Bonjour à tous,
Je décide d'écrire un post aujourd'hui, après des semaines de lecture sur ce forum. Il est bien vrai qu'aucun deuil ne ressemble à un autre. Tous les parcours que j'ai lu ici sont différents les uns des autres, et du mien également. Mais pourtant dans tout ce que j'ai lu j'ai retrouvé presque à chaque fois un élément qui faisait écho à ce que je vivais, ressentais. Alors aujourd'hui j'écris pour peut-être me faire un peu de bien, mais aussi en espérant apporter ma pierre à l'édifice, au cas où ça pourrait aider quelqu'un.
Je ne sais pas par où commencer. Pour vous planter le décor, Stéphane et moi nous sommes rencontrés en janvier 2011. L'amour fou et tout le bonheur qui va avec, la vie à deux. Et puis les problèmes de santé sont arrivés. Je vous passe les détails, c'était une tumeur cérébrale, maligne et inopérable. Une vraie saloperie. Elle s'est déclarée mi avril 2016, et le 7 avril dernier, après une année de bagarre, elle a fini par gagner.
Stéphane était hospitalisé depuis plusieurs semaines à cause de douleurs dorsales qui l’empêchait de faire quoi que ce soit. Il y avait toujours quelqu'un avec lui pour les repas du midi et du soir, pour lui tenir compagnie et l'aider au besoin. Ce jour là j'avais un rendez-vous en fin de matinée et ce sont ses parents qui étaient avec lui le midi. Vers 13h, son père m'appelle pour me dire que le repas s'est bien passé, que Stéphane est de bonne humeur. Tout va bien à part la sat. d'oxygène qui n'est pas assez élevée, ils vont lui installer un petit tuyau sous le nez, peut-être lui mettre le masque à oxygène plus tard. Mais ce n'était pas très inquiétant. Je valide donc que je serais à l'hosto vers 17h30, le temps qu'il fasse une sieste s'il en a envie. À 14h30, nouvel appel de son père. Stéphane ne va pas bien. Je ne sais pas si je l'ai senti à sa voix, ou bien si c'était une espèce d'intuition, mais j'ai compris qu'il fallait que j'y aille et tout de suite. J'ai vite mis mes chaussures, pris mon sac et en voiture. L’hôpital est à un peu plus d'une demi heure de la maison. Vers 15h je suis à l'étage d'oncologie, au bout du couloir (très long couloir) je vois ses parents, triste mine, qui parlent avec l'oncologue. Je presse le pas, ils m'aperçoivent. Quand j'ai vu le Dr.L venir à ma rencontre, j'ai compris que c'était grave. Il m'a dit que c'était en train de se finir, Stéph était en train de faire un oedème pulmonaire, qu'il n'y avait plus rien à faire à part être là, avec lui. Stéphane est mort à 16h30, sans peur ni douleur, ses parents, son frère et moi à ses côtés dans la chambre, ma main dans la sienne.
Mon monde s'est écroulé. Je me suis sentie si seule, comme jamais auparavant. Les seuls bras capables de me réconforter à ce moment là ne pouvaient plus me serrer. Je ne comprenais plus rien, j'étais là sans être là (peut-être car lui aussi était encore là mais sans être là). C'est pourtant à ce moment là qu'il faut essayer d'avoir toute sa tête pour répondre aux questions qu'on nous pose, qu'on se pose. Je suis passée des questions genre « quels prénoms choisir si on a des enfants ? », puis « est ce qu'un jour il faudra adapter la maison pour un fauteuil ? » et enfin « Enterrement ou crémation ? » dans un laps de temps que je juge beaucoup trop court. Il faut pourtant maintenant répondre à ça, mais aussi choisir le capitonnage du cercueil, sa dernière tenue, les musiques pour la cérémonie. Tout est allé si vite. Le confort que nous avons eu dans notre malheur, c'est d'avoir une cellule solide, ses parents, son frère et moi. On était 4, chacun dans son chagrin mais pourtant ensemble. Ensemble pour faire les choix, ensemble pour essayer de se faire rire, ensemble. J'ai conscience que dans une situation comme celle-ci, c'est vraiment un luxe. La météo aussi, qu'est ce qu'il faisait beau. Je pense que cela aurait été encore plus difficile s'il avait fait gris, froid et nuit à 17h. (J'appréhende pas mal l'arrivée de l'automne...)
Le 12, 5 jours après, j'avais 28 ans. Un anniversaire absolument pas fêté. Des messages timides. Il me manquait tellement. C'est le dernier jour où je suis allée le voir au salon funéraire. Je lui ai lu la lettre que je lui avais écrit la veille au soir et je l'ai glissée dans sa veste. Ca m'a fait du bien de l'écrire.
Le 13, cérémonie « religieuse » (plus pour avoir un moment tous ensemble à moment et un endroit donnés, que pour se rapprocher du seigneur...). Les voir tous : famille, collègues, et les très nombreux amis. Passer de notre petit cocon à 4 vers tout ce monde, tous ces visages d'habitude si souriants, aujourd'hui mornes.
Le 14, Crématorium. Je trouvais dommage qu'aucun proche ne prenne la parole. Je sais bien que c'est très difficile et je ne les juge absolument pas. Mais je ne voulais pas avoir de regrets, (pas plus en tout cas) et même si ça allait être dur à écrire et à lire à haute voix, je n'avais pas envie de m'en vouloir plus tard de ne pas l'avoir fait. Alors j'ai écrit un petit quelque chose. Pour me prouver que j'étais forte probablement. Pour le prouver à Stéphane aussi. On était moins nombreux. Et j'ai réussi à aller au bout.
Le 15, libération des cendres dans l'océan, à 4.
Le 16, anniversaire de son père.
Ça fait bientôt 5 mois. La colère est encore un peu là parfois. Le sentiment d'injustice. Ne plus supporter les cons, trouver que c'est tous des abrutis, et puis finir par se calmer. Je ne savais pas non plus qu'on pouvait pleurer autant.
J'ai tout de suite viré de ma vue tout ce qui avait un rapport avec la maladie : les médicaments, les petites notes accrochées au mur (rappels de rdv, protocole chimio...), les barres pour s'appuyer dans la salle de bain... Ce à quoi je me suis tout de suite accrochée, et à quoi je m'accroche encore, c'est qu'il ne souffre plus, il n'est plus malade. Il est mort et ça me fait mal, atrocement mal. Mais ma douleur finira bien un jour par s'atténuer, ce supplice est temporaire, sa liberté, elle, est éternelle.
Il a fallu un bon mois pour que j'enlève ses vêtements de l'armoire. Il était devenu trop dur de les voir à chaque fois que je rangeais/prenais mes affaires. Ça faisait comme s'il allait rentrer, alors que j'avais conscience que non, c'était pas possible. J'ai attendu d'aller mal pour le faire. Car même si on vit tous le deuil et la douleur différemment, j'ai souvent retrouvé dans les témoignages cet aspect non linéaire du deuil, et c'est aussi comme ça que je vis les choses. En plan large ça va de mieux en mieux, mais en vue serrée c'est les montagnes russes. J'ai donc attendu d'être dans une période de « creux » pour me saisir d'une valise et mettre toutes ses affaires dedans, parce que ça ne me ferait pas forcément aller plus mal et qu'ainsi je pourrais pleinement savourer les bonnes journées qui suivent lez journées creuses pour profiter du soleil, ou voir des amis, plutôt que de trier des affaires en chialant.
Sinon dans le décor, rien n'a vraiment changé, pour l'instant. C'est pas forcément parce que j'ai envie d'ouvrir un musée, mais au tout début quand j'ai ressenti mon monde s'écrouler, j'avais envie que le décor, au moins, reste comme avant. Car c'était chez nous mais c'est aussi mon chez moi, mon refuge, ma cabane.
Qu'il est difficile le passage du pluriel au singulier...ce n'est plus chez nous, avec notre chat, ni notre avenir : c'est chez moi, mon chat et « qu'est ce que je vais bien pouvoir faire maintenant ? ». Je trouve ça encore plus difficile que de passer du présent au passé. Car si aujourd'hui j'avance plutôt pas mal sur le fait qu'il est mort et de l'accepter, le travail de deuil du couple n'en est encore qu'à ses balbutiements. Je suis encore amoureuse de Lui. Il me manque, et notre relation me manque tout autant. Je n'ai plus mon complice quotidien, mon partenaire de blagues et de pétanque, mon clown préféré et mon super pote. Les références qui ne faisaient rire que nous ne font plus sourire que moi. Ma psy me parle d'une évolution de cette relation, qui sera toujours là mais qui aura une dimension différente (ou un truc dans le genre)...pour l'instant je comprends rien, je vois pas du tout de quoi elle parle, c'est beaucoup trop abstrait. Mais je lui fait confiance, chaque chose en son temps.
Il faut que je pense à moi, et ça tombe bien, j'y arrive ! Depuis le début je pense à la « moi » de plus tard. En me disant qu'il faut tenir bon car la « moi » de 2022 a très probablement réussi à s'en remettre, qu'elle a la cicatrice et non plus la blessure. Que je ne suis ni la première à passer par là, ni la dernière et que même si c'est une épreuve de vie hyper difficile, elle n'est pas insurmontable. Et ça m'aide pas mal. Il y a quelques jours j'ai relu ce que j'avais écrit et lu au crématorium. Les mots que j'ai choisi il y a quelques mois m'ont fait beaucoup de bien aujourd'hui. « C'est en étant à ses côtés que je suis devenue plus forte, plus patiente, et plus drôle. La moindre des choses à faire maintenant, c'est de le rester. ». Mais j'avais tellement raison ! S'il y a bien 3 qualités dont j'ai besoin aujourd'hui ce sont celles-ci. Je n'arrive pas encore à les avoir tous les jours, mais je sens qu'elles sont là, pas très loin.
Je vais m'arrêter là. (désolée si ça a été trop long, mais une fois que je suis lancée...)
Si vous lisez ce texte, c'est car vous aussi vous traversez la même chose. J'espère sincèrement que vous réussissez à puiser la force nécessaire pour y arriver. J'espère aussi que vous vous êtes sentis un tout petit peu moins seul, le temps d'une lecture.
Bon courage à tous.