutes ces choses extrêmes crée un décalage énorme entre nous et la plupart des gens... Beaucoup réussissent à garder le contrôle car aucune épreuve n'est venue les faire sortir de leurs gonds. Alors ils ne comprennent pas forcément qu'à certains moments de l'existence, c'est impossible. Toutes ces choses qui te traversent, aussi étranges, paradoxales, douloureuses, surprenantes soient-elles... elles sont une réaction naturelle à cette épreuve terrible. Et elles se fichent pas mal du fait que les gens les perçoivent comme déplacées ou preuves de faiblesse. Comme beaucoup ici, j'ai entendu un sacré paquet de conneries au courant des derniers mois... J'ai usé ma colère, ma rage... Elle revient encore parfois. Moins fréquemment qu'il y a quelques mois encore... Il y a quelques mois, moi qui me mettait si peu en colère avant tout ça, et bien elle me faisait hurler. J'enfonçais ma tête dans des coussins, je frappais de toutes mes forces... J'ai même jeté de la vaisselle contre les murs (si tu as des vieux services hideux dont tu veux te débarrasser... ça soulage pendant un temps!!)
Et crois bien que ton chéri, s'il le pouvait, voudrait seulement te soutenir, t'encourager, te porter, te soulager dans cette épreuve. Te dire combien il t'aime. Et certainement pas porter un jugement sur la façon dont tu fais face à cette souffrance.
Je t'écris tout ça, car je sais combien il est difficile parfois de s'adresser ces paroles à soi-même. De s'accorder ce droit de lâcher une certaine pression, une certaine "exigence morale"... même dans les pires moments.
En cela, ce forum est d'un grand secours. Parce que dans ce que nous vivons, on se sent seul comme jamais, et paradoxalement... on redécouvre petit à petit à quel point on n'est pas tout puissant. A quel point on a besoin des autres. A quel point on a besoin parfois des paroles de soutien, des encouragements, des retours positifs, de la reconnaissance... lorsque soi-même on ne sait plus se les donner.
Chère Yevanna: je t'envoie toute mon affection. Je te redis ce que d'autres ici me disent lorsque moi-même je n'arrive plus à y croire: tu n'as pas à prouver que tu es forte. Tu es forte, parce que tu continues de vivre malgré la souffrance, malgré les questions sans réponse.
Je pense fort à toi. Prends soin de toi, un pas après l'autre, comme tu le peux.
Je t'embrasse.

Hors ligne Yevanna

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Re : Nos espoirs
« Réponse #11 le: 24 juin 2017 à 08:17:25 »
Alexandra, Ela,

Je vous remercie pour vos messages. Ils m'ont permis d'aller lire vos histoires, c'est étrange comme nous nous ressemblons. Je me sens comprise, c'est à la fois dramatique et apaisant.

J'entends le fait que j'aie le droit de lâcher prise, mais c'est un droit que je ne me suis pas accordée pendant ces années difficiles. Je refusais d'admettre qu'il allait me quitter, et ce masque m'a permis de le soutenir du mieux que je pouvais. Aujourd'hui, ces derniers mois de souffrance me reviennent plus souvent que les bons souvenirs, et c'est plus fort que moi, je lutte encore et toujours, comme si j'avais besoin que notre combat continue. Alors les moments où je lâche prise ce ne sont plus des vagues, mais de véritables typhons.

Avant lui j'étais criblée de problèmes, familiaux, financiers, sans objectif. Il m'a sortie de cette vie, poussée vers l'avant pour que je gagne confiance en moi. La découverte de la campagne, le permis, un travail à responsabilité, une véritable vie de famille. Mon pilier s'est écroulé, il n'y a plus personne pour me protéger de ce monde, au fond sous le masque je suis morte de trouille.

Hors ligne Alexandra

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Re : Nos espoirs
« Réponse #12 le: 24 juin 2017 à 09:08:10 »
Oui tous ces mois tu as tenu, vous avez tenu en espérant que ce dont vous rêviez allait devenir réalité. Et aujourd'hui, tu as le contrecoup, non seulement d'avoir perdu l'homme que tu aimes mais aussi de tous ces mois à tenir bon. C'est tellement violent tout ça, tu n'as plus à tenir bon pour ne pas l'inquiéter lui.

Je me retrouve aussi quand tu dis que tu as perdu ton pilier, j'ai le sentiment que Tom m'avait sauvé la vie et que je suis à nouveau morte. Je ne peux pas, pas sans lui, même avec les forces qu'il m'a données... Et c'est terriblement dur de se protéger quand on n'a plus celui qu'on aime à nos côtés, moi je n'en n'ai même pas envie, ça me paraît presque illégitime de vivre cette vie qu'il n'a plus.

Alors pour l'instant, je crois vraiment comme je te l'ai dit hier soir que tu n'es pas obligée de te battre en permanence, pas pour l'instant. Il faut que ça sorte ces mois d'angoisse, il faut que ça sorte de l'avoir perdu et il faut que ça sorte toutes ces angoisses pour ce qu'il y aura "après". Mets le pilote automatique pour le boulot et la paperasse si tu peux, le reste tu peux bien hurler au volant de la voiture et oublier l'aspirateur au fond d'un placard. Peu importe, il faut juste que ça sorte. Je t'embrasse

Alex

Hors ligne qiguan

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Re : Nos espoirs
« Réponse #13 le: 24 juin 2017 à 14:47:03 »
en vous lisant je reconnais les méandres de ces étapes du deuil
oui il faut que ça sorte !!!!!!!!!
ne pas culpabiliser, se transformer, ne pas se reconnaitre même dans la manière de le sortir
oui c'est ça
continuez ainsi
 c'est la voie que chacun(e) vis de façon personnelle
juste souvenez vous que des anciennes personnes qui ont eu vos types de vécu ne savnt ni comment
ni pourquoi
mais sont encore là
vous lisent
je vous embrasse
"il est plus facile de désintégrer un atome qu'un préjugé" A. Einstein
"Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque" René Char

Hors ligne Yevanna

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Re : Nos espoirs
« Réponse #14 le: 25 juin 2017 à 08:26:44 »
Hier j'ai ouvert grand les vannes. Je me suis autorisée à penser à lui, à nous, à ce que j'allais devenir sans lui. La déferlante a été terrible, du réveil au coucher. Impossible de me lever, de manger, juste des pleurs et des cris, et cette douleur qui me donne envie d'en finir. J'ai tout essayé, je lui ai parlé, hurlé ma peine, je l'ai supplié de revenir, puis de m'emmener. J'ai écrit aussi, j'ai même été mettre un message de désespoir sur son facebook, je n'ai décidément plus aucune pudeur. Toujours les mêmes réponses "tiens bon pour lui, vous étiez si forts, nous aussi il nous manque", oui mais bordel, chacune de mes respirations est un supplice, je la puise où cette foutue force sans lui?

C'est quoi d'ailleurs cette envie de mourir, elle sort d'où? J'ai toujours été une amoureuse de la vie, je l'adorais cette vie, jusqu'à ce qu'elle me l'enlève. Aujourd'hui l'enfer a encore commencé dès que j'ai ouvert les yeux, je suis usée. Je relis mes anciens messages et je m'aperçois que la douleur me bouffe mentalement et physiquement, jour après jour. Hier soir j'ai fait le bilan, en me demandant ce que j'aurais loupé si je n'avais plus été là, il était pas fameux. Lui il se battait pour nous, il puisait de la force dans notre lien, moi je ne sais même pas pourquoi je dois me battre. Probablement parce que comme beaucoup d'entre nous, j'attends la fin sans vraiment la chercher, et on ne meurt pas de chagrin.

Aujourd'hui ma belle famille vient m'aider à trier ses affaires. J'ai terriblement peur.