Chère Yevanna... J'ai lu ton histoire... qui entre en résonance avec ce que j'ai vécu... ce que je vis... Comme toi, j'ai moi aussi perdu mon amour. Lui est parti sans prévenir... d'une crise cardiaque... le 14 avril 2016. Il avait 33 ans. J'en avais 25 quand ça s'est produit, 27 aujourd'hui.
Je me reconnais dans ce que tu vis à bien des niveaux... Tu as écrit:
Au delà de nos projets personnels, nous rêvions d'un monde meilleur, alors la seule chose qui me fait tenir debout, c'est de poursuivre en bâtissant la maison dont nous rêvions. Et puisque nos enfants ne verront jamais le jour, j'y accueillerai ceux que la vie n'a pas épargnée, pour les aider à se construire. Je lui avais offert ma vie, mais elle n'a pas suffit, il ne me reste qu'à la consacrer à ceux qui en auront besoin, dès que je serai en mesure de me lever.
Je ne sais pas bien pourquoi, mais cette phrase m'a touché... Ou plutôt si... je sais... Comme toi et ton chéri, mon Hanaël et moi cherchions à nous tourner vers le monde, les gens... Nous avions des idéaux. Lui, surtout... Et moi je me laissais porter par son élan, son optimisme incroyable... Alors comme toi, cette réflexion que tu t'es faite s'est imposée à moi dès son départ... et elle m'a aidé à tenir bon tant bien que mal dans les pires moments... La perspective de faire quelque chose dont il serait fier, dont il est fier... peut être.
Et puis, à côté de ça, j'ai la sensation de deviner en toi cette même intransigeance que j'ai pu avoir, que j'ai parfois encore vis à vis de moi même. L'envie de le rendre fier qui nous pousse à mettre la barre trop haut, trop vite... Alors ce soir, je choisis de joindre ma voix à celle d'Alexandra pour te dire que tu as le droit... d'être pommée, folle de chagrin, imprévisible même à tes propres yeux... le droit d'être en colère même si une part de toi reste consciente du fait que beaucoup ne sont pas malveillants, juste maladroits... et bien merde! Leur maladresse te fait mal. Elle appuie là où tout est déjà décapée, à vif... Alors tant pis si tu te montres en colère, si certains ne comprennent pas. Tant pis si tu ne corresponds pas au stéréotype que les gens se font du conjoint "digne" et "fort". On s'en fout.
Cette colère, elle est légitime. Comme toutes les émotions qui te traverseront au fil des semaines, des mois... Nous sommes dans un monde obsédé par le contrôle et la maitrise, alors oui... ressentir toutes ces choses extrêmes crée un décalage énorme entre nous et la plupart des gens... Beaucoup réussissent à garder le contrôle car aucune épreuve n'est venue les faire sortir de leurs gonds. Alors ils ne comprennent pas forcément qu'à certains moments de l'existence, c'est impossible. Toutes ces choses qui te traversent, aussi étranges, paradoxales, douloureuses, surprenantes soient-elles... elles sont une réaction naturelle à cette épreuve terrible. Et elles se fichent pas mal du fait que les gens les perçoivent comme déplacées ou preuves de faiblesse. Comme beaucoup ici, j'ai entendu un sacré paquet de conneries au courant des derniers mois... J'ai usé ma colère, ma rage... Elle revient encore parfois. Moins fréquemment qu'il y a quelques mois encore... Il y a quelques mois, moi qui me mettait si peu en colère avant tout ça, et bien elle me faisait hurler. J'enfonçais ma tête dans des coussins, je frappais de toutes mes forces... J'ai même jeté de la vaisselle contre les murs (si tu as des vieux services hideux dont tu veux te débarrasser... ça soulage pendant un temps!!)
Et crois bien que ton chéri, s'il le pouvait, voudrait seulement te soutenir, t'encourager, te porter, te soulager dans cette épreuve. Te dire combien il t'aime. Et certainement pas porter un jugement sur la façon dont tu fais face à cette souffrance.
Je t'écris tout ça, car je sais combien il est difficile parfois de s'adresser ces paroles à soi-même. De s'accorder ce droit de lâcher une certaine pression, une certaine "exigence morale"... même dans les pires moments.
En cela, ce forum est d'un grand secours. Parce que dans ce que nous vivons, on se sent seul comme jamais, et paradoxalement... on redécouvre petit à petit à quel point on n'est pas tout puissant. A quel point on a besoin des autres. A quel point on a besoin parfois des paroles de soutien, des encouragements, des retours positifs, de la reconnaissance... lorsque soi-même on ne sait plus se les donner.
Chère Yevanna: je t'envoie toute mon affection. Je te redis ce que d'autres ici me disent lorsque moi-même je n'arrive plus à y croire: tu n'as pas à prouver que tu es forte. Tu es forte, parce que tu continues de vivre malgré la souffrance, malgré les questions sans réponse.
Je pense fort à toi. Prends soin de toi, un pas après l'autre, comme tu le peux.
Je t'embrasse.