Merci à vous, Stana, Qiguan... Je réalise que mon dernier message ici remonte déjà à presque un mois. Et j'aimerais pouvoir répondre différemment aujourd'hui à ta question Stana. Dire que je ne vais pas trop mal en effet. En réalité, je ne sais pas bien... La séparation entre "aller mal" ou "bien" n'est plus très nette dans mon esprit.
Je suis... triste en réalité. Infiniment triste. Et pourtant, en considérant la souffrance endurée au courant de ces bientôt 24 derniers mois... je n'arrive pas à m'autoriser à dire que "je vais mal". Je suis... triste. Infiniment triste, oui. J'ai le cœur endolori. Ce n'est pas qu'une image... Le manque et la tristesse m'enserrent la poitrine et mon amour pour Hanaël gonfle mon cœur, toujours plus... Mouvements contradictoires, antagonistes... alors j'ai mal... si mal au cœur.
Les jours, semaines, mois passent... et chaque jour un peu plus, je prends conscience de ce que j'ai perdu. De qui était véritablement cet homme pour moi. Et l'immense gratitude d'avoir pu vivre une telle rencontre m'envahit toujours plus, en même temps que la sensation d'avoir été amputée d'une part de moi.
J'ai également, je le crois, fini d'ouvrir les yeux sur toutes les ombres qui planaient encore, à la relecture de notre histoire. Ces ombres qui parfois nous empêchaient d'être parfaitement épanouis ensemble. Tous ces "j'aurais dû...", ces "si seulement..." qui malgré moi me hantaient sans toujours révéler leurs vrais visages. Maintenant, il me reste une vie entière pour apprendre à me pardonner vraiment mes manquements et pour croire qu'il n'est pas vain, même après son départ, de tenter de devenir une meilleure personne. Plus intègre. Plus assumée. Plus libre... Pour lui. Car aussi ironiquement cruel que cela puisse me sembler parfois, c'est bien pour lui désormais que j'ai envie de devenir meilleure, maintenant que son absence m'a apporté la certitude inébranlable de mon amour pour lui.
Cet amour était toujours là. Immense. Seule la certitude me faisait défaut... Je comprends désormais. L'amour était là, trop souvent masqué par la peur... Aujourd'hui il n'y a plus de peur, car le pire est advenu... Alors que pourrais-je craindre encore? Et c'est parce que la peur n'est plus là que la certitude apparait. Et c'est pourquoi je réalise que mon cœur savait, a toujours su ce que ma tête ne faisait que masquer. J'ai lu Pascal pourtant. Je connaissais l'adage "le cœur a ses raisons que la raison ignore", mais il faut plus que de la théorie pour guérir les failles les plus profondes. Hanaël me le disait si souvent... "Je n'ai aucun doute sur l'amour que tu me portes... Il rayonne si fort, toutes les fois que "tu t'oublies"... Que tu lâches prise..." Qui dois-je blâmer de n'avoir pas appris, autant que je l'aurais désiré, à écouter mon cœur plutôt que ma tête? A être capable, dans l'instant et non après coup, de faire la différence? Il n'y a probablement personne à blâmer en vérité... Je réalise seulement jour après jour, qu'il me reste encore beaucoup à apprendre, et beaucoup à désapprendre aussi...
Car il n'y aura pas de retour en arrière possible, ni de seconde chance. Et je comprends que pour lui, pour moi... ce constat ne doit pas se transformer en regrets, en amertume. Je n'ai pas le droit de me murer dans la culpabilité. Tout ce que je n'ai pas assumé en étant avec lui, je dois le mettre au travail désormais. Tout ce qui constitue encore une entrave à ma liberté, je dois le mettre au travail désormais. Toutes les barrières qui se dressent encore entre moi et la personne que je sens devoir être, je dois les abattre.
Il avait ses défauts aussi. Il n'était pas parfait, je n'étais pas parfaite. Mais je réussis désormais à affirmer ce que je n'osais pas toujours m'avouer. Que cet homme était parfait pour moi. Absolument parfait pour moi. Il n'était pas juste un merveilleux soleil sur ma route. Il est celui qui m'a révélé l'existence de ces milliers de soleils cachés, dans les petites choses du quotidien. Des soleils que je ne savais pas voir. Dont j'avais oublié qu'ils étaient cachés là, depuis la nuit des temps sans doutes... Il était véritablement ma moitié... Comme si j'avais passé une partie de ma vie borgne et que je retrouvais soudainement tout un pan de vision jusqu'alors inaccessible.
J'essaye de rester juste avec moi-même... J'ai fait de mon mieux. Et j'étais là, auprès de lui, quand il est tombé. J'étais là et j'espère que cette ultime fois, il a su voir en moi, bien mieux que je n'étais capable de le faire moi-même, mon amour pour lui. Comme il a toujours su le faire. Il faut que je parvienne à être en paix avec cette idée.
J'ai fait de mon mieux. De mon mieux pour me jeter à l'eau dans cette relation qui m'a tant ébranlée. Ébranlée jusqu'aux tréfonds de l'âme. En m'envoyant cet homme exceptionnel, c'est comme si la vie m'avait arrachée au rocher sur lequel je m'étais réfugiée... Refuge illusoire où rien ne se passe mais où l'on ne peut demeurer éternellement... Elle m'a arrachée de mon rocher pour me jeter à la mer avec lui. Et j'ai paniqué. Tellement de fois. Mais il est resté auprès de moi. Pas une seule fois il ne m'a laissée. Il est resté pour m'apprendre à nager. Avec ses mouvements à lui... Et sans doutes que je lui ai enseigné mes propres mouvements... Sans doutes que nous étions destinés à nager ensemble. A danser ensemble, en parfaite harmonie, entre les remous...
Aujourd'hui, je ne peux que nager encore.... riche des mouvements qu'il m'a enseignés... avec la volonté de parfaire cette chorégraphie qui n'appartient qu'à nous. Je le fais car il n'y a pas d'autre possibilité. Parce que la vie n'est qu'une répétition ininterrompue de ce choix fondamental: nager ou couler. Et je le fais parce que je nourris, sans le comprendre, cet espoir fou qu'un jour nous serons à nouveau réunis pour danser ensemble, plus libres, délivrés de nos peurs.
Qui autour de moi se doute que c'est là, tout au fond de l'abîme, que je puise chaque matin la volonté nécessaire de faire face aux plus petits aléas du quotidien? Peu de personnes en vérité... Ma mère.... Une amie... Avec les autres, même s'il m'est à nouveau possible de passer de jolis moments, "en surface"... il y a toujours ce "décalage". Je n'en veux à personne pour ça... Je ne suis plus en colère je crois. Elle revient me visiter de temps à autre, cette colère, mais elle se consume comme un feu de paille. Je crois que c'est parce que je me suis résignée à ne pas pouvoir changer certaines choses. La vie est ce qu'elle est, les gens sont ce qu'ils sont...
En étant avec Hanaël, je crois que ce dont j'avais le plus peur c'est qu'en assumant de devenir davantage moi-même, en le suivant sur ce chemin d'absolu... dans cette quête éperdue d'intégrité qui était la sienne... et bien je finirais irrémédiablement par m'éloigner des gens. De la "foule bienheureuse", que je ne cessais de critiquer par principe mais dont je craignais malgré tout la sentence, le rejet... Peur de me marginaliser. Peur de couper avec mon apparente "sociabilité"... Une sociabilité exacerbée que je devinais, au fond de moi, superficielle, mais sans laquelle je ne savais pas me définir. Sans laquelle j'avais peur de disparaitre. Un caméléon effrayé d'être arraché à son décors... Obligé de s'exposer, sans très bien savoir ce que cela impliquerait. Voilà ce que j'étais en rencontrant Hanaël.
Ironie du sort, une fois encore.... Aujourd'hui, c'est de par sa mort que mon aimé est parvenu à m'arracher à mon décors. Et je réalise que désormais, effectivement, je ne pourrai plus me contenter d'un décors. Que je ne pourrai plus m'autoriser à faire marche arrière. Et qu'en effet, la route vers la réalisation de soi est solitaire. Terriblement solitaire. Qu'on ne peut la suivre en se dissimulant dans la "foule bienheureuse". Et ce qui me rend triste, c'est que finalement, ce à quoi je craignais de m'exposer en assumant d'être avec lui... je dois tout de même y faire face aujourd'hui. Et sans lui à mes côtés... Seule... Cela me rend triste mais je n'ai aucun regret. Je suis heureuse de n'avoir pas eu le choix de rester à l'abri sur mon rocher... Car il valait la peine que je me jette à l'eau. Le rencontrer valait toutes les peines du monde. Et ce que nous avons partagé vaut des millions de fois la souffrance que je dois endurer aujourd'hui...
Ce témoignage va peut être vous paraître bien triste... Il l'est sans doutes oui, inévitablement. Comme je le suis moi-même. Mais, aujourd'hui, moins d'un mois désormais avant le deuxième anniversaire de son départ... ce 14 avril que je vois se rapprocher, la boule au ventre... et bien je peux dire que je n'ai pas baissé les bras. Que je suis toujours en vie. Que les choses sont toujours difficiles et le seront sans doutes encore pendant un moment... mais que malgré tout.... ma vie ces deux dernières années a gagné en authenticité. Je vois moins de monde, mais je sais désormais qu'il existe quelques rares personnes avec qui je peux descendre, lorsque le besoin s'en fait sentir, au fond de "mon puits". Dans cette zone, tout au fond de moi, où des lucioles lumineuses surgissent parfois des ténèbres les plus épaisses... Et je suis capable aussi, peut être plus qu'avant, de percevoir cette cavité chez d'autres. Et même si je ne sais pas toujours quoi en faire, je sais désormais que c'est dans cet espace, qu'il faut apprendre à ne pas craindre, souvent dissimulé aux premiers regards, que réside la vraie valeur de l'humain.
J'étais venue, comme toujours, mue par un besoin aux contours incertains d'écrire... Je réalise qu' en écrivant, il m'est impossible de parler de choses pragmatiques, et de ne pas m'infiltrer dans cet espace, sous la surface... Cet espace m'attire, m'aspire... Et en écrivant je cède à cet appel irrésistible. Mais je réalise aussi qu'au quotidien, ce besoin de me réfugier en moi-même ne doit pas m'empêcher de sortir de ma carapace à la rencontre du vaste monde... Je fais de mon mieux... Je vais recommencer à travailler lundi. Un emploi à temps partiel dans une unité accueillant des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. C'est ce qu'Hanaël faisait, avant que son cœur ne s'arrête... Il se mettait au service de ces personnes, entièrement. Sans retenue. Passionnément. Je ne peux être lui. Je ne peux le remplacer. Je vais juste essayer de continuer mon propre chemin en me servant, avec une infinie gratitude, de tout ce qu'il m'a appris.
Je vous embrasse...